Messeigneurs et frères évêques,
Filles et Fils bien-aimés,
Chers amis,

Nous venons d'entendre dans l'Evangile de saint Luc la parabole de l'Intendant avisé, plus connu encore sous le nom de parabole de l'Econome infidèle.
On pourra s'étonner du choix de cette parabole de l'évangile, aujourd'hui et pour l'occasion de cette solennité particulière -la glorification de l'évêque Jean de Saint-Denis.
Le choix de cet évangile appelle quelques explications.
Il faut savoir, tout d'abord, que cette parabole est le texte même qui fut chanté lors du sacre de l'évêque Jean le mercredi 11 novembre 1964 à San Francisco ; par un effet de la Providence c'est cette péricope qui était prévue par la lecture continue des Evangiles dans l'Eglise Russe Hors Frontière pour ce mercredi-là.
Le second motif se découvre dans le caractère si particulier du personnage évangélique de l'Econome infidèle. Le Christ en racontant cette parabole prenait le risque de faire l'apologie de la malhonnêteté ; il y aurait beaucoup à dire à ce sujet ; toutefois aujourd'hui c'est surtout l'intelligence et l'audace du personnage qui nous sert d'enseignement. Ce qui remarquable chez ce personnage c'est son esprit d'a-propos. Oui, l'Intendant avisé est l'image, le symbole même, de l'homme entreprenant et audacieux et c'est bien l'une des caractéristiques de ce que fut saint Jean de Saint-Denis, de sa vie tout entière, et de son action dans l'Eglise de Dieu.

Audace : d'après la définition du dictionnaire : l'audace est une disposition ou un mouvement qui porte à des actions extraordinaires au mépris des obstacles...
Cette disposition nous la découvrons chez Eugraf Kovalevsky dès l'instant où il commence à agir au sein de l'Eglise. Je me souviens d'une anecdote que me raconta à maintes reprises son frère Maxime : En 1931, dans les débuts de la paroisse russe des Trois Saints Docteurs - rue Petel, Eugraf, qui avait lu la vie de sainte Geneviève, avait peint une icône de cette sainte avec une gerbe de blé au pied de sa crosse abbatiale. Bien sur elle était encore inconnue des Russes qui fréquentaient alors en grande majorité cette paroisse et ils demandaient qui était cette sainte ; la réponse était toujours : « oh, on ne sait pas, c'est encore une histoire à Eugraf : une Française avec un parapluie ! » Aujourd'hui une paroisse du Patriarcat de Moscou à Paris s'appelle : Notre-Dame des Affligés-et-Sainte Geneviève.

Cette audace aussi a fait de l'évêque Jean le seul liturgiste capable de restaurer de manière vivante l'ancien rite des Gaules : car si de nombreux savants avant lui s'étaient penchés sur les reliques vénérables de cette liturgie, aucun d'entre eux ne fut assez audacieux pour reconstruire ce monument, pour tenter de célébrer ce rite, d'expérimenter sa vitalité et de rendre ce trésor inestimable à l'Eglise Universelle. C'est à l'audace de l'évêque Jean que nous devons de vivre pleinement notre foi et notre identité chrétienne.

Audace encore de secouer la poussière qui couvrait les Eglises depuis plusieurs siècles et qui éloignait les fidèles de la communion fréquente.
Ce problème, un évêque Français, Monseigneur Bénigne Bossuet, évêque de Meaux, avait déjà osé l'aborder en 1681, puis un Russe saint Jean de Cronstadt en 1900 ; de nombreux évêques et théologiens en discutèrent entre 1920 et 1950 mais ni les uns ni les autres n'avaient eu le courage d'agir, ni réussi à vaincre les funestes habitudes qui, sous le déguisement de la Tradition, de nos jours encore, divisent si douloureusement les Eglises. L'évêque Jean nous a ouvert le chemin vers la nourriture céleste : la communion au Corps et au Sang vivifiant du Christ.

Audace : disposition qui porte à des actions extraordinaires au mépris des obstacles... Et là les obstacles étaient grands : le poids de l'Histoire !
Audace, dans le cas de l'évêque Jean, signifie surtout Foi et Confiance en Dieu. Foi inébranlable dans les paroles du Christ, Confiance en acte, selon l'attitude que nous révèle le Chant Dogmatique du 1er ton : « Osez, osez donc hommes de Dieu, car Il vaincra l'ennemi, Lui le Tout-puissant !» La Foi et les Œuvres !
Pour finir, je ne résiste pas à l'envie de vous faire partager un souvenir que m'a transmis Mère Séraphine. Mère Séraphine était une Russe de Lituanie qui vint en France en 1937. Elle est devenue moniale et est née au ciel avancée en âge dans notre monastère de Bois-Aubry en décembre 1990.
Elle et son ami Georges - tous deux iconographes - avaient rendez-vous avec le Père Eugraf le samedi 20 avril 1940 dans un café de Boulogne-Billancourt. C'était tôt le matin. C'était la guerre. Le Père Eugraf arrive en uniforme militaire - il était en permission - Les trois amis commandent du café au lait, le père plaisante avec le serveur - Eclats de rire ! Ce rire si particulier du Père Eugraf et si inattendu dans cette période de guerre à l'atmosphère lourde ! Ils boivent leur café au lait en parlant de diverses choses - en russe - quand tout à coup le père se lève brusquement, son visage change, s'éclaire, il se met à ouvrir toutes les portes, toutes les fenêtres, tous les placards en criant en français : « Mais aujourd'hui c'est le samedi des Rameaux, c'est la résurrection de Lazare, c'est la Résurrection, la Résurrection, il faut ouvrir, il faut tout ouvrir. Que la lumière de la Résurrection saisisse tout ! »
Le garçon de café est stupéfait, paralysé par l'émotion, les yeux grand ouvert, le regard fixé sur le Père Eugraf, qui embrasse tout le monde et qui sort.

Voilà qui était Jean de Saint-Denis : l'homme qui a ouvert nos portes et nos fenêtres intérieures, et qui a fait pénétrer en nous la lumière de la Résurrection.
Rendons grâce à Dieu de nous avoir donné un tel père.

Par les prières d'Eugraf Kovalevsky, par les prières de l'évêque Jean-Nectaire, par les prières de Saint Jean de Saint-Denis, Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu ai pitié de nous et sauve-nous !


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