NOTRE PÈRE
1- UNE PRIERE DIVINE
* Perle
précieuse de la tradition chrétienne et de la spiritualité humaine
Il me paraît
essentiel dès le départ de prendre conscience d’une chose fondamentale :
cette prière n’est pas une création de l’homme mais elle a été donnée par le
Fils unique de Dieu, le Verbe divin.
Cette prière
sort de la pensée, du cœur et de la bouche du Verbe incarné.
Elle est donc un reflet de sa propre prière, de sa relation intense avec le Père.
Rappelons-nous
ces paroles de Jésus rapportées par St Jean:
« Je suis dans le Père et le Père est
en moi…Moi et le Père nous sommes un…Nul ne vient au Père que par moi »
(Jean 10, 30 et 38 - 14, 6)
En récitant
le Notre Père, nous recevons, dans le Souffle de l’Esprit Saint, la grâce d’entrer
dans la relation intime du Fils et du Père.
* Cette prière
a plus que probablement été formulée par Jésus en hébreu qui était la langue
sacrée. Peut-être aussi en araméen la langue parlée par le Christ.
Mais ni les textes hébreux ou araméen ne nous sont parvenus puisque les évangiles
dont nous disposons sont écrits en grec.
Ce qui
suscite des problèmes de traduction et ouvre le champ à diverses interprétations
des mots employés (Ciel, Nom, sanctifié, Pain, offenses…).
Nous les
relèverons au passage s’ils (elles) sont utiles à notre compréhension des
diverses mots de la prière.
Notons
aussi que la forme grecque de cette prière est un véritable poème sacré car
elle est écrite sous forme d’assonance et de
rimes.
Ainsi, le début de la prière (grec écrit phonétiquement):
Pater émon o ev tois ouranois
Aguiastétau to onoma sou
Eltetau é basiléia sou
Guénétau to théléma sou
* Le Notre
Père est une prière simple en apparence, mais dont le sens est loin d’être évident
comme le montrent les nombreuses traductions et commentaires qu’elle a suscités
depuis des siècles.
Mais n’est-ce pas le propre de tout texte sacré : sous une apparence
simple se découvre des profondeurs qui nous invitent à accueillir humblement en
nous le mystère… ?
« Le Notre Père est la prière des prières,
la plus proche et la plus difficile. Admettons un instant que l’Ecriture sainte
ou l’enseignement spirituel d’une prière telle que le Notre Père se livre
pleinement, que tout y soit aisé, sans matière à discussion, qu’adviendra-t-il à
l’âme humaine ? Elle s’installera dans cette compréhension comme dans un
fauteuil…et la mort survient précisément lorsque l’homme a trouvé le confort »
(Mgr Jean de St Denis)
* Cette prière
sublime est celle de Notre Seigneur Lui-même.
Elle témoigne
de sa relation intime avec Son Père et Notre Père et aussi de sa connaissance
profonde de l’âme humaine et de nos besoins spirituels essentiels.
« La prière prend dans la bouche de Jésus
une portée unique. Elle émane d’une relation jamais égalée entre Dieu et l’homme
par la grâce de l’union hypostatique. Jésus appelle Dieu son Père comme jamais
il n’avait été possible de le faire avant Lui…Si nous disons « Notre Père »,
Jésus est le seul à pouvoir dire absolument Mon Père. Dans un acte d’adoration
parfaite et l’offrande totale de Lui-même, Il fait monter vers son Père la prière
la plus excellente tant dans la forme, le fond, que dans la disposition intérieure
de sublime union à la divinité.
Toutes les fois que nous prions le Pater, il faut nous unir à ce premier
Pater et tendre, par la grâce, à le réciter avec les dispositions intérieures
du Seigneur Jésus qui demeurera pour toujours le modèle des priants » (Philippe Marie Airaud : Notre
Père – site Képhas))
Cette prière
est donc avant tout un enseignement divin, au même titre que les
paraboles, le discours sur la Montagne, et toutes les Paroles de vie du Christ.
Elle peut être comparée à une échelle que l’on peut descendre (mouvement des
cieux vers la terre et même l’enfer), ou monter selon qu’on l’aborde à l’endroit
(c’est la version des évangiles) ou à l’envers (c’est la progression préconisée
de manière pédagogique par certains : on part alors de la libération de l’emprise
de Satan pour monter, échelon par échelon, vers le Père en passant par l’Esprit
(le règne) et le Christ (le Nom).
Le Notre Père est en soi un chemin spirituel que nous sommes invités à
parcourir (dans les deux sens) et surtout à vivre, à incarner dans notre
quotidien.
« Nous n’avons pas d’autre guide vers
la vie éternelle, la vie divine, la béatitude, que la vie du Christ, l’enseignement
du Christ, la Passion du Christ, la Prière du Christ…Le Pater à nous enseigné
par le Christ, est la plus vraie des prières, la plus complètement et
parfaitement juste et agréable à Dieu, celle dont la flamme doit toujours brûler
en nous » (Raïssa Maritain - Notes sur le Pater p. 153 et svtes)
Cet
enseignement contenu dans la prière nous révèle quels sont les vrais besoins de
l’homme et aussi qui est Dieu et comment
Il désire qu’on le prie.
« Seul Dieu peut nous fait connaître
Dieu »
écrit avec
justesse Paul Evdokimov (L’amour fou de Dieu p.55)
La prière
du Seigneur nous révèle aussi quel le projet de Dieu pour l’homme :
- l’avènement
du Royaume, la synergie des deux volontés divine et humaine, la demande ardente
du Pain de Vie, le Pardon des offenses, la victoire sur la tentation pour
rester orienté dans l’axe divino-humain, la libération des pièges du Malin…
« L’oraison dominicale est vraiment l’abrégé
de tout l’Evangile…Quoi d’étonnant à cela ? Dieu seul a pu nous apprendre
comment Il voulait qu’on le prie. C’est Lui qui choisit les mots de la prière,
l’anime de son Esprit, au moment où elle sort de sa bouche, et lui communique
la grâce de nous transporter au ciel en touchant le cœur du Père par les
Paroles de son Fils » (Tertullien – De la prière 2 et 9)
« Le Notre Père est un don de Dieu !
Qui peut en effet trouver les mots à la hauteur de Dieu sinon Dieu ? Qui
voit assez clair pour demander à Dieu ce
qu’il faut, sinon Dieu ? » (Daniel Bourguet , Approches du Notre
Père, page 27)
* Cette
origine divine de la Prière implique aussi qu’elle est complète, totale.
Rien d’essentiel n’y manque.
« Si tu parcours toutes les formules des
prières sacrées, tu ne trouveras rien, je crois, qui ne soit contenu dans cette
prière du Seigneur et n’y trouve sa
conclusion. » St
Augustin)
St Maxime
le Confesseur, de manière très synthétique, condense toutes les demandes en une
phrase dont chaque mot vaut son pesant d’or, car chaque expression recouvre des réalités insondables. Il écrit
trouver dans le Notre Père… :
« La théologie, la filiation dans la grâce,
l’égalité d’honneur avec les anges, la participation à la vie éternelle, le rétablissement
de la nature (humaine) rendue à elle-même dans l’impassibilité et l’assentiment,
l’abolition de la loi du péché et la destruction de la tyrannie du Malin »
(Philocalie, t.6 édit. Bellefontaine
1985)
La théologie ?
Parce que
cette prière est une révélation trinitaire,
et en particulier de la paternité de Dieu et de sa relation intense avec
le Fils.
La
filiation dans la grâce ?
Parce que Jésus nous révèle notre propre
filiation divine dans la grâce que dispense l’Esprit saint venant du Père et
communiqué par le Fils.
L’égalité
d’honneur avec les anges ?
Parce que
la prière des anges et des saints qui, dans les cieux, louent sans cesse le
Seigneur, devient aussi sur la terre des hommes.
Le rétablissement
de la nature humaine rendue à elle-même ?
Parce que
nous découvrons notre véritable nature de fils de Dieu, créés à l’Image de du
Dieu trinitaire.
Dans l’impassibilité
et l’assentiment ?
Parce que
quand nous accordons notre volonté à celle du Père nous renonçons à vivre pour
nous-mêmes et à l’agitation des passions qui nous hantent.
L’abolition
de la loi du péché ?
Parce que
la prière est un élan vital vers la Source de Vie dont le péché nous avait détourné.
La
destruction de la tyrannie du Malin ?
Parce que
nous cessons de nous laisser tromper par le Prince de ce monde pour nous
accueillir en nous le Royaume de Dieu.
* La prière
est donc bien plus riche qu’une lecture superficielle (et l’usure de l’habitude,
la distraction) ne le laisse(nt) apparaître.
Comme une mer, elle est traversée de plusieurs courants, qui ne sont pas
contraires mais se complètent et conjuguent leurs énergies pour donner à la prière
sa plénitude, englobant le ciel, la terre et l’enfer, le divin, l’angélique et
l’humain.
La prière contient ainsi :
- un
mouvement descendant des sphères célestes à notre terre, voire à nos enfers, de
Dieu le Père à Satan.
- un mouvement
ascendant, si nous partons de la fin et grimpons comme une échelle des enfers
vers le ciel. Ce chemin nous mène de la condition d’esclave (prisonnier de
Satan) à celle de Fils de Dieu
communautaire.
C’est le chemin proposé par Mgr Antoine Bloom (« Prière vivante ») et
le frère ALain Noël (« Le Notre Père échelle de salut »).
- un
mouvement communautaire : qui part de celui qui prie (dans sa chambre intérieure)
vers la fraternité des hommes en prière.
* Il est
aussi important de nous rappeler les circonstances dans lesquelles cette
prière a été transmise par Jésus à ses disciples.
St Luc (11,
1) nous rapporte qu’un de ses disciples, ayant vu prier Jésus, lui demanda :
« Seigneur apprends-nous à prier »
Cette
demande est déjà une magnifique prière en soi. Le disciple s’adresse à Jésus
comme à Dieu en l’appelant « Seigneur », et pas simplement « Maître »
(rabbi).
Elle témoigne
d’une grande humilité de la part de cet homme resté anonyme (« un
parmi les disciples ») que l’on peut supposer être un juif pieux, qui
priait donc trois fois par jour, comme le prescrit la tradition juive, et qui,
pourtant, reconnaît qu’il ne sait pas réellement prier. Que sa prière ne le
comble pas, surtout quand il voit l’intensité de la prière de Jésus lui-même
qui, souvent, se retire à l’écart pour parler à Son Père.
Le
bien-fondé de cette demande, humble et sincère, est d’ailleurs soulignée par le
Christ qui, juste avant de transmettre
la prière, dit à ses disciples :
« En priant, ne rabâchez pas comme les
païens ; ils pensent que c’est à force de paroles qu’ils seront exaucés.
Ne leur ressemblez donc pas car votre Père sait ce dont vous avez besoin avant
même que vous le lui demandiez « (Mat 6)
L’humilité
de ce disciple suscite la réponse sans détour du Christ et nous ouvre la porte à
« la prière des prières » qui va nourrir la foi de l’Eglise pendant
des siècles.
Nous
pouvons nous aussi demander avec humilité à Dieu de nous apprendre à Le prier
vraiment, non du bout des lèvres ou par habitude, mais avec tout notre être,
dans un élan du cœur.
Dans la prière
du matin de Philarète de Moscou, se trouve un écho de cette demande du disciple :
« Apprends- moi à prier. Prie Toi-même
en moi »
Et le
Christ va répondre à l’humilité du disciple en dévoilant (chez St Matthieu) l’humilité
du Père :
« Quand vous priez ne soyez pas comme
les hypocrites, car ils aiment prier debout dans les synagogues et les
carrefours, afin de se montrer aux hommes…Toi, quand tu pries, entre dans ta
chambre et ferme la porte pour prier ton Père qui est dans le secret et Ton Père,
qui voit dans le secret, te le rendra. » (Mat 6, 5-6)
Il n’est
plus question ici du Dieu terrible qui siégeait dans le tabernacle du Temple et
dont on ne pouvait même pas prononcer le Nom.
Nous sommes
loin aussi des théophanies grandioses auxquelles ont assisté certains
personnages privilégiés de l’Ancien Testament (Moïse, Elie, Isaïe…)
Nous découvrons,
au contraire, dans la bouche du Verbe un Dieu paternel qui attend chaque homme
dans le secret de son cœur.
Le cœur
humain est devenu le « Saint des saints », le tabernacle de la Présence
divine.
« Dès que l’homme entre en lui-même et
retrouve le vrai silence, il sent comme une attente qui vient du Père, qui est
présent dans le secret (Mt 6,6). Le Père parle par son Fils, sa Parole. Elle n’accable
pas, elle témoigne de sa proximité immédiate : « Voici que je me
tiens à la porte et je frappe » (Apo 3, 20) (Paul Evdokimov, L’amour fou de Dieu p.37)
Quel
renversement de perspective ! Dieu, patiemment, humblement, attend l’homme
dans la chambre de son cœur.
Nous
pouvons dire, comme Jacob :
« Dieu était là et je ne le
savais pas » (Gen 28 ,16)
Nous
pensons parfois que notre prière est un effort pour atteindre Dieu qui serait
loin de nous, dans un ailleurs, hors de notre portée, alors que le Christ nous
montre au contraire qu’Il est tout proche et que c’est Lui qui nous attend au cœur
de nous-mêmes !
Le cœur
humain, accessible à chacun de nous dans le secret, dans le silence, est devenu
le vrai lieu de la rencontre amoureuse entre l’être humain et un Dieu tendre,
aimant, paternel !
« Nous sommes engagés à entrer, non
dans les pièces cachées d’une maison, mais dans la chambre de notre cœur et à
prier Dieu dans le secret de notre esprit » (St Hilaire de Poitiers)
« Dieu se cache pour ne pas éblouir
par sa nature. Condescendance, humiliation, dépouillement sont les attributs du
Créateur » (Mgr Jean de St Denis)
A l’humilité
de l’homme répond l’humilité de Dieu.
Ou, plutôt, ne doit-on pas dire : à l’humilité de
Dieu, répond l’humilité de l’homme ?
Nous ne serions pas appelés à être humbles si l’humilité n’était pas d’abord
une qualité divine.
« L’humilité est la parure de la divinité » écrit Isaac le syrien (Traité ascétique)
Dieu s’efface,
se fait petit, pour que l’homme soit et grandisse.
Nous y
reviendrons car c’est une réalité fondamentale (la « kénose ») très
riche d’enseignement…
« Ce qu’il y a d’unique en Matthieu 6,
6, c’est cette double intimité : spatiale (« ta chambre » et
affective (« ton Père ». Jamais prière n’avait encore atteint une
intimité semblable à celle qui introduit et accompagne le Notre Père. Cette
intimité suppose de la part de Dieu une grande humilité. En effet, que le Dieu
du ciel, le Père céleste, s’abaisse ainsi pour venir dans une simple chambre,
cela signifie une réelle kénose, un dépouillement de sa grandeur. Selon la
tradition de l’Ancien Testament, Dieu ne vient pas ailleurs sur la terre que
dans le Temple de Jérusalem. Le voilà dans une chambre, un lieu tellement banal
et dérisoire…Quel humilité dans cet abaissement du Père céleste !...Luc
nous introduit au Notre Père en mettant en lumière l’humilité du disciple ;
Matthieu nous introduit au Notre Père en mettant en lumière l’humilité de Dieu.
Telle est, à mon avis la grande innovation du Notre Père : elle est la prière
où l’humble vient à la rencontre de l’humble ; c’est la prière où l’homme
finit par ressembler à Dieu dans son humilité. Le chemin qui conduit au Notre Père
est celui de l’humilité, chemin emprunté par l’homme aussi bien que par Dieu … »
(Bourguet P 43-44)
Dieu ne se
révèle pas de manière grandiose mais dans le secret. Il se cache et son lieu de
retraite est le cœur de l’homme. Il se cache pour que nous le cherchions comme
la fiancée cherche le Fiancé comme le chante le Cantique des cantiques.
Notre cœur est la porte du Royaume où le Christ nous invite à entrer.
« C’est par le silence, par la prière,
par la pénitence, par l’attention devant Dieu que nous entrerons dans la
cellule de notre coeur. Ainsi, nous retrouverons en nous ce lieu inexprimable
et caché pour le monde extérieur, et même pour nous si nous sommes distraits.
Ce lieu où réside la paix, la sérénité, la flamme, où s’offre à chaque instant
l’offrande de l’amour de Dieu, où conversent les anges dans notre silence intérieur,
car le monde céleste et le Royaume de Dieu sont en nous. Sans abandonner la vie
extérieure et le monde, que ces activités ne nous détournent pas de la vie intérieure.
Ne cherchez pas de point d’appui dans le monde extérieur, mais en vous. »
(Mgr Jean de St Denis)
*
2- Prière de demande, prière de louange ?
Vous n’ignorez
pas qu’il existe plusieurs formes de prière, qui peuvent être regroupées
en deux formes essentielles : la prière de demande (dont celle du pardon) et la
prière de louange (dont celle de bénédiction et celle d’adoration).
