Homélie

Homélie de saint Jean de Saint-Denis pour le dimanche de Quinquagésime ( 1964)

Dans son épître, saint Paul nous annonce aujourd’hui que maintenant nous connaissons imparfaitement, comme dans un miroir, mais qu’ensuite nous connaîtrons parfaitement, nous connaîtrons comme nous sommes connus présentement.

Oui, notre connaissance actuelle est imparfaite, incomplète, voilée ; quand nous regardons notre connaissance du monde, de notre prochain, de notre propre âme, nous voyons bien à quel point est insuffisante notre connaissance. Nous sommes forcés d’admettre que les choses ne sont pas comme nous les connaissons, comme nous les voyons, comme nous les comprenons, mais comme Dieu les connaît, comme Dieu les pense.
 
Nous sommes, ici-bas, en face de deux mondes : le monde que nous connaissons, le monde que Dieu connaît. Entre les deux, il y a une grande différence, un abîme : l’un est formé en grande partie d’illusions, l’autre seul est réalité. Si, dans le monde que vous connaissez, il y a quelques parcelles de réalité, Dieu soit béni ! Pour connaître d’une façon plus parfaite, plus réelle, nous devons monter spirituellement, nous devons aller vers la connaissance en Dieu. Mais nous n’aurons la connaissance parfaite que vers la fin temps dans l’accomplissement des temps, et par la charité.

C’est par la foi, l’espérance et la charité, mais  surtout par la charité, la plus grande des trois, que nous obtiendrons quelque connaissance.
 
Dans tout ce que le monde étudie depuis qu’il est monde, dans toute cette recherche sans cesse reprise par l’humanité entière depuis des siècles, il y a autant d’illusions que de vérité. Cependant, ne pensons pas que cette connaissance imparfaite soit méprisable ; nullement. Nous ne méprisons pas les connaissances humaines, nous les respectons, mais nous devons en voir aussi les limites, et ne pas nous vanter de notre connaissance, de notre science, quels qu’en ai été les progrès
 
Dans l’évangile d’aujourd’hui, Le Christ prend à part les Douze, et leur explique qu’il va monter à Jérusalem pour être flagellé, mis à mort et qu’il va ressusciter le troisième jour, Mais dit l’Ecriture, "ils ne comprirent rien à ce discours. Ce langage était obscur pour eux et ils ne saisissaient pas le sens de ses paroles".

Ainsi, les apôtres eux-mêmes, qui vivaient dans le rayonnement du Maître, qui avaient confessé le Christ Dieu et homme par la bouche de Pierre, qui avaient déjà longuement vécu avec le seigneur, ne comprennent pas lorsqu’il est question du noyau, du nœud de la question, de l’essentiel : l’économie du salut du monde. Et pourtant, ils connaissaient les écritures, les prophéties, toute l’Ancienne Alliance, qui prévoyaient la mort et la résurrection du Sauveur ; ils étaient préparés par toute cette nourriture ; cependant, ils ne comprirent point !

Et l’évangile insiste : ce n’est pas à la foule, ce n’et pas aux soixante- dix disciples, mais bien aux Douze, choisis, élus, mis à part, que le Christ s’adresse. Chaque fois, d’ailleurs, qu’il est question, dans l’Ecriture, de monter à Jérusalem, chaque fois le Christ va parler de Sa mort et de Sa résurrection , "Il prend à part les Douze". Et même ces Douze ne comprennent pas le sens de l’économie de notre salut. Ils sont aveugles, plus aveugles dans la connaissance de la vérité sur le mystère du monde que l’aveugle qui va crier devant Jésus : ’’Fils de David, aie pitié de moi ! ’’ pour recouvrer la vue. Leur cœur est encore fermé, leurs yeux sont encore aveuglés, ils sont encore comme des enfants, aveugles, point encore adultes, point encore préparés à recevoir la nourriture solide.
 
Il y a deux étapes dans cette progression, disent les Pères : la première où l’on reçoit le lait des enfants, la seconde où nous est donnée la nourriture forte des adultes. La première c’est celle que donne la morale, la religion, la philosophie ; la seconde c’est la pénétration dans ce qui dépasse ce que je viens d’énumérer, la révélation de l’économie de notre salut.
 
C’est ainsi que, dans l’Ancien Testament, Moïse est d’abord nourri du lait de la tradition égyptienne avant de "recevoir la "nourriture forte" au mont Sinaï. C’est ainsi qu’Abraham reçoit le lait d’Ur avant de recevoir la nourriture de Canaan. Car il est plus facile de comprendre les rapports entre Dieu et l’homme que la mort et la résurrection du Christ…
 
Pour nous, nous devons d’abord nous instruire dans l’Eglise, recevoir d’elle notre lait par la prière, par l’enseignement, par la théologie, par la liturgie, par la tradition. Mais ensuite, le Christ s’approchera Lui-même de chacun de nous, pour nous instruire de l’économie de notre propre salut, particulier à chacun. Fortifié par le lait maternel de l’Eglise, nous pourrons alors entendre les parce que le Christ nous adressera : "Monte toi-même maintenant à Jérusalem, monte pour être flagellé, pour être crucifié, pour ressusciter"…Lorsque l’homme entend pour la première fois cet appel du Christ il ne comprend pas…Ne nous inquiétons pas, le Christ a prévu aussi que nous ne pourrions comprendre tout de suite ; les apôtres ne comprirent pas non plus avant de monter à Jérusalem…

Ne nous inquiétons pas non plus du mystère. Nourrissons-nous du lait de notre Mère l’Eglise pendant le carême qui vient, afin que le Christ s’approche Lui-même un jour de nous…

Et disons, comme l’aveugle : "Fils de David, aie pitié de nous !" Demandez, demandez ardemment, afin que les faibles deviennent forts, que les malades deviennent bien-portants, que les inquiets retrouvent la paix. Et avant de demander quoi que ce soit, criez dans votre cœur ; "Fils de Dieu, aie pitié de nous !". Que votre voix soit forte et confiante, et tout le reste vous sera donné par surcroît.       Amen !


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