A première
vue, le Notre Père, semble être une prière de demande et même de demandes
car elle exprime 7 demandes essentielles…
Le chiffre
7 n’est pas le fruit du hasard : il symbolise la totalité comme on le voit
dans de nombreux passages de la Bible (nombre de jours de la Genèse et de la
semaine, chandelier à 7 branches (Menorah) dans le Nouveau Testament (7 dons de
l’Esprit , 7 diacres…) et en particulier dans l’Apocalypse (7 églises, 7 archanges,
7 sceaux, les 7 trompettes…)
Mais à y
regarder de plus près, on s’aperçoit que la louange est entrelacée à l’attitude
de demande car la prière comprend aussi deux parties distinctes et complémentaires :
+ La première
partie :
Notre Père
qui es aux cieux (ou céleste)
Glorifié (sanctifié) soit ton Nom !
Qu’arrive ton Règne !
Que ta volonté soit faite !
Sur la
terre comme aux cieux (au ciel).
Elle est
centrée sur Dieu et résonne comme une louange à son Nom, à son règne à sa
volonté sainte.
+ La seconde
partie concerne notre vie terrestre et nos besoins spirituels vitaux :
Donne nous aujourd’hui notre pain substantiel
Remets nous nos dettes comme nous remettons à
nos débiteurs
Ne nous laisse pas entrer dans la tentation (ou
succomber à l’épreuve)
Délivre du Pervers (du Diable, du Malin)
* La prière
de demande
On entend
dire parfois que la prière de demande serait inférieure à la prière de louange,
parce qu’elle ne serait pas gratuite, qu’elle constituerait un premier niveau
et que seule la louange, ou mieux encore l’adoration silencieuse, serait l’état
parfait, le « nec plus ultra » de la prière.
Pourtant,
nous constatons que Jésus Lui même nous invite à adresser nos demandes au Père,
sans nous lasser.
Il illustre cette réalité par une parabole ; celle de l’ami importun (Luc
11, 5 à 9) ou de la veuve insistante
(Luc 18, 2 à 8).
Mais aussi
dans le Notre Père, ainsi qu’à de nombreuses reprises dans les évangiles :
« Demandez et vous recevrez…car
quiconque demande reçoit…Si vous savez donner de bonnes choses à vos enfants,
combien plus votre Père céleste donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les
lui demandent » (Mat 7, 8-11)
« Tout ce que vous demanderez avec foi
dans la prière, vous le recevrez » (Mat 21,22 et Marc 11, 24)
« Tout ce que vous demanderez au Père en
mon Nom Il vous le donnera » (Jean 15, 16)
« Jusqu’à
présent, vous n’avez rien demandé en mon Nom, demandez et vous recevrez » (Jean 16, 24) …
L’attitude
de celui qui demande est donc loin d’être méprisable. Bien au contraire !
Elle exprime la confiance (c'est-à-dire la foi), l’écoute, l’humilité de celui
qui ouvre son cœur à Dieu.
« Se mettre en état de demande, c’est
aussi se mettre en état de réceptivité et accueillir ce qui nous est donné.
Savoir et oser demander. Dieu n’a pas besoin de nos prières mais nos prières
nous rapprochent de Lui. La demande est une écharde dans nos autosuffisances.
Nous nous rendons vulnérables à l’Autre et dans cette vulnérabilité s’épanouit
notre désir »
(Jean- Yves Leloup - pages 25-26)
« Le Notre Père est un cadeau fait aux
humbles ; reçue dans l’humilité, cette prière sera alors dite à Dieu sur
le ton qui convient : avec la reconnaissance de ceux qui savent qu’ils ne
méritent rien, avec l’attention de ceux qui ont connu l’échec, avec l’émerveillement
de ceux qui se savent indignes.
Le Notre Père est la prière des indigents,
la prière de ceux qui débutent après
tant de commencements ; prière qui comble le cœur d’un pauvre. » (Daniel Bourguet, Approches
du Notre Père, page 26)
Etat d’humble
réceptivité de celui qui demande, mais aussi élan d’adoration :
« La prière même de demande n’est
vraiment prière que dans la mesure où elle est aussi adoration…Pour que la démarche
(de celui qui demande) ait une valeur de prière, un courant d’adoration doit la
traverser, qui la soulève et la transforme. Lever les yeux au ciel et tendre la
main, il y a là deux gestes nos pas contraires, mais qui s’appellent l’un l’autre…l’on
peut dire que l’adoration est l’âme priante de toute prière…le Pater commence
par l’adoration désintéressée…Dans chaque requête, la voix de l’adoration
domine. C’est pour mieux le servir que nous Le prions de nous aider. »
(Jean Carmignac, A l’écoute du Notre Père, pages 110-112)
En réalité,
si nous allons au-delà d’une lecture superficielle du début de la prière, nous
pouvons considérer que, dans le Notre Père, les trois premières demandes n’en
sont pas réellement. Elles expriment plutôt un désir, celui de voir glorifier
Dieu et son règne s’accomplir parmi nous. Ce sont, des cris d’espérance et de
joyeuse reconnaissance, et aussi des bénédictions qui relient la terre au cieux :
« L’adoration des trois premières
demandes chante la grandeur de Dieu Notre Père » (Carmignac, page 112)
« Sur la terre comme aux cieux, que Sanctifié
soit Ton Nom ! Oui !
que Ton Règne advienne et Ta volonté
sainte et bienfaisante soit accomplie sur terre (par les hommes) comme au ciel
(par les saints et les anges) ! ».
Ce qui est
magnifique, c’est que nous ne commençons pas la prière en pensant à nous-mêmes,
à nos besoins, par des demandes qui nous concernent mais nous la commençons en
rendant gloire à Dieu
Dès les
premiers mots de la prière, nous sommes orientés dans la bonne direction :
vers le Père, la Source, le Principe duquel tout vient et vers lequel tout
retourne
.
« La piété populaire voudrait commencer la
prière par ce qu’il y a de plus utile et de plus immédiat. Nous sommes ainsi
faits que nous avons tendance à demander d’abord quelque avantage et quelque
bienfait qui contenterait notre petite façon de concevoir ce qui nous est utile
et qui satisferait nos désirs liés à nos préoccupations terrestres. Il faut un
regard de contemplatif et de croyant pour penser à demander en premier lieu ce
qui concerne la gloire du Seigneur. La prière du Notre Père fixe d’abord la fin
à atteindre et, dans un mouvement descendant admirable, invite à demander les
moyens nécessaires pour y parvenir » (Airaud).
Le début du
Notre Père nous décentre donc de nous-mêmes et nous tourne vers Dieu.
Nous
rendons gloire à Dieu car nous recevons ses bienfaits. C’est en prenant
conscience des dons qu’Il nous fait, en lui donnant notre confiance, notre élan
du cœur que nous recevons en retour de nouveaux dons et en particulier celui de
la grâce, des énergies divines, car…
« personne ne peut rien prendre qui ne
lui soit donné du ciel » (Jean 3, 27 et 6, 65)
et…
« donnez et l’on vous
donnera » (Luc 6, 38)
Dès le début
de la prière, nous sommes invités à prendre conscience de cet échange, de cette
circulation de dons et de d’accueil réciproques entre Dieu et nous.
Nous sommes
dès les premiers mots placés dans ce qui est essentiel dans notre tradition chrétienne :
la relation entre des personnes libres, nourrie d’échanges constants de dons et
d’acceptations mutuels.
Les trois
premières phrases de la prière ne peuvent être considérées comme des demandes
au sens restreint, mais elles expriment plutôt des cris du cœur, un assentiment
enthousiaste à l’Etre divin en Trois Personnes (le Père que l’on prie, le Fils
en qui le saint Nom est sanctifié et l’ Esprit qui inaugure le Royaume de Dieu
sur la terre (comme au ciel))
« La révélation trinitaire s’inscrit
aussi dans la prière que nous a enseignée Jésus lui-même, le Notre Père, dont
les premières demandes invoquent les Trois Personnes divines.
Car le Fils est le Nom éternel du Père, il a
sanctifié le Nom jusqu’à la mort sur une croix, et le Royaume s’identifie à l’Esprit. »
(Olivier Clément –
Sources p.58)
Nous
entrons en communion non seulement avec le Père explicitement invoqué, mais
aussi avec les Trois Personnes divines par notre adhésion aux premiers
mots de la prière.
Nous
entrons dans cette circulation d’énergie, d’amour qui caractérise les relations
trinitaires où chaque Personne divine
rend gloire à l’autre en lui disant (c’est une image) : « Toi d’abord ! »
Le début du
Notre Père c’est l’être humain qui dit à Dieu : « Toi d’abord ! »
Que ton nom soit glorifié, que ton Royaume advienne, Que Ta volonté soit faite ».
*
* *
Pour
approfondir notre contemplation des mots de la prière du Seigneur, commençons
par le commencement : soit l’exclamation initiale « NOTRE PÈRE » !
Un
commentateur contemporain du Notre Père rapporte à ce propos une anecdote
significative : son guide spirituel lui disait que lorsqu’elle (c’était
une religieuse) appliquait l’exercice spirituel qui consiste à s’arrêter à
chaque mot de la prière pour s’imprégner profondément de son sens, elle ne
parvenait pas à dépasser les deux premiers : c'est-à-dire « Notre Père ».
(J. Sprung, « Notre Père cet inconnu », page 13).
Ce sera sans doute aussi notre cas aujourd’hui, en cette journée d’entrée dans
le carême...
Ce début de la prière est une fin en soi, un
aboutissement, une plénitude qui, s’il est dit avec amour, tendresse, élan du cœur
et une pleine conscience de ce que nous disons, constitue la quintessence de la
prière chrétienne, car ces deux mots « Notre Père » contiennent tout :
Dieu, notre Père, et notre humanité fraternelle, fille du même Père divin
.
De plus, par ces deux mots, nous traçons le
signe de la croix :
La branche horizontale est notre fraternité.
La branche verticale : notre prière qui
monte vers le Père, reliant la terre au ciel.
Ainsi, les
simples mots : « Notre Père céleste » implique une triple prise
de conscience :
celle que Dieu EST ;
qu’Il est PÈRE,
et celle de notre FILIATION DIVINE et de notre
FRATERNITE HUMAINE.
On perçoit
que nous venons d’entrer, dès les premiers mots de la prière, dans une
contemplation bouleversante : celle des personnes divines et humaines et
celle de leurs relations profondes.
Cet échange
de souffle est plus vital encore que notre respiration physique.
3_- Notre PÈRE
Appeler
Dieu PERE « ABBA », « PAPA » !
Voilà une audace
et une nouveauté qui dépasse tout ce que l’homme pouvait imaginer et oser
avant la venue du Christ sur terre.
« Abba ! Personne avant Jésus n’avait
osé s’adresser ainsi à Dieu. C’est une grande innovation ! «
Abba » est le diminutif affectueux du mot « père » : « papa »
en quelque sorte ! Quel étonnant vocatif, quelle force et quelle intimité !
Nous ne mesurerons jamais assez la profondeur de ce mot. Quelle innovation ,
mais quelle révélation aussi ! Par ce seul mot, Jésus ouvre nos yeux sur
Dieu (un père, mon père !) et sur notre propre identité devant Lui (ses
fils et ses filles !)Et tout cela dans une insondable intimité : « Papa ».
(D. Bourguet p. 30)
Comme le
proclame le prêtre avant que l’assemblée ne le prie :
« Non selon nos mérites, Père saint,
mais par obéissance au commandement de Jésus-Christ, ton Fils, Notre Seigneur,
nous OSONS dire… »
Comment
oserions-nous appeler Dieu « Papa » si Jésus Lui-même ne nous l’avait
pas enseigné ?
* Dieu,
dans la tradition juive (et musulmane) est le Tout-Autre, Le totalement
transcendant que l’on ne peut nommer. Qui a tous les noms (99 dans l’Islam) et
n’en a finalement aucun de satisfaisant, car aucun nom ne peut Le cerner,
exprimer ce qu’Il est réellement.
Cette
conviction est d’ailleurs présente aussi dans la tradition chrétienne :
« O Toi, l’Au-delà de tout, tu as tous les
noms et aucun nom ne peut Te nommer. Tu es innommable » écrit St Grégoire de Nazianze.
Ne pouvant
enfermer Dieu dans un seul nom, les Juifs l’appellent de nombreux noms qui
mettent en valeur sa gloire, sa puissance créatrice, mais aussi le mystère qui
ne peut être cerné : Adonaï, El, Elohim, YHWH, Shaddaï, Sabbaoth, Eyeh…
Seul Jésus
pouvait donner à Dieu un nom si proche, si intime, si tendre que celui de Père, et nous inviter à nous adresser à
Dieu comme à un père.
Comme l’écrit
Jean Carmignac : notre prière est devenue « l’écho de celle du Christ » :
« La prière du chrétien est
essentiellement une participation à la prière du Christ » (page 17).
Nous le
rappelions au début de cet exposé.
Et Jean
Yves Leloup écrit :
« La
prière de Yeshoua, c’est la prière de Dieu en nous » (page 47)
Quand nous
en prenons conscience, nous nous sentons en communion intime avec notre
Seigneur Jésus qui prononçait les mêmes mots de fervente adoration.
Comment ne
pas en être bouleversé ?
« Les grands souhaits contenus dans les
trois prières demandes, avec quelle tendresse et quel désir Il devait les
prononcer ! C’étaient ses vœux à lui qu’il offrait au Père, pour le Nom de
son Père, Pour le Royaume de son Père, pour la volonté de son Père, C’étaient
ses voeux à Lui, avant d’être ceux que, comme chef de l’humanité, Il offrait au
nom des ses frères » (Raïssa Maritain Notes sur le Pater, pages 147 et 150)
* Jésus n’appelle
pas Dieu « Père » une ou deux fois en passant, comme un nom parmi d’autres.
Il le nomme ainsi plus de 60 fois dans les évangiles !
C’est pratiquement le seul nom qu’Il lui donne alors que de multiples noms
existaient dans la tradition juive.
C’est d’une
audace dont seul le Christ est capable :
« Nulle part dans la littérature juive
l’invocation de Dieu sous le nom de « Papa » n’est attestée…C’est un
balbutiement, l’articulation première et parfois difficile de la parole et du
silence. Ce mot enfantin, nul avant Yeshoua ne l’a employé pour s’adresser à
Dieu, et c’est ce mot-là que l’on retrouve dans chacune de ses prières » »
« Qui oserait dire à l’Inconnu (YHWH), à
la conscience d’être, à « Je Suis » (Eyeh), à l’harmonie des mondes
et des êtres (Yah), à l’énergie créatrice (Elohim), à la grande Mère (Shaddaï),
au Seigneur de l’univers (Adonaï), à la justice même (Shabbat) : « Papa » ?
Qui oserait s’en reconnaître le fils ou la
fille ? » (Jean
Yves Leloup – pages 82 et 107)
Nous ne
pouvons appeler Dieu Père que parce que seul Jésus Le connait et nous le révèle
comme tel.
« Nul ne connaît le Père si ce n’est le
Fils et celui à qui le Fils veut le révéler (Mat 11, 27)
* La prière que nous donne Jésus nous révèle
que Dieu est bien une Personne avec laquelle nous pouvons réellement
entrer en relation (ce qui correspond sur ce point à la révélation déjà présente
dans le Premier Testament).
Arrêtons-nous
un instant sur cette prise de conscience qui est souvent banalisée par l’habitude.
Que Dieu soit une Personne est-ce d’une telle évidence ?
Interrogeons
nos contemporains à ce propos et que constatons-nous ?
Mais qu’il
existe un Dieu personnel ? Allons donc ! C’est évidemment une
projection infantile de l’homme en manque de sécurité, un anthropomorphisme
primitif…
·
Ensuite,
nous constatons que d’autres personnes, influencées par les spiritualités
orientales (ou par l’idéalisme platonicien, ou par le gnosticisme) résistent
des quatre fers à la possibilité que Dieu se révèle et aussi (surtout) à celle
qu’Il s’incarne dans la matière.
Ils sont les tenants inconditionnels de l’apophatisme
qui affirment (ce qui est paradoxal pour ceux qui soutiennent qu’on ne peut rien affirmer !) :
« On ne peut surtout rien dire de Dieu !
Tout ce qu’on dit de Lui le déforme, ou le rabaisse, voire le salit …».
La Bible
contient pourtant la révélation de Dieu, et d’un Dieu personnel mais, effectivement,
impossible à cerner (d’où la multitude de ses noms et le caractère énigmatique,
insaisissable de certains d’entre eux (YHWH « Eyeh asher Eyeh » « Je
suis ce que Je suis, ce que j’étais, ce que je serai… »).
* Or, nous
voyons Jésus s’adresser à Dieu d’une tout autre manière : il le nomme « Mon
Père », « Abba » c'est-à-dire : « Papa ». Cela
devient extraordinairement concret !
Et c’est d’une
telle audace qu’aux yeux des Juifs imprégnés de la crainte de Dieu et qui osent
à peine le nommer, c’est insupportable !
Rappelons-nous
cette réaction violente des Juifs pieux qui accusent Jésus de se faire l’égal
de Dieu parce qu’il l’appelle « Abba » (Jean 5, 18 ci-après).
* Mais ces
premiers mots de la prière nous révèlent aussi, et cela aussi est une nouveauté
encore plus inacceptable, une révolution dans la tradition biblique : le Père
n’est pas une Personne unique.
Il est au
moins deux : Le Père et le Fils.
Et nous
verrons que la suite de la prière évoque en filigrane une troisième Personne :
l’Esprit Saint.
Comme je
viens de le rappeler, cela était profondément choquant dans la tradition juive car
une telle affirmation portait atteinte à l’unicité de Dieu et était donc blasphématoire,
comme le montrent les réactions violentes des notables juifs et des pharisiens
« Les Juifs cherchaient à le tuer, non
seulement parce qu’il violait le Sabbat, mais parce qu’il appelait Dieu son
propre Père, se faisant l’égal de Dieu » (Jean 5, 18)
Jésus
pouvait se faire lapider pour avoir osé proclamer ces paroles.
Et d’autres
encore qui vont dans le même sens :
« Qui m’a vu a vu le Père » (Jean 14,9)
« Le Père et moi sommes un » (Jean 10,30)
« Nul ne va au Père que par moi »
(Jean 14, 6)
« Le Père est en moi et moi dans le Père »
(Jean 10, 38 et 14, 10-11).
* Lorsqu’on
trouve dans le Premier Testament des allusions à la paternité divine (on
en a dénombré 14 selon Jean Yves Leloup), elles sont encore assez timides et
isolées. De plus, elles ne sont pas le signe d’une relation paternelle et
filiale réelle au sein de la vie divine et entre Dieu et l’homme, comme celle
que nous révèle Jésus, le Fils unique de Dieu, « né du Père avant tous les
siècles » (Credo),
Elles
restent symboliques. C’est un qualificatif imagé attribué à Dieu pour souligner
sa puissance créatrice, sa fécondité, mais aussi son rôle protecteur et, de
manière déjà plus audacieuse (et plus tardive), sa tendresse pour Israël.
Ce n’est
que très progressivement que le peuple juif, qui avait une perception forte de
l’absolue transcendance de Dieu, ce Dieu unique et puissant qui a créé le ciel
et la terre, va commencer à Le ressentir aussi comme un être capable d’aimer sa
créature et de compatir à ses souffrances.
Cette conscience s’éveillera surtout chez les prophètes (qui, comme toujours,
sont en avance sur leur époque)
Quelques citations :
+ Il est créateur et protecteur :
« N’est Il pas ton père ,
ton créateur ? N’est-ce pas lui qui t’a formé et t’a affermi ? » (Dt 32, 6)
+ Israël est son « fils premier né » (Exode 4, 22)
+ Il est père du roi David (1 Roi 3, 6 et Sag 2, 16)
+ Il est le père des orphelins : « Comme un père a
compassion de ses enfants, le Seigneur a compassion de ceux qui le craignent. Le
père des orphelins, le défenseur des veuves, c’est Dieu dans sa sainte demeure »
(Psaume 68)
« Comme est la tendresse d’un père pour ses enfants tendre est
YHWH pour qui est attentif » (Psaume 103)
Les prophètes, comme toujours, vont plus loin, attribuant à Dieu des
sentiments paternels pour ceux qui l’honorent
Is 64,7
Si 23, 1-4
Tob 13, 14
« Tu es notre père…C’est Toi Seigneur qui est Notre Père »(
Isaïe 63 et 64,7)
+ Il peut aimer tendrement « Ephraïm est-il pour moi un fils si
cher à mon cœur…mes entrailles s’émeuvent
pour lui et pour lui déborde ma tendresse » (Jer 31, 20)
+ Un père déçu par le comportement de son enfant :
« J’avais pensé : tu
m’appelleras mon Père et tu ne te sépareras pas de moi…mais la maison d’Israël
m’a trahi » (Jer 29, 20)
+ « Le Seigneur châtie celui qu’Il aime comme un père l’enfant
qu’il chérit » (Proverbes 3-12)
Observons
cependant que jamais, aucun personnage biblique ne s’adresse à Dieu en lui
disant « Père », manifestant une relation filiale et intime avec Lui.
* Jésus
bouscule cette conception limitée, prudente, de la paternité divine en révélant qu’Il est le véritable
Fils de Dieu, non au sens métaphorique, mais réel : Il est engendré par le
Père.
Il vit avec
le Père une relation intime, unique, mystérieuse qui échappe à la compréhension
des auditeurs, qu’ils soient hostiles ou disciples…
« Je suis sorti du Père… »
(Jean 16, 28)
« Toutes choses m’ont été données par
Mon Père et personne ne connaît qui est le Fils, si ce n’est le Père, ni qui
est le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. »
(Luc 10, 22)
« Qui n’honore pas le Père n’honore pas
le Fils » (Jean 5, 23)
Et le Christ Lui donne ce nom à de multiples reprises dans les évangiles (plus
de 60 fois !), de manière quasi exclusive.
Pour Jésus,
Dieu est essentiellement Père et Amour. Ce qui est synonyme.
« En somme, soit pour Jésus, soit pour
le disciple en prière, Dieu est tellement « Père » qu’Il n’est plus
que « Père ».
En outre, sur les lèvres du Christ, l’invocation
du Père avait une profondeur de sens que vraisemblablement, les disciples n’ont
découverte que peu à peu. Jésus faisait du mot ‘Abba’ le début, et sans doute
le thème fondamental de sa prière (Marc 14,36, confirmé par Romains 8, 15 et
Galates 4,6). Car pour lui, ce vocable était l’expression du mystère de sa
filiation divine au sein de la Trinité » …Ainsi, dans l’Evangile, le mot « Père »
est chargé d’une extrême densité théologique : pour le Christ, il exprime
sa filiation trinitaire ; pour les chrétiens il exprime leur filiation
adoptive. » (Carmignac
p. 15)
« La reconnaissance de la notion de
paternité pour évoquer l’Absolu va être conduite à son comble par l’expérience
et la prière de Yeshoua. Plus de soixante fois dans les évangiles, Yeshoua va
appeler son Dieu et notre Dieu « Abba », ce qui signifie littéralement
« papa ». Nulle part ailleurs dans la littérature juive, l’invocation
de Dieu sous le nom de « Papa » n’est attestée.
Dans le dialecte syrien occidental de l’ araméen,
Abba est le nom donné par le petit enfant à son père (comme imma » à sa mère ;
c’est un balbutiement, l’articulation première …ce mot enfantin et quotidien,
nul ne l’a employé avant Yeshoua pour s’adresser à Dieu et c’est ce mot là que
l’on retrouve dans chacune de ses prières….
Le mot Abba est considéré comme ipsissima vox, une des rares paroles reconnues
comme originales et authentiques, n’appartenant qu’à Yeshoua seul…C’est elle qu’il
nous transmet afin que nous entrions ainsi avec lui dans une intimité filiale
avec l’Origine de l’être, de la conscience et de l’amour. » (Jean Yves Leloup p. 82-83)
* On peut dire que la révélation du Père (et
celle de l’Esprit) est vraiment au centre, au cœur de l’enseignement du Christ.
Depuis l’Incarnation
du Fils unique de Dieu, Notre Seigneur Jésus-Christ,
il n’est plus possible de considérer Dieu à distance, comme un être
transcendant et lointain dont on ne sait rien et dont on ne peut prononcer le
Nom.
Mais, par
le Verbe, Il Se révèle comme un Père proche de nous, qui nous aime avec
tendresse et avec lequel nous sommes invités par Jésus à nouer une relation
personnelle et unique à l’image de notre personne unique.
C’est pourquoi Jésus nous invite à Le prier dans notre chambre intérieure, dans
le secret de notre cœur, dans notre chambre intérieure (ci-dessus . Mat .
6-6)
·
Notre Père « Qui es aux cieux » (ou du ciel ou céleste)
Le Père
céleste n’est pas le père terrestre
A différentes
reprises dans les évangiles, la paternité divine est opposée à la paternité
humaine.
Le Père céleste n’est pas le Père terrestre qui, pour les Juifs avait un nom et
un visage : ceux d’Abraham, le père des croyants (Mat 7, 11 et 23, 9
Jean 1,13)
« Nous avons pour père Abraham »
(Luc 3,8)
« Père Abraham » (Luc 16,
24)
« Abraham
est notre père » (Jean 8, 39)
Etc…
Mais
Abraham est mort, et les autres patriarches (pères) aussi !
Le Christ
nous invite à nous tourner vers le seul Vivant : Le Père dont toute vie
provient et vers Qui toute vie retourne. Le Dieu Vivant, le Dieu d’Abraham, d’Isaac
et de Jacob qui avaient reçu de Lui leur propre paternité.
Ce n’est qu’en
se recevant de la Source que la rivière reçoit son courant fluide et son
mouvement, en un mot sa vie.
Le Christ
en insistant sur l’origine céleste du Père veut le distinguer clairement, dans
l’esprit de ses auditeurs juifs, pour lesquels le nom de Père charnel,
terrestre, du peuple élu évoque inévitablement Abraham.
Le
potentiel véritable de la personne humaine n’est réalisé que dans sa relation
avec d’autres personnes réalisées, c'est-à-dire avec Dieu Lui-même.
* Les « cieux »
ne désignent pas un lieu matériel, localisable (comme le ciel bleu derrière les
nuages).
Ils désignent, de manière métaphorique, la transcendance du Père céleste, son
caractère incréé, inaccessible, incompréhensible...
Le Père n’est pas localisable. Rien ne peut le contenir, Lui qui contient tout
et tous.
« Les cieux sont en Dieu plus que Dieu n’est
dans les cieux car l’ailleurs auquel nous aspirons n’est pas un lieu mais un
mystère infini d’échange d’amour » (Airaud)
Dans le
Principe (c'est-à-dire le Père), Dieu n’habite pas sur terre qui, elle, est
bien un lieu, un milieu, celui des créatures.
Quand on
emploie, dans la Bible et dans la liturgie, l’expression « au ciel, sur
terre et dans les enfers », il ne s’agit pas de trois lieux mais de
trois états distincts auxquels l’homme peut accéder : l’union avec Dieu
(le Ciel), la séparation d’avec Dieu (l’enfer ou les enfers), et le milieu des
créatures humaines et de leur rencontre avec le Créateur, le lieu de l’Incarnation
(la terre).
Les cieux désignent
aussi le « lieu » des anges qui louent éternellement le Père (et le
Fils et l’Esprit Saint)
« Dire que Dieu est aux cieux, c’est
donner à toute notre vie une direction qui dépasse la terre. » (Un moine de l’Eglise d’Orient
p. 23)
Pourtant
avec l’Incarnation Du Fils de Dieu le créé
(la terre) entre en contact intime avec l’Incréé (les cieux), la « terre »
avec le « ciel ».
* Il est d’ailleurs
utile de relever, comme le fait JY Leloup, que le lien entre le ciel et la
terre, entre l’incréé et le créé, l’être humain et Dieu le Père, le Silence et
le Verbe… est évoqué dans le nom même de père, en araméen, car « ABBA »
est formé des lettres Aleph et Beth
les deux premières de l’alphabet hébreu.
Or
« Aleph symbolise l’ineffable, le
silence, l’Incréé et Beth symbolise la demeure de l’être …sa manifestation, sa
création…Tenir ensemble ces deux lettres, c’est, d’une certaine façon tenir
ensemble le créé et l’incréé, la parole et le silence, le manifesté et le caché,
l’infini et le fini, l’éternité et le temps » (JY Leloup p 84) .
Ainsi, dans
les deux lettres du Nom « Abba » L’Incarnation divine et la déification
humaine se manifestent déjà, en filigrane.
Et le ciel
descendu sur terre peut entrer dans nos cœurs, Temple et Trône de Dieu
« C’est avec raison que ces paroles « Notre
Père qui es aux cieux » s’entendent du cœur des justes, où Dieu habite
dans son temple. Par là aussi, celui qui prie désirera voir habiter en lui
Celui qu’il invoque » (St Augustin – Sermon Dom. 2, 5, 18).
* La paternité divine n’est pas un
anthropomorphisme :
L’homme ne
projette pas sur Dieu ce qu’il connaît comme l’affirment les philosophes athées.
Ce n’est
pas nous qui avons appelé Dieu « Père, car c’est le Fils divin Lui-même
qui Le nomme ainsi et nous invite à le faire à sa suite
Dieu est
tellement Père, et « Le » seul
véritablement Père, que Jésus nous recommande de n’appeler personne
père, sur terre, mais de réserver ce nom au seul Père céleste :
« N’appelez personne sur la terre votre père car vous n’en avez qu’un seul le Père céleste »
(Mat 23, 9)
Ce n’est
donc pas la paternité humaine qui sert de modèle à la paternité divine. Mais la
paternité humaine est, au contraire, une
image, un reflet de la Paternité divine.
On pourrait
plutôt parler d’un « theo-morphisme » de la paternité humaine!
Ceci n’est
pas sans conséquence : si la paternité humaine est à l’image de la
paternité divine, elle doit tendre vers son modèle, en revêtir les qualités :
non seulement l’engendrement initial, mais l’éducation, la tendresse, la miséricorde,
le pardon, le dépouillement…
Nous verrons plus loin ce que cela
signifie.
« Le seul Père absolu est le Père des
cieux et toute paternité sur terre est mesurée par la paternité divine…Ce n’est
pas le Père céleste qui tire son nom des pères de la terre, mais les pères de
la terre qui tire leur nom du Père céleste…Exercer la paternité ici-bas, c’est
contempler la paternité de Dieu…alliant la justice et l’amour. » (Airaud)
« Jésus-Christ est le donateur et le
garant de la paternité divine, et de notre filialité…C’est pourquoi cette
paternité et cette filiation sont incomparablement supérieurs à tout autre, à
tout ce que nous appelons « père » « fils », « enfants ».
Ces relations humaines ne sont pas l’original dont l’autre serait l’image ou le
symbole. L’original, la vraie paternité, elles sont dans ces liens que Dieu a
créés entre Lui et nous. Tout ce qui existe entre nous n’est que l’image de
cette filialité originelle. Quand nous appelons Dieu « Notre Père »,
nous ne tombons pas dans le symbolisme, mais nous sommes dans la pleine réalité
de ces deux mots : père et fils » (Karl Barth – La prière d’après
les catéchismes de la Réforme pages 24-25)
* On peut se demander , à la lumière de
la Révélation biblique et, en particulier de celle, bouleversante, de la
paternité de Dieu: qu’est-ce qu’être père ?
Une
remarque initiale
doit être faite :
quand la
Bible parle de paternité, c’est évidemment en dehors de toute question de genre
(masculin ou féminin), puisque Dieu n’a pas de corps (avant l’Incarnation) et
donc pas de sexe.
La paternité,
comme la maternité, évoque avant tout la puissance créatrice, l’engendrement, l’enfantement,
la fécondité.
Si nous
appelons Dieu Père plutôt que Mère, comme le Christ nous l’enseigne, nous
devons nous débarrasser de notre perception habituelle et limitée de la « paternité
mâle » et laisser monter en nous
une autre sensation : celle du Divin qui engendre comme une Mère, dont la
Bible évoque d’ailleurs à diverses reprises les « entrailles maternelles »
(Rah ‘amin, pluriel de Rehem, qui signifie la matrice, le ventre matrenel)
et la Miséricorde.
Ne nous
bloquons donc pas dans une perception étriquée de la Personne du Père, mais
tentons d’expérimenter que la Première Personne de la Trinité est Mère autant
que Père.
Je vous
invite à ne pas perdre cette réalité de vue tout au long de la lecture de ce qui
suit.
* Cette
remarque importante étant faite, tâchons d’approfondir ce qu’est la « paternité »
divine sans jamais oublier que paternité et maternité, au sens métaphysique,
sont intimement liés et indissociables.
Mais pour
nous plier à l’usage traditionnel, tel qu’il apparaît dans le « Notre Père »
nous continuerons à employer le vocable de « Père ».
* Comment
pouvons-nous approcher de la Paternité divine ? Comment parler avec nos
pauvres mots et notre intelligence limitée d’une Réalité qui nous dépasse
tellement ?
Elle est hors du temps et de l’espace, étrangère à la matière…
N’est-il
pas présomptueux de s’aventurer dans ces eaux, fussent-elles bénies ?
Comme le rappelle avec une certaine ironie St Grégoire de Nazianze, nous ne
pouvons « traiter en physiologistes la génération du Fils »
(et la procession de l’Esprit) par le Père pour ne pas « être frappés
de folie pour avoir regardé sournoisement les mystères de Dieu’ »
Discours 20 et 31) :
Bien
conscients des limites de notre entendement, nous pouvons tout de même avancer
quelques mots qui s’appuient sur les paroles du Christ et sur la pensée des pères
de l’Eglise.
* D’abord,
bien sûr, fondamentalement, être Père c’est engendrer un autre.
C’est ce
que dit le psaume 2 que nous chantons à Noël :
« Le Seigneur m’a dit : Tu es mon
Fils, je t’ai engendré aujourd’hui »
Ou l’hymne
que nous chantons à la pentecôte :
« De toute éternité le Père
engendre le Fils éternel et Roi »
Et celui de
l’Avent :
« Avant l’aurore de la création,
engendré par le Père éternel …».
La paternité
divine manifeste la fécondité de Dieu.
Contrairement au Dieu des philosophes, immobile dans sa perfection, intangible,
immuable…le Dieu biblique est Vivant : Il engendre (et crée) par amour
extatique.
D’ailleurs
des hérésies comme l’arianisme par exemple, qui niait la divinité du Fils,
refusait la fécondité de Dieu et l’engendrement d’une autre Personne divine (Le
Fils) car cela portait atteinte à l’immuabilité de Dieu.
Les ariens
prônaient un Dieu stérile isolé dans sa transcendance.
Cette fécondité
du Père fait de Lui, le Principe, la Source, l’Origine de tout être (y
compris les deux autres Personnes divines) et de toutes choses :
« Tout
est DE Lui » écrit St Paul.
* Mais, et
c’est aussi un caractère fondamental de la Paternité divine, (et des paternités
humaines conduites jusqu’à leur accomplissement ultime), Jésus et la tradition
chrétienne affirment que le Père divin Se donne totalement au Fils. Il S’efface
au profit du Fils auquel Il donne tout.
C’est cette
réalité qu’évoque le Christ quand il dit :
« Tout ce que possède le Père
est à moi » (Jean 16, 15)
« Qui m’a vu a vu le Père »
(Jean 14, 9)
« Le Père a remis tout pouvoir de juger au
Fils » (Jean
5, 22 et 27)
« Mon Père me glorifie » (Jean 8, 54)
« La gloire du Fils unique est donnée par
le Père »
(Jean 1,14 et 12, 28, et 17, 22-24)
L’amour du
Père pour le Fils le pousse à lui donner tout ce qu’Il a et tout ce qu’Il est, à
se vider de Lui-même totalement dans le Fils :
« L’amour du Père, c’est de désirer l’existence
d’un autre que Lui-même, de se retrancher volontairement. Il S’efface en
donnant l’existence à un autre que Lui-même. Cependant Il donne tout ce qu’Il a
et tout ce qu’Il est, non pas en le morcelant, mais en se donnant totalement,
sans restriction…Ne gardant rien pour Soi, le Père se vide de Lui-même ;
afin de se posséder, non pas en Soi mais hors de Soi.
Le Père donne tout ce qu’Il a et tout ce qu’Il
est au Fils et à l’Esprit, de sorte qu’Ils aient sa nature comme la leur propre…
Il confère ainsi de toute éternité l’égalité au Fils qui siège à la droite du Père
avant tous les siècles. …L’abnégation du Père a pour fruit l’égalité des
Personnes divines. »
Père Marc Antoine Costa de Beauregard – La pensée
orthodoxe page 147 et svtes)
On
pourrait, de manière sans doute un peu prosaïque et boiteuse, comparer le Père à
un sac de grains qui se viderait complètement sur la terre (le Fils et l’Esprit)
où le grain germerait, prendrait racine, s’épanouirait en épi pour produire du
nouveau grain qui retournerait dans le sac qui à nouveau se viderait pour
produire une nouvelle récolte et cela à l’infini…
Ou encore à
une source cachée dans la terre qui sourd et produit un ruisseau qui irrigue la
terre et s’évapore en nuages qui font pleuvoir et alimentent la source qui,
elle-même, à nouveau…
Nous
touchons ici à une réalité fondamentale de la vie spirituelle et de la foi
chrétienne : la kénose.
Le terme kénose
vient du grec « kenosis » (adjectif qui signifie vide, dépouillé…) ou
de « Kenoo » (qui signifie se vider, se dépouiller, s’anéantir…) ou
encore « ekenosen » (dans l’épitre aux Philippiens 2, 6) (Le
Christ s’est anéanti Lui-même)
La kénose
est la caractéristique fondamentale des Personnes réalisées, c'est-à-dire des Personnes divines.
La kénose désigne
l’attitude de don total de la personne qui se vide, s’anéantit, pour que l’autre
personne soit.
« Pour vivre dans l’autre personne par
l’amour, la personne se vide d’elle-même et reçoit l’autre en son être…l’hypostase
se vide d’elle-même dans un amour kénotique
envers l’autre hypostase, offrant à cette dernière la plénitude de son être.
Ainsi, dans l’éternel engendrement du Fils, le Père Lui donne tout ce qu’Il a
Lui-même dans la plénitude de son Être éternel.
L’accueil de l’autre en soi engage le moi à s’abaisser
et à devenir « transparent »…la transparence implique l’absence de
toute forme de réservation personnelle. La capacité absolue de donner et de
recevoir constitue l’unité absolue de l’Être divin où l’unité des Personnes n’est
donc pas statique mais éternellement dynamique. »
(N. Sakharov - J’aime donc je suis p. 79-80)
* Il y a
une kénose du Père comme il y a une kénose du Fils, et aussi une kénose
de l’Esprit Saint.
* Vis-à-vis
du Fils, dans la vie divine, la kénose du Père se manifeste par l’engendrement
et le don total que le Père fait de Lui-même au Fils (et aussi à l’Esprit)
« Le Père se vide complètement dans la
génération du Fils. Quant au Fils, Il rend tout au Père » (Père
Sophrony – La prière de Gethsémani)
« La paternité c’est l’image de l’amour où celui qui aime veut se
posséder non pas en soi-même mais hors de soi, pour donner son moi à cet autre
moi…Engendrer, pour le Père, c’est Se dévaster, Se donner Soi et ce qui est
sien à un Autre...
La filialité spirituelle consiste en ce que le Fils S’épuise Soi même au nom du
Père. La filialité est déjà l’éternelle kénose « (Serge Boulgakov -
Du Verbe incarné p. 17-18)
* Vis-à-vis
de la création, cet effacement du Père, qui est sa manière fondamentale d’être,
s’exprime par le fait que c’est le Fils unique, Jésus le Christ qui s’incarne.
Le Père a
tout donné tout au Fils et n’apparaît, ne se révèle aux hommes qu’à travers
Lui. Le Père demeure mystérieusement caché et ne Se révèle que par le Fils.
Le Père est
non manifesté : le Fils le manifeste.
Le Père est
silence : le Fils est Sa parole (son Verbe, son Logos)
Le Père est
invisible : le Fils est son Image, son Icône.
On ne peut
connaître le Père que par le Fils (et dans l’Esprit Saint qui nous ouvre le cœur
et l’intelligence). C’est le sens de ces paroles du Christ ;
« Personne
ne connaît le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils a bien voulu le révéler. »
(Mat. 11, 25)
« Le Fils unique qui est dans le sein du Père est celui qui l’a fait
connaître » (Jean 1,18)
Le Christ
affirme ainsi une quasi-identité entre Lui et le Père : identité non de
personne, mais de volonté, d’action, d’amour….
Ils sont
distincts mais tellement unis, tellement proches qu’Il peut affirmer:
« Le Père et moi sommes un. »
(Jean 10, 30)
« Qui m’a vu a vu le Père. » (Jean 14, 9)
« Le Père est en moi et moi dans le Père »
(Jean 10, 38)
Nous
touchons ici au mystère de la transparence des personnes divines, qui sont le
miroir l’une de l’autre, qui se donnent et se reçoivent sans cesse l’une de l’autre.
*
* Après
la question de la Paternité que nous venons d’effleurer (car ce mystère est
insondable et dépasse de loin nos pauvres mots) vient tout naturellement celle
de la filiation.
« Le mystère de la paternité et le mystère
de la filiation sont corrélatifs ; vous ne pouvez connaître le Père à
moins de connaître le Fils, pas plus que vous ne pouvez connaître le Fils si vous ne connaissez le Père »
(Antoine Bloom - Prière vivante , p. 48)
A nouveau,
nous ne pouvons que tourner notre regard vers le Christ, le Fils parfait qui
exprime et manifeste le Père en chacune de ses paroles, chacun de ses actes.
* Or, qu’est-ce
qu’être Fils pour Jésus ? Comment agit-il comme Fils ?
Nous venons
de rappeler que le rôle du Fils (du moins dans le monde créé), c’est d’être
Parole sortie du Silence, Manifestation sortie du Non-manifesté, Incarnation
sortie de l’Incréé, Image du Dieu invisible.
« Je parle selon ce que le Père m’a
enseigné. » (Jena 8,28)
« Qui m’a vu a vu le Père. »
(Jean 14, 9)
Dans sa prière
sacerdotale, Jésus résume sa mission en disant qu’Il a fait connaître et
manifesté aux hommes le Nom du Père, c'est-à-dire son existence, son être, sa
Face et son union intime avec Lui. (Jean 17)
« Pour connaître le Père nous devons écouter
Jésus-Christ. C’est lui qui nous introduit doucement dans l’intimité de Celui
qui est son Père et notre Père. Nul ne connaîtra le Père si ce n’est par le
Fils et dans le Fils » (Un moine de l’Eglise d’Orient – Notre Père, p.16)
Pour
devenir fils « actifs » du Père (c'est-à-dire pour vivre de
manière concrète et réelle cette
filiation, car nous ses fils, nous le sommes nécessairement, mais cela peut
rester à l’état larvaire et théorique, comme une pure potentialité – comme nos
personnes qui sont en nous mais peuvent rester potentielles, non réalisées),
nous devons regarder vivre le Christ et, comme lui, accorder sans cesse notre
volonté à celle du Père comme Jésus n’a cessé de le faire pour accomplir
celle-ci en permanence :
«
Ma nourriture, c’est d’accomplir la volonté de mon Père qui m’a envoyé » (Jean
4, 34)
« Père… non pas ce que je veux
mais ce que tu veux ! »
(Mat 26, 39)
Il ne s’agit
pas ici d’une obéissance subie, d’une soumission servile et résignée,
mais de l’accord fondamental (comme l’harmonie d’un accord parfait en musique)
de deux (et même trois) Personnes divines qui n’ont qu’un seul vouloir, une
seule action, un seul amour.
Car elles
vivent dans une symbiose, un don total et constant l’une à l’autre, une
communion d’amour que nous n’avons pas de mots pour décrire.
« La vie en Dieu est la circulation d’un
amour infini entre les trois Personnes. Et voici que dans leur générosité, les
Trois Personnes ouvrent leur cercle parfait d’amour et veulent nous y
accueillir.
Car le destin de l’homme sauvé est d’être à jamais
introduit après la mort dans la vie divine et d’y participer. » (Un moine de l’Eglise d’Orient p.
14)
* Sans
oublier, dans cette « danse en rond » (traduction du mot « périchorèse »)
trinitaire, la Personne tout aussi essentielle du Saint Esprit.
Car, sans
le Saint Esprit, nous ne pourrions même pas prier, ni connaître le Père et le
Fils.
Nous
tourner vers le Père, c’est être inspiré par l’Esprit qui, en nous, murmure « Abba »
« Père » ! nous rappelle St Paul.
Nous
laisser « irradier » combler par les énergies incréées du Père, par
son amour sans limite.
« Parce que vous êtes fils, Dieu a envoyé
dans nos coeurs l’Esprit de son Fils qui crie « Abba » ! Père ! » (Gal 4-6)
« Nous avons reçu un Esprit d’adoption,
par lequel nous crions : Abba ! Père ! L’esprit Lui-même rend témoignage
à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu (le Père) » (Rom 8, 15-16)
Nous
entrons alors dans la communion de la Divine Trinité en priant le Père
comme nous l’a montré et enseigné le Fils, sous l’inspiration et le souffle de
l’Esprit Saint.
* Mais
cette réception de la Présence divine n’est possible que par notre propre kénose
à l’image de celle du Fils.
Notre ouverture, notre accueil, notre humilité. Notre « anéantissement »
à tout ce qui en nous fait barrage, fait obstacle à la circulation de la grâce.
Nous devons nous vider de nos soucis, lutter contre notre convoitise, notre
auto-suffisance, notre égocentrisme individuel tourné vers son propre néant.
L’accueil
de l’autre en soi engage le moi à s’abaisser et à devenir transparent
écrit Nicolas Sakharov (citation ci-dessus)
On ne peut
recevoir, accueillir l’autre dans sa plénitude que si l’on fait de l’espace en
soi, en nettoyant en profondeur sa maison intérieure, en créant un vide
susceptible d’accueillir un plein.
« La profondeur de l’expérience
de la grâce dépend de l’intensité de la kénose » (Sakharov p 112)
comme dans
la Passion du Christ qui anticipe et rend possible sa résurrection et sa
glorification.
* Il me paraît fondamental que chacun de nous se
pose cette question :
Quelle est
ma perception personnelle de Dieu ?
Est-ce que
je le ressens comme un Père tout proche, qui m’aime et prend soin de moi,
… ou comme un maître exigeant, voire un tyran …
ou comme
une entité abstraite impersonnelle et inconnaissable (le divin), éloignée de la
vie humaine ?
La réponse
du Christ est évidente et bouleversante : Dieu est Père, mon Père, notre Père
et nous pouvons nouer avec Lui une relation de confiance, d’abandon, d’amour…
Nous
pouvons dire avec un moine de l’Eglise d’Orient (Père Lev Gillet) :
« Il est difficile de nous représenter
le Père. Peut-être nous approcherons-nous de la vérité si nous pensons au Père
comme à un coeur dont chaque battement est un acte infini d’amour, comme à la
Tendresse première qui enveloppe tout ce qui existe. » (Notre Père p. 15)
*
Jésus ne se
borne pas à accomplir son rôle de Fils du Père céleste.
Il étend
cette filiation à tous les hommes. Il fait de nous des fils du Père.
Il nous révèle
notre filiation divine
« Je serai pour eux un Père et ils seront
pour moi des fils et des filles » (2 Cor. 6,16-18)
A diverses
reprises Jésus appelle Dieu non seulement « son » Père mais «ton »
Père, votre « Père » :
« Ton
Père qui voit dans le secret »
« Votre
Père qui donne de bonnes choses à ses enfants »
« Votre
Père sait ce dont vous avez besoin »
Si le Père
céleste est mon Père, notre Père à tous, nous sommes ses enfants.
Quelle joie
de se découvrir fils et filles de Dieu, frères et sœurs du Christ !
« Le sauveur nous introduit dans une
relation tout nouvelle avec Dieu et nous entraîne à sa suite à proclamer avec
joie cette filiation divine à laquelle tous les hommes sont appelés »
(Airaud)
Jésus ouvre mes yeux et mon cœur à cette
intimité que j’ignorais jusque là.
Et découvrir,
grâce au Christ une telle intimité est une sorte de création, d’enfantement »
(Daniel Bourguet - Approches du Notre Père, page 30)
« Voyez quel amour le Père nous a témoigné
pour que nous soyons appelés enfants de Dieu ! Et nous le sommes. Si le
monde ne nous connaît pas, c’est qu’il ne L’a pas connu.
Bien-aimés, nous sommes maintenant enfants de Dieu…Lorsque cela sera manifesté,
nous serons semblables à Lui parce que nous Le verrons tel qu’Il est »
(1 Jean 3, 1-2)
Nous sommes
les enfants d’un même Père. Nous venons de Lui, le Père céleste. Nous recevons
tout de Lui. Nous sommes de Sa famille.
Et nous
sommes appelés à devenir un avec le Père, Le Fils, le Saint Esprit !
Quelle audace ! Quel projet inouï !
« La méditation intense du Notre Père,
c'est-à-dire de notre adoption dans le Christ, peut nous faire, un instant,
sortir du temps pour participer à l’éternelle relation d’amour du Père et du Fils » (Olivier Clément – Sources p. 187)
Et c’est
bien la prière du Christ, le vœu ardent qu’Il exprime juste avant sa Passion :
« Toi et moi sommes un, qu’ils soient
un comme nous sommes un » (Jean 17).
Nous sommes
promis à la filiation et à la vie divine. Nous sommes introduits par le Christ
dans son intimité avec le Père en devenant ses fils et ses filles.
* Nous ?
Pas seulement les chrétiens bien sûr, mais
tous les êtres humains qui se tournent vers le Père.
D’ailleurs,
faut-il avoir conscience d’être fils pour l’être ?
Car il est évident
que tous les êtres humains n’en ont pas (encore) pris conscience, ou refusent
toute référence à Dieu et, plus encore à un Dieu Père.
Si Dieu est
Père parce qu’Il est créateur, parce qu’Il donne la vie et aime chacun de ses
enfants, il me semble évident qu’Il ne renie aucun et qu’Il les aime tous de
manière égale, d’un amour inconditionnel (comme le montre la parabole de la
Brebis perdue).
Il est et reste le Père de tous les hommes, que ceux-ci le sachent ou non, qu’ils
l’acceptent ou pas.
Cependant,
nous pouvons ne pas percevoir Dieu comme un Père, mais le considérer comme un
Maître et rester dans une mentalité d’esclave ou de serviteur qui attend de son
maître la sécurité, la protection ou le salaire (comme des mercenaires),
Mais nous
pouvons aussi, et c’est à cela que le Christ nous invite, prendre conscience de notre qualité de fils
et de filles et nouer avec Dieu une relation d’amour reconnaissant.
Ce qui
importe au serviteur, c’est la rétribution (donnant-donnant).
Ce qui est essentiel pour le fils (fille), ou l’ami(e) ou le frère (la sœur), c’est
la relation gratuite de personne à personne. C’est aussi l’enthousiasme, le désir
d’être ensemble.
C’est cette
réalité que le Christ évoque lorsqu’à la fin de sa vie de partage fraternel
avec ses disciples, la veille de sa Passion, il leur dit :
« Aimez- vous les uns les autres comme
je vous ai aimés » (Jean 13, 34)
« Je ne vous appelle plus serviteurs
car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître, je vous appelle amis parce
que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon Père. »
(Jean 15, 15)
Nous sommes
invités par le Christ à « passer de la condition servile à celle de
fils adoptifs », comme l’écrit St Jean Cassien (Conférences IX ,
18).
Invités à retrouver cette filiation essentielle oubliée, rejetée même
avec vigueur ou de manière inconsciente par beaucoup de nos contemporains.
Parce que
la reconnaissance de cette dépendance heurte le sentiment dominant d’autonomie,
d’individualisme, d’autosuffisance qui fait fureur à notre époque.
Notre époque
qu’un philosophe, décrivant l’individualisme contemporain, appelle « l’ère
du vide » (Gilles Lipovetski).
* Dire que
nous sommes fils et filles de Dieu, est-ce une simple figure de style ou une manière
symbolique de parler ? Comme la Bible qui appelait Adam fils de Dieu
(c'est-à-dire créé par Lui) ?
Non !
Car se reconnaître fils et filles, accepter d’être les enfants du Père céleste,
c’est, en fin de compte, admettre que nous sommes dépendants de Lui, que
nous recevons la vie d’un Autre (Père, Mère) et que nous acceptons avec joie
cette dépendance et que nous en sommes comblés !
Si le fait de se savoir fils ou filles de nos parents biologiques n’est pas
difficile à admettre (on ne peut nier la réalité de la génération et de la
famille humaine), cela bloque déjà nettement plus souvent sur le plan
psychologique.
Il est
inutile de rappeler ici tous rejets et les conflits que peuvent susciter la
paternité- maternité humaine sur le plan psychique…
Ce qui va d’ailleurs
engendrer d’autres difficultés quand il s’agira de reconnaître une paternité
(ou maternité) spirituelle…
En effet,
beaucoup de personnes refusent la paternité divine (et spirituelle), car
elles projettent sur le Père céleste les difficultés, les blocages, les
souffrances, les traumatismes vécus avec leur père (ou leur mère)
biologique(s).
En
particulier, l’image du père (son archétype) peut être dégradée dans la
conscience (ou l’inconscient) humain car beaucoup d’enfants ont souffert d’un père
autoritaire ou abusif, violent ou, au contraire, absent.
Et ils
projettent inconsciemment sur Dieu le Père le ressentiment ou le manque qu’ils
ont vécu avec leur père terrestre
Olivier Clément
affirmait qu’un des drames de notre époque, c’est le refus de la paternité, le
rejet de la transmission (il faut être « interactif ou ne pas être » !),
le dénigrement de la tradition, le refus de la dépendance à l’égard de ceux ou
celles qui nous ont précédés.
Nous devons
nous guérir, avec l’aide du Christ et la grâce de l’Esprit Saint, de cette
projection psychologique, et retrouver le sens profond de la paternité et de la
filiation en regardant comment le Christ vit sa relation avec le Père.
Dans l’abandon,
la confiance totale. Dans la kénose propre à la personne comme nous l’avons déjà
évoqué.
Devenir
Fils et Filles du Père, c’est entrer dans la kénose du Christ : nous
effacer, nous ouvrir, nous vider pour nous emplir de la Présence de Dieu,
accepter ses Dons, discerner et accomplir sa volonté, nous laisser conduire,
guider, inspirer à chaque instant, dans nos pensées, nos paroles, nos actions
et …notre silence.
*
Retrouver notre filiation oubliée, c’est nous jeter dans les bras du Père comme
le fils prodigue. C’est
admettre notre faiblesse, notre dépendance. Et aussi notre égarement, notre éloignement
inconscient. Notre rupture… C’est renoncer à l’orgueil de l’autosuffisance, à l’illusion
de l’autonomie individualiste.
Cette attitude rend à l’homme sa véritable dimension de « personne »
(hypostase) et de fils (ou fille), c'est-à-dire de celui ou celle qui reçoit la
vie d’un Autre, qui en prend pleinement conscience et qui, en retour, bénit le
Père et Lui rend grâce pour ce don.
* C’est aussi restaurer, raviver, notre désir de nous unir à Dieu. Nous
tournant vers Lui dans une attitude d’ouverture totale, de gratitude infinie
:
« O Dieu, mon Dieu, (Père), je te
cherche dès l’aurore, mon âme a soif de Toi. » (Psaume 63)
« Le désir de Dieu est fondamental dans
notre prière et dans la vie spirituelle chrétienne.
Trouver Dieu consiste à Le chercher sans cesse.
C’est vraiment voir Dieu que de n’être jamais rassasié de Le désirer », écrit St Grégoire de Nysse (Homélie
sur le Cantique).
« Ma prière c’est mon désir, disait St
Augustin ; l’important dans la prière ce ne sont pas les mots mais le désir
qui les habite…L’homme est un être de désir, sans ce désir d’être, rien n’existe,
nous ne serions pas là...Il y a en nous un désir qui ne cherche pas à être
comblé par un objet et il s’agira de
veiller sur lui pour ne pas faire de Dieu « le bon objet » qui
pourrait servir à cet usage et combler nos manques. Mon désir, c’est ma prière…Désirer
l’autre c’est le vouloir pour ce qu’il est et ce que je ne suis pas…Prier c’est
accéder à une conscience de plus en plus vivante qu’il nous est possible de désirer
quelqu’un pour lui-même « (Jean Yves Leloup – op. cit. pages 35
et 37).
S’il est
prononcé avec l’amour d’un fils, d’une fille qui parle à son Père, ces deux
petits mots : « Notre Père » sont, à eux seuls, une prière intense
qui se suffit à elle-même.
Nul n’est
besoin de se répandre dans des centaines de phrases, il suffit de nous tourner
avec confiance vers le Père et de prononcer son Nom avec tendresse et
reconnaissance.
« L’excellence de la prière ne consiste
pas dans la quantité mais dans la qualité…Mieux vaut un seul mot dans l’intimité
que mille dans l’éloignement…
Notre Père qui es aux cieux : cette parole est de ceux qui ont intimité
avec Dieu comme un fils sur le sein de son père. » (Evagre le Pontique)
* La filiation divine du Christ est de toute éternité, elle est sans
commencement et sans fin.
« Et en Jésus Christ Fils unique de
Dieu, né du Père avant tous les siècles… » (Credo)
« Le Seigneur m’a dit Tu es mon Fils, je t’ai
engendré aujourd’hui » (Psaume 2).
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé qui a
toute ma faveur »
(Marc
1, 11 et 9, 7)
* Notre
filiation commence à l’Incarnation du Fils et passe par Lui, le seul Médiateur.
Notre Seigneur Jésus, Fils unique du Père, nous élève à la dignité inouïe de frères
et sœurs d’un être de nature divine.
« Nous devenons par participation ce
que le Christ est de naissance. C’est en devenant membres du Christ que nous
devenons fils de Dieu » (Antoine Bloom p. 48)
Nous sommes
unis à Lui :
- par le
baptême qui nous incorpore à son corps, l’Eglise visible et invisible.
- par l’eucharistie
qui fait couler dans nos veines le sang même du Christ, qui greffe dans nos
cellules la sève des énergies divines incréées.
* Nous
devenons Fils d’adoption de Dieu notre Père.
La
filiation du Fils unique, le Verbe divin, est de toute éternité « Avant l’Aurore
de la création… ».
Elle est hors de notre espace-temps.
Notre filiation commence avec l’Incarnation du Fils mais elle est et sera éternelle.
« Dieu (le Père) a envoyé son Fils, né d’une
femme…afin que nous recevions l’adoption. Et parce que vous êtes ses fils, Dieu
a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie Abba ! Père !
Ainsi tu n’es plus esclave mais fils, et si tu es fils, tu es aussi héritier
par la grâce de Dieu » (Gal 4, 4-7)
« Béni soit Dieu, le Père de Notre
Seigneur Jésus-Christ, qui nous a destinés dans son amour à être ses enfants d’adoption
par Jésus-Christ… » (Eph 1, 3-6)
« A
tous ceux qui l’ont reçue (la Lumière
du Verbe), à ceux qui croient en son Nom, elle a donné le pouvoir de devenir
enfants de Dieu » (Jean 1,12)
Quand je
prie Notre Père, je me reconnais comme membre d’une famille, de la fraternité des enfants du même Père céleste
Le fait que
nous devenions des fils et filles d’adoption n’implique pas une qualité
moindre, un peu dégradée, comme celle de « fils et filles de seconde zone »
(comme dans le droit civil qui distingue les enfants légitimes des illégitimes).
Ce n’est
pas non plus une simple métaphore, une sorte de pâle imitation de la filiation
du Fils unique de Dieu.
Le Christ
nous a élevés à la dignité de Fils de Dieu, de Frères et de Sœurs en Christ. Il
nous partage avec nous sa dignité de Fils de Dieu pour nous élever vers le Père
qui nous aime tendrement, comme Jésus Lui même nous aime (Jean 16, 27)
« Le Père Lui-même vous aime parce que
vous m’avez aimé et que vous avez
cru que je suis sorti de Dieu » (Jean 16, 27)
« Celui qui m’aime sera aimé de mon Père »…Si
quelqu’un m’aime, il gardera ma Parole et mon Père l’aimera…Nous viendrons à
lui et nous ferons en Lui notre demeure » (Jean 14, 21 et 23).
« Je leur ai fait connaître ton Nom…afin
que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et que je sois en eux » (Jean
17, 26)
Jésus nous
enseigne que Son Père est Notre Père, et que nous sommes tous frères, dans de
multiples passages, tels par exemple :
« Vous êtes tous des frères …car vous
avez le même Père céleste » (Mat 23, 8-9).
« Je monte vers mon Père et votre Père » (Jean 20, 17).
« Le Père les (nous) a destinés à être
semblables à l’image de son Fils, afin que son Fils fût le premier-né entre
plusieurs frères » (Rom 8, 29)
« Le sauveur nous introduit dans une
relation tout nouvelle avec Dieu et nous entraîne à sa suite à proclamer avec
joie cette filiation divine à laquelle tous les hommes sont appelés » (Airaud)
L’adjectif Notre
(Père) (qui n’apparaît que dans St Matthieu, mais qui est confirmé par de
nombreux autres passages des évangiles) apporte une caractéristique essentielle
à la prière : sa dimension collective, ecclésiale, fraternelle.
Cet
adjectif « notre » qui qualifie le Père céleste est d’ailleurs répété
en écho à plusieurs reprises dans la Prière, ainsi dans les expressions :
« notre
Pain substantiel »… « nos dettes » … « nos débiteurs »…
« ne permets que nous entrions… »… « délivre-nous ».
« Quand je dis le Notre Père avec sincérité
en ne pensant à personne, en pensant
simplement à Dieu, ce sont tous mes frères humains contemporains avec leurs
souffrances, que je prends dans ma prière, que je rassemble dans ce « notre ».
Je déborde les limites de mon moi » ((CH. Journet – « Notre Père qui es au cieux » p. 39)
On ne réalise
sans doute pas à notre époque égalitariste (du moins en paroles…) le bouleversement
des mentalités et les difficultés concrètes provoqués, dans les premiers siècles
du christianisme, par la prise de
conscience de cette fraternité en Christ.
« Devant ce Père, le riche et le pauvre
sont frères ; devant ce Père, le maître et l’esclave sont frères, devant
ce Père, le général et le simple soldat sont frères, les fidèles chrétiens,
tous tant qu’ils sont, ont sur terre des pères de conditions diverses, les uns
nobles, les autres sans notoriété, mais ils invoquent tous un seul Père qui est
dans les cieux. » (St Augustin , Sermon 59)
Être frères
et sœurs, c’est être unis entre nous par des liens plus forts que des liens
affectifs ou familiaux. Ce n’est pas de l’amitié. On peut être unis par des
liens fraternels sans être amis (et inversément) ; nous en faisons chaque
jour l’expérience dans l’Eglise.
Il s’agit d’une communion profonde, qui a pour ciment la fraternité du
Christ, la grâce de l’Esprit saint et l’amour inconditionnel du Père, qui
nous rassemble et nous soude par des liens invisibles au-delà des sentiments ou
de la bonne volonté.
Cette union
entre le Christ et nous est exprimée de manière imagée par St Paul par le
symbolisme des membres du même corps, (l’Eglise) unis à la tête (le Christ).
Et les pères
insistent sur la profondeur de l’union fraternelle qui nous unit sur le plan
ontologique :
« Nous sommes fondus en un seul corps
dans le Christ en nous nourrissant de son corps vivifiant » (Cyrille d’Alexandrie
– Sur St Jean 11, 11)
« Apprenons la merveille de ce
sacrement, le but de son institution, les effets qu’il produit. Nous devenons
un seul corps…membres de sa chair et os de ses os. C’est ce que réalise la
nourriture qu’Il nous donne : Il se mêle à nous afin que nous devenions
une seule réalité, comme un corps joint à sa tête » (Jean Chrysostome –
Sur St Jean Homélie 46)
« Tous reçoivent de l’Eglise une nature
unique, impossible à rompre…Tous se fondent pour ainsi dire les uns dans les
autres, par la force simple et indivisible de la foi. » (Maxime le confesseur – Mystagogie
1).
* Nous
touchons ici à la réalité ecclésiale fondamentale.
Nous ne sommes pas dans l’Eglise avant tout pour participer à de belles
liturgies, pour chanter des offices magnifiques, pour nous rassembler de manière
« priante et sympathique », pour rompre un peu notre solitude, pour
nouer des liens amicaux...
Tout cela est important bien sûr, mais ce qui est fondamental c’est de vivre en
profondeur la fraternité des fils et filles de Dieu, au sens où nous l’avons
exprimé.
Et pour
cela (mais c’est le même chemin !) de devenir des personnes à l’image
des Personnes divines. Pour vivre en inter-relation, en interdépendance les
uns avec les autres, pour partager l’amour « agapé » dont
parle saint Paul où nous sommes appelés à porter les fardeaux les uns des
autres, à pardonner sans cesse, à pleurer avec ceux qui pleurent, à nous réjouir
avec ceux qui se réjouissent, à avoir les mêmes sentiments que ceux du Christ-Jésus...
C’est le
chemin essentiel, ontologique, vers la découverte des nos personnes et la
relation profonde entre les personnes divines et humaines qui nous est proposé
par le Christ, tel que Lui, le Chemin, l’a vécu, l’a montré, l’a incarné…
Une
personne ne peut être seule. Elle ne vit que dans la relation
interpersonnelle, et pour la relation.
La personne requiert toujours la présence d’autres personnes.
C’est dans
la rencontre et le partage avec d’autres personnes que l’être humain se réalise
pleinement. Le potentiel véritable de la personne humaine n’est réalisé que
dans sa relation avec d’autres personnes,
les Personnes divines et les personnes humaines qui sont sur le même
chemin d’éveil à notre humanité véritable.
Et seule la
communion des personnes en relation permet la vraie connaissance, celle du
coeur et ou plutôt des cœurs unis dans un même amour :
« Ce n’est pas dans l’homme
isolé que se trouve l’organe de la connaissance, mais dans l’union, dans la
symphonie des esprits communiant dans l’amour….L’amour va plus profond que la
connaissance…l’amour devient la condition spirituelle de la connaissance »
(P. Evdokimov – Dostoeïvsky et le problème du mal p. 123)
Nous
touchons ici un autre point fondamental de l’enseignement de Jésus :
accueillir Dieu et sa Parole comme des enfants.
A plusieurs
reprises, le Christ donne aux enfants et aux petits (tout-petits) une place d’honneur.
Relisons
par exemple les passages suivants :
Les
disciples l’interrogent :
« Qui est le plus grand dans le Royaume
des cieux ? »
Le Christ
appelle un enfant et le place au milieu d’eux et il leur dit :
« Je vous l’affirme, en vérité, si
vous ne changez pas pour devenir comme des enfants, vous n’entrerez pas dans le
Royaume des cieux…Si quelqu’un se fait petit comme cet enfant, il sera le plus
grand dans le Royaume des cieux » (Mat 18, 1 à 5)
« Laissez les enfants venir à moi. Ne
les empêchez pas. En effet, le Royaume des cieux appartient à ceux qui sont
comme ces enfants…En vérité, si quelqu’un ne reçoit pas le Royaume de Dieu
comme un enfant, cette personne ne pourra jamais y entrer » (Marc 10,
13-16)
« Veillez à ne pas mépriser un seul de
ces petits ! Car je vous le dis : leurs anges dans les cieux
regardent sans cesse la face de mon Père qui est dans les cieux »
(Mat. 18,10)
+ Ce qui
est caché aux sages et aux intelligents (Luc 10, 21)
Pourquoi le
Christ accorde-t-il tant d’importance aux petits enfants et quel rapport cette
question a-t-elle avec notre sujet ?
Dissipons d’abord
un malentendu en répondant à l’objection qui surgit spontanément : il ne s’agit
pas d’idéaliser les enfants et de les confondre avec des angelots purs et sans
tache ! Ce serait faire preuve d’un angélisme naïf.
Nous savons
tous que de multiples défauts peuvent les dévoyer, comme les adultes : égoïsme,
mensonge, jalousie, convoitise, agressivité, violence…
Ce n’est
pas de tels petits êtres humains déjà envahis par les passions dont parle le
Christ.
Il évoque
ici les tout-petits qui ont gardé la pureté du coeur, la naïveté, la spontanéité
de comportement que l’on observe avec émerveillement chez les petits enfants
(le plus souvent avant 3 ou 4 ans).
« Un enfant qui rit et se réjouit est
un rayon du Paradis, une révélation de l’avenir où l’homme deviendra enfin
aussi pur et naïf qu’un enfant » (Dostoeïvsky- l’Adolescent)
Quelles
sont les qualités qui peuvent inciter Jésus à les donner en exemple et à en
faire « les plus grands dans le Royaume des cieux » ?
Nous venons
de le dire : la pureté du coeur, la spontanéité, mais aussi l’enthousiasme,
la faculté d’émerveillement, la sensibilité à la relation affective, aux
images, aux symboles, la fraîcheur, la candeur, l’absence de calcul et de
malice, la transparence, la perméabilité, la faculté d’entrer dans un « coeur
à cœur », sans rationaliser, sans intellectualiser les expériences vécues,
la facilité d’être, de s’investir totalement dans ce qu’ils vivent dans le
moment présent, sans arrière-pensées, l’aptitude à accueillir ce qui vient et
surtout, celui qui vient.
En particulier de nombreux éducateurs, parents, psychologues relatent des expériences
vécues par les petits qui paraissent avoir un contact direct, personnel,
naturel avec le mystère, le Tout Autre, les anges…
« Le monde enfantin est un monde angélique
doué d’une conformité particulière au Christ. « Le sourire d’un enfant est
un rayon du paradis » (Dostoeïvsky). L’innocence des enfants exprime leur
participation à Celui qui est seul sans péché. « (P. Evdokimov - Dostoeïvsky et le problème
du mal- p. 258)
Quand Jésus
nous demande de nous adresser à Dieu comme à un Père, de l’appeler Papa, il réveille
en nous l’esprit d’enfance qui se caractérise par toutes les qualités que je
viens d’énumérer.
Ce qui est
sans doute le plus important dans cette prière, et dans l’attitude que Jésus a
vécue et nous a enseignée, c’est de nous reconnaître des enfants du Père céleste.
De nous
adresser à Lui comme des enfants, avec amour, tendresse, confiance, spontanéité,
enthousiasme. De nouer avec Lui une relation de « coeur à cœur »,
comme un petit enfant le fait avec son père et sa mère.
Ce qui
constitue aussi un enseignement fondamental de cette prière transmise par Jésus,
c’est de nous reconnaître dépendants du Père, comme un enfant l’est vis-à-vis
de ses parents.
De Lui
remettre notre vie, nos projets entre Ses Mains aimantes (Rappelons que les
deux mains du Père sont le Fils et l’Esprit comme l’écrit St Irénée).
« L’esprit d’enfance est affaire de
confiance et de dépendance, autrement dit d’attitude de vie et d’abandon au Père »
(Serge Molla : « Un esprit caché aux sages et aux intelligents »
dans Une spiritualité d’enfant p 103)
Cette
attitude est radicalement opposée à celle que l’on nous inculque souvent
depuis l’enfance : être le meilleur, le premier, le plus rapide, le plus malin,
s’en sortir par soi-même, être auto-suffisant…Dans notre culture d’individualisme
exacerbé, se mettre dans la dépendance de l’autre est une aberration
dangereuse, une faiblesse à éviter…
Combien de
personnes acceptent-elles l’idée de se reconnaître dépendantes de Dieu, de Lui
devoir quoique ce soit ?
Et combien,
même si elles admettent l’existence de Dieu, Le considèrent-elles comme ne
servant qu’à exaucer leurs désirs et leurs demandes personnelles ?
Je Te prie
si Tu m’exauces ! Et si ce n’est pas le cas, je Te rejette ! A quoi
donc sert un Dieu qui ne m’exauce pas ?
Pour le
dire autrement, se reconnaître dépendants de Dieu, du Père céleste, c’est
entrer avec joie et légèreté (quel soulagement !) dans la gratitude (la
louange) et dans la gratuité (je Te prie pour le bonheur de te prier, de m’adresser
à Toi, de t’aimer, non pour recevoir en retour).
Si chaque
jour nous prions « Notre Père » comme le Christ le faisait sans
cesse, dans l’abandon et la confiance, comme un petit enfant rempli de joie et
de tendresse envers ses parents, alors oui, vraiment, notre vie en sera
bouleversée.
C’est le
seul programme, tout petit et tout modeste en apparence, en réalité infiniment
riche et profond, que je nous suggère de mettre en pratique chaque jour pendant
ce carême.
Pour nous
placer dans cette attitude de confiance et d’abandon filial et enfantin, entre
les mains du Père qui nous aime, voici un beau texte d’Isaac le syrien que nous
pouvons lire chaque jour pour nous en imprégner jour avant de prier :
« Quand tu viens devant Dieu par la prière,
sois dans ta pensée comme la fourmi…comme un enfant qui balbutie.
Et ne dis rien devant Lui que tu prétendes savoir.
Mais approche Dieu avec un cœur d’enfant.
Va devant Lui pour recevoir cette sollicitude avec laquelle les pères veillent
sur leurs petits enfants. On l’a dit, le Seigneur garde les petits enfants…
Quand Dieu verra qu’en toute pureté de cœur tu te confies à Lui plus qu’à toi-même,
alors une puissance inconnue de toi viendra faire en toi sa demeure. »
(Isaac
le Syrien 19ème traité ascétique).
ABBA, PÈRE, Papa,
NOTRE Père céleste,
Toi, notre Père qui nous
donnes la vie et l’être,
Nous sommes tes enfants, tes
fils et tes filles.
nous venons de Toi et revenons vers Toi,
comme des enfants prodigues,
nous jeter dans Tes bras.
Père très bon, qui nous aime
avec Tendresse,
Tu nous appelles au cœur de
nous-mêmes,
Dans le Silence de notre
chambre intérieure,
Tu nous attends sans Te
lasser.
Notre Père, notre Créateur
qui remplit la terre et le
ciel de Ta Présence aimante
et qui, pourtant, Te retires
pour que nous existions,
Qui occulte l’éclat de Ta Lumière,
Et Te dépouilles de Ta
splendeur
pour que nous soyions libres
de Te choisir et d’aller vers Toi.
Père céleste,
Qui éternellement engendre ton
Fils, Verbe de Vie,
Ton Image parfaite, Notre
Seigneur Jésus Christ
Lui qui nous révèle Ton
Saint Nom de Père et Ton amour pour nous.
Père des cieux, dont procède l’Esprit
Saint,
L’Esprit de vérité, l’Esprit
consolateur
Par qui nous pouvons Te nommer
Et qui nous communique les énergies
incréées.
Trinité sainte qui nous donne
la Vie,
Nous, tes fils et tes filles,
Nous nous tournons vers Toi
comme des petits enfants
Nous faisons monter vers Toi
un hymne d’amour et de reconnaissance
Et nous Te rendons gloire, Père,
Fils et Saint Esprit,
Maintenant et toujours et aux
siècles des siècles.
Amen
*
* *
Les huit premières pages qui
suivent constituent une reprise partielle (avec quelques variantes, de la première
partie de ce travail, dès lors que les deux parties ont fait l’objet d’un
enseignement oral donné à des dates éloignées dans le temps. Le lecteur qui ne
souhaite pas se rafraîchir la mémoire peut donc sauter directement à la page 41
( « Sur la terre comme au ciel »)
Introduction
Nous
pouvons, au départ, nous remettre en mémoire quelques éléments essentiels déjà évoqués
dans la première partie de ce partage sur la prière du Seigneur, car beaucoup d’eau
a coulé sous les ponts depuis le dernier exposé…
* Cette prière
sublime (mais qui est devenue banale à force d’être répétée machinalement) est celle
de Notre Seigneur Lui-même.
Elle témoigne
de sa relation intime avec Son Père et Notre Père et aussi de sa connaissance
profonde de l’âme humaine et de nos besoins spirituels essentiels.
Cette prière
est donc avant tout un enseignement divin.
Le Notre Père est en soi un chemin spirituel que nous sommes invités à
parcourir et surtout à vivre, à incarner dans notre quotidien.
« La prière du Seigneur n’est pas
seulement une prière mais toute une manière de vivre exprimée en forme de prière :
elle est l’image de la montée progressive de l’âme de l’esclavage vers la
liberté » (Antoine Bloom – Prière vivante p. 23)
La prière n’est
pas destinée à être dite, récitée avec application, mais à imprégner notre vie,
orienter notre pensée, inspirer notre action, à informer au sens premier
(donner forme) notre pâte humaine.
Le Pater à nous enseigné par le Christ, est la
plus vraie des prières, la plus complètement et parfaitement juste et agréable à
Dieu, celle dont la flamme doit toujours brûler en nous » (Raïssa Maritain - Notes sur
le Pater p. 153 et suivantes)
A quoi bon
réciter pieusement cette prière si elle n’est pas un outil de transformation
intérieure. Si elle ne constitue pas notre programme de vie ?
Le
patriarche Shenouda III d’Alexandrie disait d’elle :
« C’est à la fois la quintessence du
message de Jésus, la prière idéale, un programme de vie et puis ce quelque
chose d’indéfinissable qui est au-delà du texte, dont on n’est mystérieusement
saisi que par son approfondissement incessant et la visitation de l’Esprit…En
la faisant nôtre de tout notre cœur, le Christ nous enflamme de la puissance de
son Esprit et l’agir commun des deux nous ouvre les entrailles du Père …
La prière n’a rien de ritualiste. Elle induit
un style de vie, une manière d’être au quotidien..
Le Notre Père ouvre un grand chemin de guérison où le « moi » est
aboli, c'est-à-dire ce dont je suis le plus malade, mon égocentrisme viscéral,
pour naître au vrai « je » de ma personne, qui participe à la vie des
Trois Personnes divines de la Trinité…
Le Notre Père ne vient pas se superposer artificiellement à notre action, mais
lui infuse l’Etre même, un Sens au-delà du sens et du non-sens, une
orientation, une profondeur…Et tout à coup, on s e sent dans le rayonnement du
Christ qui est le Centre de tout.»
(Toutes les citations du patriarche Shenouda
reprises dans ce travail sont extraites du livre d’entretiens entre lui et Père
Alphonse et Rachel Goettmann : « La voix d’un père du désert »).
Cette prise
de conscience du caractère agissant de la Prière est fondamental.
Elle est un
instrument puissant de transformation, un chemin de vie vers le Père et la
Divine Trinité que le Christ, dans son amour infini pour l’homme, nous offre
comme un don précieux, un cadeau de grand prix.
« Dès que l’on se situe devant le
regard de Dieu, s’ouvrant à Lui sans chercher même de réponse, commence la
transformation de l’être…La prière nous fait découvrir âprement le va- et-
vient de notre salle des pas perdus intérieure. L’essentiel alors est de
demeurer avec patience, et lentement mûrira le fruit d’où la prière s’écoulera
comme une eau fraîche et tranquille. Ce fruit est le renoncement à soi-même. »
(Mgr Jean- technique de la prière).
Progressivement
notre « salle des pas perdus » (ou des occasions manquées), où le
remue-ménage des pensées contradictoires et volatiles, des états d’âme
changeants et des passions désordonnées s’en donnent à cœur joie, fait place à
la « chambre intérieure » où le Christ nous invite à prier le
Père céleste « qui voit dans le secret » de nos cœurs (Mat
6/6).
* Pour découvrir
cette chambre intérieure, creuser en nous cette grotte, ce temple où Dieu réside,
les pères nous invitent, non seulement à « dire » la prière plusieurs
fois par jour, mais surtout à la vivre, à l’incarner dans notre quotidien.
Et, pour qu’elle
s’incarne en nous, nous pourrions commencer à prendre l’habitude de ne pas la réciter
d’une traite, de manière machinale, comme c’est souvent le cas, sans y attacher
plus d’importance que ne le fait l’enfant qui chante une comptine.
Il est bon
de nous arrêter à un mot, une phrase, un petit passage (par exemple : « Notre
Père »…. « Abba »….« Que Ton Nom soit sanctifié »… « Que
ta volonté soit faite » etc…) en répétant ces quelques mots, pour nous en
pénétrer, les contempler avec émerveillement, en les intériorisant, les laisser
prendre racine, germer en nous, et porter des fruits mûris lentement sous le
souffle chaud de l’Esprit Saint.
On peut
considérer chaque phrase du Notre Père comme une porte (ou une fenêtre) que
nous sommes invités à ouvrir. Si nous ne le faisons pas, elle restera fermée et
ne pourra nourrir notre contemplation et notre chemin spirituel.
* La prière
donnée par Notre Seigneur est bien plus riche qu’une lecture
superficielle (et l’usure de l’habitude, la distraction) ne le laisse(nt)
apparaître.
Comme une mer, elle est traversée de plusieurs courants qui se complètent
et conjuguent leurs énergies pour donner à la prière sa plénitude, englobant le
ciel, la terre et l’enfer, le divin, l’angélique et l’humain.
La prière contient ainsi :
- un mouvement
descendant des sphères célestes à notre terre, voire à nos enfers, de Dieu le Père
à Satan.
- un
mouvement ascendant, si nous partons de la fin et grimpons comme une échelle
des enfers vers le ciel. Ce chemin nous mène de la condition d’esclave (prisonnier
de Satan) à celle de Fils de Dieu.
C’est le chemin proposé par Mgr Antoine Bloom (« Prière vivante ») et
le frère ALain Noël (« Le Notre Père échelle de salut »).
- un
mouvement communautaire : qui part de celui qui prie (dans sa chambre intérieure)
vers la fraternité des hommes en prière.
* La prière du Seigneur, nous l’avons déjà évoqué,
contient deux grandes parties et 7 demandes essentielles…
Le chiffre
7 n’est pas le fruit du hasard : il symbolise la totalité, la plénitude,
comme on le voit dans de nombreux passages de la Bible (nombre de jours de la
Genèse et de la semaine, chandelier à 7 branches (Menorah) dans le Nouveau
Testament (7 dons de l’Esprit , 7 diacres, pardonner 7 x 77 fois…) et en
particulier dans l’Apocalypse (7 églises, 7 archanges, 7 sceaux, les 7
trompettes…)
Mais à y
regarder de plus près, on s’aperçoit que la louange est étroitement unie à l’attitude
de demande car la prière comprend aussi deux parties distinctes et complémentaires :
+ La première
partie qui comprend trois demandes ou trois invocations:
Notre Père
qui es aux cieux (ou céleste)
Glorifié (sanctifié) soit ton Nom !
Qu’arrive ton Règne !
Que ta volonté soit faite !
Sur la
terre comme aux cieux (au ciel).
est centrée sur Dieu et résonne comme une
louange à son Nom, à son règne à sa volonté sainte.
+ La seconde
partie, qui contient quatre demandes, concerne notre vie terrestre et nos
besoins spirituels vitaux :
Donne nous aujourd’hui notre pain substantiel
Remets nous nos dettes comme nous remettons à
nos débiteurs
Ne nous laisse pas entrer dans la tentation (ou
succomber à l’épreuve)
Délivre du Pervers (du Diable, du Malin)
* Avant d’aborder les trois premières demandes contenues dans la prière et sans
revenir trop longuement sur ce qui a été dit dans la première partie de ce
partage, rappelons-nous, car c’est essentiel, que la prière commence par nous
mettre en relation, en présence d’une Personne, d’un Dieu PÈRE (et Mère),
un Dieu qui a des entrailles, un ventre matriciel (Rah’amin), un Dieu d’amour,
un Dieu tendre qui attend chaque homme dans le secret de son cœur.
Abba, Père,
Papa, Notre Père…
Le cœur
humain peut devenir un temple, un « Saint des saints », le tabernacle
de la Présence divine.
« Nous viendrons et ferons en
lui notre demeure » (Jean 14, 23)
dit Jésus.
Nous avons
une immense responsabilité vis-à-vis de nous-mêmes et de l’humanité tout entière
(sur laquelle notre état intérieur rejaillit, en bien comme en mal) :
celle de transformer notre cœur de pierre en cœur de chair pour y accueillir
Dieu et la chaleur de son Amour.
« Dès que l’homme entre en lui-même et
retrouve le vrai silence, il sent comme une attente qui vient du Père, qui est
présent dans le secret (Mt 6,6). Le Père parle par son Fils, sa Parole. Elle n’accable
pas, elle témoigne de sa proximité immédiate : « Voici que je me
tiens à la porte et je frappe » (Apo 3, 20) (Paul Evdokimov, L’amour fou de Dieu p.37)
Quel
renversement de perspective ! Dieu, patiemment, humblement, attend l’homme
dans la chambre de son cœur.
Nous
pouvons dire, comme Jacob :
« Dieu était là et je ne le
savais pas » s’écrie Jacob (Gen 28 ,16)
* Nous
pensons parfois que notre prière est un effort pour atteindre Dieu qui serait
loin de nous, dans un ailleurs, hors de notre portée, alors que le Christ nous
montre au contraire qu’Il est tout proche et que c’est Lui qui nous attend
au cœur de nous-mêmes !
Le cœur
humain, accessible à chacun de nous dans le secret, dans le silence, est devenu
le vrai lieu de la rencontre amoureuse entre l’être humain et un Dieu tendre,
aimant, paternel !
« Nous sommes engagés à entrer, non
dans les pièces cachées d’une maison, mais dans la chambre de notre cœur et à
prier Dieu dans le secret de notre esprit » (St Hilaire de Poitiers)
*
Je ne
reviens plus sur les premiers mots de début de la prière : « Abba, Père
céleste, Notre Père qui es aux cieux », et je vous invite à relire la
première partie de l’exposé où nous avons vu le caractère essentiel, vital,
(dans la prière et dans la vie) de cette paternité divine et de la filiation qu’elle
révèle entre le Père et le Fils, mais aussi entre le Père divin et nous.
Et aussi de
la fraternité bouleversante que le Christ, dans son amour infini, crée avec
nous qu’il appelle ses frères (Jean 20/17 et Mat.28/10).
* Les
trois premières demandes
Les trois
premières demandes ne sont pas simplement des demandes. Elles expriment plutôt
un désir, celui de voir glorifier Dieu, son règne advenir, et sa volonté s’accomplir
en nous et parmi nous, comme déjà ils le sont dans les cieux, dans le monde angélique
et la communion des saints.
Ce sont des
cris d’espérance et de joyeuse reconnaissance, et aussi des bénédictions qui
relient la terre au ciel.
« L’adoration des trois premières
demandes chante la grandeur de Dieu Notre Père » (Carmignac, page 112)
« Sur la terre comme aux cieux, que
Sanctifié soit Ton Nom ! Oui !
que Ton Règne advienne et Ta volonté
sainte et bienfaisante soit accomplie sur terre (par les hommes) comme au ciel
(par les saints et les anges) ! ».
* Ce qui
est magnifique, c’est que nous ne débutons pas la prière en pensant à nous-mêmes,
à nos besoins, par des demandes « terre à terre » qui nous
concernent, mais nous la commençons en rendant gloire à Dieu, à Son Saint
Nom, à Son règne, à Sa volonté.
Dès les
premiers mots de la prière, nous sommes orientés dans la bonne direction :
vers le Père, la Source, le Principe duquel tout vient et vers lequel tout
retourne
.
« La piété populaire voudrait commencer la
prière par ce qu’il y a de plus utile et de plus immédiat. Nous sommes ainsi
faits que nous avons tendance à demander d’abord quelque avantage et quelque
bienfait qui contenterait notre petite façon de concevoir ce qui nous est utile
et qui satisferait nos désirs liés à nos préoccupations terrestres. Il faut un
regard de contemplatif et de croyant pour penser à demander en premier lieu ce
qui concerne la gloire du Seigneur. La prière du Notre Père fixe d’abord la fin
à atteindre et, dans un mouvement descendant admirable, invite à demander les
moyens nécessaires pour y parvenir » (Airaud).
Le début du
Notre Père nous décentre donc de nous-mêmes et nous tourne vers Dieu.
Nous sommes
dès le début placés dans le bon axe, comme l’aiguille d’une boussole…
Nous
rendons gloire à Dieu car nous recevons ses bienfaits.
C’est en
prenant conscience des dons qu’Il nous fait, en Lui donnant notre confiance,
notre élan du cœur que nous recevons en retour de nouveaux dons et en
particulier celui de la grâce, des énergies divines, car…
« personne ne peut rien prendre qui ne
lui soit donné du ciel » (Jean 3, 27 et 6, 65)
et…
« donnez et l’on vous
donnera, demandez et vous recevrez » (Luc 6, 38)
Dès l’ouverture
de la prière, nous sommes invités à prendre conscience de cet échange, de cette
circulation de dons et de d’accueil réciproques entre Dieu et nous.
Nous
sommes, dès les premiers mots, placés dans ce qui est essentiel dans notre
tradition chrétienne : la relation entre des personnes libres,
nourrie d’échanges constants de dons et de réceptions mutuels.
La relation
amoureuse de personne à personne est au centre de la théologie chrétienne.
Elle est la
source de la connaissance et de la prière. Le moteur de notre transformation
personnelle.
Dieu n’est
pas extérieur à nous. S’Il l’est, c’est qu’Il nous est encore étranger et on ne
peut ni le connaître, ni l’accueillir, ni le prier.
Il nous
aime si profondément qu’Il irradie notre être intérieur, si nous en prenons
conscience et si nous lui ouvrons l’espace de notre cœur, de notre
intelligence, de notre esprit, de notre corps même.
La seule
approche de Dieu dans notre Tradition est l’Amour. Pour accueillir en nous l’Amour
divin des trois Personnes divine, nous devons être dans un état amoureux, fruit
d’un désir que les pères n’hésitent pas à qualifier d’érotique.
Le père
Sophrony écrivait :
« Plus une personne aime Dieu, plus elle
Le connaît…l’amour unit l’être profond. Tout rejet des autres et toute
fermeture nous prive de vie. La prière, l’amour et les larmes nous rapprochent
de la « science » la plus noble qu’est la connaissance du Père, du
Fils et de l’Esprit saint » (Exposés ascétiques cité par N. Sakharov –J’aime, donc je suis p. 28)
« Seule l’habitation en nous du Père,
du Fils et de l’Esprit Saint peut nous donner une connaissance authentique de
Dieu. » (idem)
Dans la
tradition biblique et chrétienne, amour et connaissance sont étroitement mêlés,
sinon même confondus. On ne peut connaître sans aimer et on ne peut aimer sans
accéder à une connaissance véritable de l’être aimé.
* Les trois
premiers phrases de la prière ne peuvent être considérées comme des
demandes au sens étroit, mais sont des cris du cœur. Elles expriment un
assentiment enthousiaste à l’Etre divin en Trois Personnes (le Père que l’on
prie, le Fils en qui le saint Nom est sanctifié et l’Esprit qui inaugure le
Royaume de Dieu sur la terre comme au ciel).
Prenons
conscience de cette confession : nous n’invoquons pas seulement le Père,
mais, à travers Sa Sainteté, Son Nom et Son Règne, le Fils et l’Esprit Saint.
« La révélation trinitaire s’inscrit
aussi dans la prière que nous a enseignée Jésus lui-même, le Notre Père, dont
les premières demandes invoquent les Trois Personnes divines.
Car le Fils est le Nom éternel du Père, il a
sanctifié le Nom jusqu’à la mort sur une croix, et le Royaume s’identifie à l’Esprit. »
(Olivier Clément –
Sources p.58)
Eveillons-nous
à cette réalité essentielle : nous entrons ainsi en communion non
seulement avec le Père explicitement invoqué, mais aussi avec les Trois
Personnes divines.
Nous pénétrons
par le cœur et l’esprit dans cette circulation d’énergie et d’amour qui caractérise
les relations trinitaires où chaque Personne divine rend gloire à l’Autre en
lui disant (c’est une image) : « Toi d’abord ! ».
Nous pouvons ainsi entrer dans cette danse, cette chorégraphie (racine grecque
du mot « périchorèse » : « danse autour », « danse
en rond », ronde) de l’amour trinitaire, même si c’est de manière limitée
par notre lourdeur terrestre.
Mais,
au-delà de cette pesanteur actuelle, notre esprit peut « se mouvoir
avec agilité » (comme le dit Baudelaire dans un autre contexte), dans
l’émerveillement et la joie que nous donne la découverte de la Vie et de l’Amour
trinitaires.
* Le début
du Notre Père c’est l’être humain qui dit à Dieu : « Toi d’abord ! »
« Que,
sur la terre comme au ciel, ton Saint Nom
soit glorifié, que ton Royaume advienne, Que Ta volonté soit faite ».
Oui, de
tout mon cœur, de tout mon esprit, de tout mon être, corps-âme , esprit, j’adhère
à ce désir que Dieu remplisse tout en tous ! (Eph. 1, 22)
Nous avons
l’habitude de dire cette phrase après « que ta volonté soit faite »
comme si elle ne se rapportait qu’à celle-ci.
C’est une
erreur de perspective qui restreint la portée de cette affirmation.
On doit plutôt, de manière plus large et plus riche,
l’associer aux trois demandes.
La
sanctification du Nom, l’avènement du Règne et du Royaume, l’accomplissement de
la volonté du Père doivent rayonner sur la terre et le ciel, qui désignent
symboliquement toutes les parties et tous les êtres créés du monde visible et
invisible.
* L’on cite deux fois le ciel ou les cieux dans
le début de la prière : « Notre Père des cieux (ou Notre Père céleste)
et « sur la terre comme au ciel ».
Les « cieux »
ne désignent pas un lieu matériel, localisable (comme le ciel bleu derrière les
nuages).
C’est une
expression très riche qui évoque plusieurs réalités.
* Première réalité : le monde invisible où
vivent les anges et les saints dans le rayonnement de la gloire
divine.
Nous avons,
dans notre société hyper matérialiste, oublié cette partie essentielle de la Réalité,
obnubilés par le corps, la matière, la science, la technique…oublieux du monde
invisible et de la réalité spirituelle pourtant infiniment plus grande (quantité)
et plus évoluée (qualité) que notre « plancher des vaches », et même
que notre système solaire…et même que notre galaxie qui, clin d’œil de l’Esprit
Saint, s’appelle très justement la galaxie de la Vierge.
Mgr Jean
rappelle à ce propos :
« L’Eglise enseigne que le monde
visible, ou que nous nommons ainsi – c'est-à-dire le système solaire avec notre
terre et sur cette terre l’humanité – représente symboliquement un sur cent
(1%), et que le vaste monde invisible, le monde angélique, représente 99%...
L’univers cosmique n’est qu’une poussière…dans
l’océan illimité du monde angélique, et ce dernier n’est que l’effilé d’une
pointe dans l’Immensité divine. Saisissez-vous le renversement de vision ?
Dès l’enfance, notre esprit fragile s’est accoutumé à regarder le monde
autrement qu’il n’est. » (Technique de la prière)
N’oublions
pas que nous évoquons le monde angélique en termes de myriades…c'est-à-dire un
nombre infini, illimité.
* Deuxième réalité
Il est
important de nous souvenir aussi que ce monde céleste n’est pas seulement extérieur
à nous. Comme toute réalité spirituelle, nous le portons en nous.
Il n’est pas un « ailleurs », un lieu différent de notre espace intérieur
(que nous l’appelions le cœur ou l’esprit) qui est capable de porter une réalité
invisible qui dépasse notre perception immédiate :
« Nous portons au-dedans de notre
corps humain - plus profondément même : au-dedans de notre âme humaine –
un monde spirituel humain avec, au centre, la demeure de Dieu. Trois cercles.
Mais dans la demeure divine établie au centre
de notre être, la Trinité n’est pas seule : elle est environnée de son
ciel ; tout le monde angélique est en nous. » (Mgr Jean – technique de la prière)
Avons-nous
conscience d’être le « temple de l’Esprit Saint », comme l’écrit
magnifiquement St Paul (1 Co 6/19) ?
Jésus nous
dit aussi cette parole bouleversante (au sens propre : qui peut
bouleverser nos vies si nous en prenons conscience) :
« Nous viendrons et nous ferons en vous
notre demeure » (St Jean 14 , 23).
« Concevez une seconde que vous êtes le
temple du Saint Esprit, comprenez la profondeur et la complexité de l’être
humain et vous réaliserez jusqu’où est tombée notre conscience » (Mgr
Jean - Technique de la prière).
* Troisième réalité
Les cieux désignent,
de manière métaphorique, la transcendance du Père céleste, son caractère
incréé, inaccessible, incompréhensible...
Le Père n’est pas localisable. Rien ne peut le contenir, Lui qui contient tout
et tous.
« Les cieux sont en Dieu plus que Dieu n’est
dans les cieux, car l’ailleurs auquel nous aspirons n’est pas un lieu mais un
mystère infini d’échange d’amour. » (Airaud)
« Dire que Dieu est aux cieux, c’est donner à toute notre vie une
direction qui dépasse la terre. » (Un moine de l’Eglise d’Orient p.
23)
Dans le
Principe (c'est-à-dire le Père), Dieu n’habite pas sur terre qui, elle, est
bien un lieu, celui des créatures que nous sommes.
La terre
est le milieu, la demeure provisoire des êtres humains.
Provisoire
car « le ciel et la terre passeront » (Mat. 24, 35) dit le
Christ. C'est-à-dire la terre telle que nous la connaissons, telle que nous la
percevons et aussi le ciel limité que nous percevons).
Mais elle
est aussi définitive en ce qu’elle est appelée à s’unir au ciel illimité, à être
transfigurée, à entrer en communion avec le monde invisible où matière et
esprit apparaîtront unies, complémentaires, réunies en l’homme transfiguré
comme elles le sont déjà dans le Christ ressuscité.
Car, avec l’Incarnation
du Fils de Dieu le créé (la terre) est
entré en contact intime avec l’Incréé (les cieux), la « terre » avec
le « ciel ». Le feu est entré dans le fer (notre matière), le Souffle
divin gonfle les voiles de notre humanité
Le ciel est
descendu sur terre et peut entrer dans nos cœurs, Temple et Trône de Dieu.
* Pour résumer tout cela, laissons à nouveau la
parole à Mgr Jean :
« Lorsque nous chantons Notre Père qui
es aux cieux, nous signifions donc que, au-delà de nous, vit l’infini cosmos
angélique, spirituel, dont nous ne sommes qu’une infime parcelle ; que
Dieu n’est pas seul, qu’Il est entouré des saints, des anges ; et que les
cieux ne figurent pas seulement les hauteurs spirituelles englobant l’univers,
mais qu’ils sont en nous » (Technique de la prière)
*
* *
QUE TON NOM SOIT
SANCTIFIE
* Rien
dans le Notre Père n’est évident.
Les mots
employés sont simples, ils appartiennent au langage commun. Et pourtant, leur
sens ne saute pas aux yeux.
Mgr Jean de
St Denis souligne qu’il y a là une pédagogie divine, typique de l’enseignement
du Christ : employer des mots simples et des images pour révéler des mystères,
des choses profondes qui ne peuvent être cernées, ni clairement exprimées par
notre langage habituel et par notre intelligence rationnelle.
Garder le
sens ouvert pour éviter d’appauvrir le mystère et de nous installer dans le
confort somnolent de ceux qui pensent avoir tout compris… et qui s’endorment
dans une ignorance béate (ce qui nous guette tous !).
Ecoutons
Mgr Jean s’exprimer à ce sujet :
« Admettons un instant que l’Ecriture
sainte ou l’enseignement spirituel d’une prière telle que le Notre Père se
livre pleinement, que tout y soit aisé, sans matière à discussion. Qu’adviendra-t-il
à l’âme humaine ? Elle s’installera dans cette compréhension comme dans un
fauteuil…et la mort survient précisément lorsque l’homme a trouvé le confort…
Le but de l’Ecriture Sainte et de l’enseignement
spirituel est précisément la vie, le progrès et l’évolution de l’âme. C’est la
raison pour laquelle ils adoptent un double aspect : des éléments directs
qui nous surprennent si fort qu’ils s’identifient à notre être et des éléments
incompréhensibles et déroutants…
La prière dominicale possède ce double visage,
direct et simple, et profondément énigmatique à la fois. La vulgarisation n’est
pas le fait du Verbe incarné ! La religion des masses n’a jamais donné de
bons résultats, car elle endort et tue…
Tout est simple et énigmatique dans le Notre Père. » (Technique de la prière)
* Ce caractère
énigmatique s’applique bien à cette première demande :
« Que Ton Nom soit sanctifié ».
En effet, pourquoi demander que le Nom du Dieu trois fois Saint soit sanctifié,
comme s’il ne l’était pas ?
N’est-ce
pas vouloir remplir un verre déjà plein !
Pourtant,
nous devons faire confiance au Verbe incarné : Il sait ce qu’Il dit
(sinon, où allons-nous ?) et les mots qu’Il emploie dans l’unique
et très courte prière qu’Il nous a donnée, ne sont pas là par hasard. On s’en
doute…
* Pour tenter de nous approcher du sens de
cette première demande – je dis bien « tenter » car le sens profond
est si riche qu’il ne pourra être épuisé en quelques phrases, ni même en
quelques heures – nous pouvons isoler momentanément les trois mots de cette
phrase : le Nom, la sanctification et le verbe passif « (qu’il) soit ».
Trois
corbeilles dont nous allons essayer de détailler le contenu.
1-_
LE NOM
Ce ne sont
pas des questions anodines, car beaucoup de gens sur terre ne nomment pas Dieu,
soit parce qu’ils ne le peuvent pas, soit parce qu’ils ne le veulent pas.
Ils ne le peuvent
pas ?
Parce qu’ils
ne connaissent pas Dieu, ou s’en font une idée très floue…Et nous prions d’ailleurs
dans les litanies pour ceux qui cherchent Dieu « sans encore pouvoir le
nommer », pour qu’ils parviennent un jour à la découverte du Nom de
Dieu (et de Dieu tout court).
Ils ne le veulent
pas ?
Cela semble
étonnant à première vue. Si on admet l’existence de Dieu, pourquoi ne pas le
nommer ?
Il s’agit
ici de ceux qui admettent l’existence du divin, d’une déité ou même de dieux ou
d’un Dieu sans visage, mais préfèrent ne pas le nommer car ils soulignent le
fait que Dieu est innommable.
Les tenants de l’apophatisme radical énoncent : on ne peut rien dire de
Dieu. Il est radicalement inconnaissable et aucun nom ne lui convient.
Chaque nom
qu’on lui donne est inadéquat et rabaisse, amoindrit Dieu en le limitant, ce
qui est vrai .
On retrouve
un écho de cette attitude de saisissement silencieux devant le divin
inconnaissable chez les pères (Denys l’Aréopagite en est la champion toutes catégories).
Mais aussi, notamment, chez St Grégoire de Nysse et St Grégoire de Nazianze :
« Ô Toi,
l’Au-delà de tout, comment T’appeler d’un autre nom ?
Quel hymne peut Te chanter ? Aucun mot ne
T’exprime.
Quel esprit peut Te saisir ? Nulle
intelligence ne Te conçoit.
Seul Tu es ineffable…Seul Tu es inconnaissable……
Tu as tous les noms ; comment T’appellerai-je ?
Toi le seul qu’on ne peut nommer ?» (Poèmes
dogmatiques)
* En réalité,
il ne faut pas oublier que notre Tradition nous enseigne la richesse inépuisable
de la pensée antinomique qui énonce toujours, contrairement à toute
logique binaire, deux vérités en apparence contraires, en les conservant sur
pied d’égalité. Toute notre théologie en est imprégnée. Nous ne disons pas « ou
bien ou bien… » mais « et…et… » (Un seul Dieu en trois
Personnes, Le Christ Dieu et homme, Marie Vierge et Mère…).
Si on
oublie cette réalité essentielle, on ignore la profondeur et la richesse de la
tradition chrétienne orthodoxe.
On peut
donc dire : Dieu est inconnaissable (dans sa nature, dans son essence,
dans sa transcendance) et, qu’en même temps, Il peut (et veut) être connu.
* En effet, en ce qui concerne la connaissance du Nom, la Tradition nous
dit :
oui, Dieu
est inconnaissable, invisible, insaisissable, inaccessible (dans sa Nature, son
Essence, sa Transcendance)…toutefois, n’oublions surtout pas qu’Il Se fait
connaître, qu’Il Se révèle Lui-même (par Sa Parole, son immanence, son
Incarnation…). Et par cette révélation, Il se nomme Lui-même et donne
aux hommes des Noms par lesquels on peut L’invoquer, Le prier.
Pourquoi
faudrait-il faire abstraction du don magnifique que Dieu fait aux hommes dans
les Noms qu’Il leur révèle ?
« Notre connaissance (de Dieu) découle
d’une Révélation d’en haut » (Père Sophrony)
Attention
au risque d’orgueil qui peut nous pousser au refus de nommer Dieu, d’accepter
Sa révélation, pour nous perdre dans les sphères éthérées d’un « nuage
d’inconnaissance » (je ne vise évidemment pas ici le livre du même nom
mais l’attitude qui consiste à refuser de donner à Dieu les Noms qu’Il nous révèle
et de préférer honorer un Dieu abstrait, inaccessible, plutôt que le Dieu
vivant d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et de Moïse, qui parle et Se révèle à l’homme
pour que l’homme lui réponde et entre en relation avec Lui). N’est ce pas une
forme de refus de son amour extatique?
Attention
aussi à l’erreur fréquente qui consiste à parler d’un Dieu extérieur, à
discourir à son propos, à l’évoquer en termes intellectuels, avec des paroles
qui ne s’enracinent pas dans la Parole vivante du Père. Elles sont comparables
aux graines tombées sur le bord du chemin ou dans le sol aride et qui ne
peuvent porter de fruits.
Comme l’écrit
le père Sophrony :
« Lorsque l’homme prétend parvenir par
sa propre intelligence à la connaissance de la Vérité éternelle, il aboutit
presque fatalement à la conception d’un Absolu métaphysique, …le Deus
absconditus » (La félicité de connaître la Voie p.13)
La vraie
connaissance de Dieu échappe totalement à notre intelligence rationnelle non éclairée
par la grâce. Elle est communion à son Être, à Son Amour, communion aux trois
Personnes divines :
« La connaissance ontologique résulte
de la communion dans l’être et non d’une hypothèse intellectuelle »
cité par N. Sakharov P. 44)
« La connaissance est avant tout conçue
comme une communion existentielle, une communauté de vie » (La félicité de connaitre la voie
p.30)
* Lorsque
nous nommons Dieu, la position juste, pour nous chrétiens, consiste à dire :
c’est vrai, aucun Nom ne peut cerner Dieu ni épuiser son mystère, aucun nom n’est
adéquat, seul l’émerveillement peut tendre vers Lui.
Mais nous
pouvons aussi, et même nous devons Le nommer car Lui-même parle à l’humanité
et lui révèle des Noms qui expriment les attributs de son Être inconnaissable.
« Apophatisme »
(négation) et « cataphatisme » (affirmation) sont les deux faces de
la prière chrétienne. Les deux mamelles de notre tradition théologique.
* Le NOM
dans la tradition biblique
Dans la Bible,
le Nom n’est pas une étiquette extérieure, une enveloppe vide, un trompe-l’œil
destiné à un premier niveau de piété populaire (alors qu’une « élite »
plus avancée en spiritualité pourrait se passer de nommer Dieu en s’immergeant
dans le silence contemplatif au-delà des mots).
Les Juifs
donnaient à Dieu plusieurs noms traduisant chacun un aspect de son Être, de son
action, un attribut (El, Elohim, Shaddaï, Adonaï, Seigneur Sabaoth, Saint,
Emmanuel, YHWH…)
Et l’on
voit Moïse, interpellé par Dieu au Buisson ardent, qui très naturellement lui
pose cette question essentielle :
Quel est
ton Nom : En d’autres termes : qui es-Tu ?
Rappelons-nous
que pour le sémite (le « porteur du nom » – « shem », le sémaphore
de Dieu ?), un être, une chose n’a de réalité, ne vient à l’existence que
si elle peut être nommée.
C’est le sens de l’injonction faite par Dieu à Adam : nommer les animaux
(Gen 2/20).
Dans la Genèse
encore nous voyons le sens apparaître autour des noms : Adamah, Isch,
Ischa, Eve, Caïn, Abel, Enoch…
Comme le
rappelait père Alphonse Goetmann :
« Chez les anciens Hébreux, le « shem »,
le nom, enclot la nature secrète d’un être ; il est comme son émanation,
sa présence active et mystérieuse. Active parce que c’est à travers son nom que
l’être veut se manifester ; mystérieuse, parce que le nom révèle la
personne. Ainsi connaître quelqu’un par son nom, c’est le connaître jusqu’aux
tréfonds, là où il est unique » (dans « La voix d’un père du désert » p. 189)
* Il est
donc très important de pouvoir nommer Dieu pour le connaître et le reconnaître.
Si on reste
dans le brouillard épais de l’innommé, dans les limbes de l’informulé, on adore
un Dieu abstrait, impersonnel, lointain, théorique, qui n’a pas de Nom ni de
visage.
Remarquons
que la justesse d’un Nom suppose le discernement, qualité spirituelle
essentielle que seul l’Esprit Saint peut nous communiquer.
Car le Nom
cerne au plus près (sans jamais y parvenir toutefois) la place, la mission, et
la réalité d’un être, d’une chose, sa présence, son essence.
Il n’est
pas une simple appellation mais une fenêtre ouverte vers la connaissance de
celui, de celle, de ce qui est nommé.
L’absence
de nom rejette l’être ou la chose dans l’inexistence. Un nom faux le (la) déforme.
Comme l’écrit
Mgr Jean à ce propos :
« Les choses innommées , pour la
pensée chrétienne, n‘existent pas. Les choses faussement nommées sont
corrompues et les choses véridiquement nommées sont transformées. Le nom perce
la connaissance et l’essence des choses. Il dépasse tout raisonnement discursif,
analytique ou synthétique. Il nous fait attraper, nous met en contact avec ce
que nous nommons, nous permettant par sa vertu de changer ce qui est nommé. Le
nom consciemment et purement articulé projette une telle force que l’apôtre
Pierre guérit un malade par le Nom de Jésus. C’est une forteresse et un char d’assaut.
Dieu siège dans son Nom comme chaque être dans le sien.
Dieu se manifeste par Ses énergies qui nous traversent de leurs rayons et par
Ses Noms…
Nommer une créature faussement risque de l’anéantir . La nommer justement
l’aide à se déifier car le Nom est simultanément image, définition et pensée…
Dieu se donne pas une série de Noms dont chacun soulève un horizon nouveau.»
(Technique de la prière)
* Le Dieu
qui se révèle à Moïse (et dans toute la Bible) est le Dieu vivant des
patriarches. Un Dieu personnel qui se nomme et entre en relation avec sa
créature.
Nous le
voyons dans le récit du Buisson ardent quand il se révèle à Moïse qui, de manière
réaliste et féconde, en bon sémite, lui demande son NOM.
Dans le
livre de l’Exode (chapitre 3), il faut insister sur le fait que ce n’est plus l’homme
qui nomme Dieu mais Dieu qui Se donne à Lui-même un Nom :
« Je suis qui je suis, qui j’étais et qui
je serai » (puisqu’il n’y a pas de temps dans cette expression en hébreu).
C’est un
Nom magnifique et mystérieux que l’homme n’aurait pas pu inventer.
Un Nom qui
n’en est pas vraiment un, tant il est ouvert et énigmatique.
Ce Nom présente
les deux aspects de la connaissance de Dieu que nous avons rappelés : il
est à la fois connaissance et inconnaissance. Il dévoile et voile en même
temps.
Il est connaissance car Dieu Se révèle comme « Je», c'est-à-dire comme une
Personne mais inconnaissance aussi, car l’essence de cette Personne, son être, échappe
à la compréhension et sort de notre espace-temps (« j’étais, je suis, je
serai simultanément. Je suis qui je suis…).
Qui est-Il en définitive ? Dieu se donne et demeure caché dans le
Nom YHWH:
Perspective
vertigineuse d’un Dieu « qui est, qui était et qui vient » comme nous
le chantons dans la liturgie.
C'est-à-dire d’un Dieu, existant de toute éternité, mais qui entre avec l’homme
et pour l’homme dans un devenir, un dynamisme centré sur la relation de
personne à personne.
* Et ce Nom
révélé par Dieu a une telle force, une telle présence agissante, une telle
puissance que les Hébreux en sont venus à ne plus le prononcer car le Nom de
Dieu est redoutable. Il fait enfanter les biches et frémir les forêts !
Ce « Nom »
redoutable, avec le temps, est devenu imprononçable en raison de sa charge sacrée
trop forte et du respect qu’Il inspire (« Ne prends pas l’habitude de
nommer le Saint » dit le Lévitique (23/7) voir aussi Exode 20/7 et Dt
5/11).
Les Hébreux
finiront par remplacer le Nom de « YHWH » par des noms moins « chargés »
tels Elohim (Dieu(x) ou Adonaï (Mon Seigneur).
« Le Nom » a fini par être identifié à Dieu Lui-même comme le
montrent de multiples passages de l’ancien Testament qui désigne Dieu par le
simple vocable : « Le Nom » ou le « Saint Nom » ou « le
Beau Nom » (Shem tov). Le « Nom » veut dire « Dieu ».
Saint est
son Nom (= « Dieu est saint »).
Béni est son Nom (= « béni soit Dieu ! »)
« Ceux qui invoquaient son Nom » (Ps
99, 6)
« Tu feras exulter de joie ceux qui aiment
ton Nom » (Ps 5/12)
« Je me suis mis à l’œuvre à cause de mon
Nom » (Ez 20/9)
« Ils sanctifieront mon Nom » (Is
29/23)
« Que pourras-tu faire pour ton Nom ? »
(Jos 7/9)
* …mais revenons à notre prière.
De quel Nom
s’agit-il dans la Prière du Seigneur lorsqu’il dit : « que Ton Nom
soit sanctifié, » ?
Avant tout,
bien sûr, celui de Père auquel la prière est adressée.
« Père céleste, que Ton Nom soit sanctifié ».
Et c’est
une radicale nouveauté pour le peuple juif, une audace inouïe, comme
nous l’avons déjà dit dans la première partie de cet exposé.
Comme l’écrit
Jean Yves Leloup :
« Qui oserait dire à l’Inconnu (YHVH), à
la conscience d’être, à « Je suis » (Eyeh), au Sens (El), à l’harmonie
des mondes et des êtres (Yah), à l’énergie créatrice (Elohim), à la grande Mère
(Shaddaï), au Seigneur de l’univers (Adonaï), à la justice même (Shabbaot) :
« papa » ? Qui oserait s’en reconnaître le fils ou la fille ? »
(Une lecture spirituelle du Notre Père)
Mais en révélant
le Nom nouveau de Père, Jésus révèle nécessairement aussi le Nom de Fils
divin.
Jésus nous
révèle la proximité ontologique du Père et du Fils, leur caractère
indissociable
« Qui m’a vu a vu le Père (Jean 12, 45 et
14, 7)
« Moi et le Père sommes un. (Jean 10, 30)
Le Fils est
l’Image parfaite, sa Parole vraie (Logos).
Qui le voit
voit le Père, qui l’écoute écoute le Père.
Ils sont
distincts mais ne peuvent être séparés.
« J’ai manifesté ton Nom aux hommes. » (Jean 17, 6 et 26)
« Garde en Ton Nom ceux que tu m’as
donnés. » (Jean 17, 11-12)
« Père glorifie ton Nom. »
(Jean 12, 28)
Le Nom du Père
(c'est-à-dire Sa Personne, sa présence, sa gloire, son rayonnement) est
manifesté, révélé par le Fils, son Verbe, sa Parole.
Nous ne pouvons connaître le Père que parce que le Fils nous le révèle.
« Celui-ci est mon Fils Bien-aimé qui a
toute ma faveur . Ecoutez-Le. » (Mat 12, 18 et Marc 1, 11).
* C’est
pour cela que la tradition établit une correspondance étroite entre cette
première demande (« Que ton Nom soit sanctifié ») et l’oeuvre du Fils
de Dieu (comme elle le fait entre la seconde demande et l’Esprit saint
comme le verrons ci-après)
« Que Ton Nom soit sanctifié :
Fils et Verbe ; c’est au Nom du Christ que le monde est sauvé. Il est le
Nom, le manifesté du Père non manifesté » (Mgr Jean Technique…)
« Le Nom du Père qui subsiste éternellement,
c’est le Fils. » (Maxime le Confesseur)
* Mais
nous serions bien incomplets si nous oubliions le rôle fondamental et révélateur
de l’Esprit Saint qui
« gémit ineffablement au-dedans de nous » et murmure le Nom du Père (Gal
4/6, Rom 8/ 15 et 26) et sans lequel nous ne pouvons reconnaître Jésus comme le
Fils de Dieu (1 Co. 12/3).
L’Esprit Saint inscrit les Noms divins dans nos cœurs en lettres de feu car il
nous livre « les secrets de Dieu » (1 Co 2/10 et svts).
Et, de manière
étonnante, l’Esprit Saint Lui-même n’a pas de nom ! Car le Père Lui aussi
est Esprit et Il est Saint. Le Verbe aussi est Esprit et Il est Saint.
On peut dire que l’Esprit Saint, qui accepte de ne pas avoir de nom spécifique,
révèle le Nom des deux autres Personnes divines mais ne révèle pas le Sien.
Sans doute découvrirons-nous son Nom dans le monde transfiguré, lorsque toutes
choses cachées seront dévoilées… (Mat 13, 35 et Mat 10, 26 , Marc 4,22 et
Luc 8, 17)
* Nous
pouvons donc prendre conscience que le Nom de Dieu invoqué dans la prière n’est
pas seulement celui du Père, mais celui des trois Personnes divines que
nous révèle Jésus : le Père, le Fils et l’Esprit Saint.
Le Nom
divin désigne donc la Divine Trinité tout entière, sans que l’on puisse séparer
les Personnes qui n’ont qu’une nature, une volonté unique, une action commune,
un seul amour.
2 -
LA SANCTIFICATION
* Que veut
dire « sanctifier » le Nom de Dieu, c'est-à-dire Dieu Lui-même, Père,
Fils et Esprit Saint ?
Nous savons
que la sainteté de Dieu est ce qui le caractérise avant tout.
A tel point
que parler « du » Saint, « du seul » Saint, c’est parler de
Dieu.
* Rappelons
que nous ne cessons de proclamer la sainteté de Dieu dans nos chants
liturgiques
« Agios
O Theos, agios Ischiros, Agios Athanatos… Sanctus Fortis… Saint le
Seigneur… » (« Agios » chanté après le praelengendum)
« Agios,
Sanctus, Saint, le Seigneur Dieu » (proclamation diaconale avant l’évangile)
« Saint,
Saint, Saint le Seigneur… » (chanté après l’évangile)
«
Saint, saint, saint, le Seigneur Sabaoth » (chant des anges pendant le
canon eucharistique)
* Comment
aborder la sainteté ? Car elle est multiforme et ne se laisse pas prendre
dans le filet (rempli de trous) des mots.
On peut l’évoquer avec d’autres mots comme la Gloire, le Mystère du sacré, le
Poids, la Puissance, la Transcendance…
La sainteté
évoque le resplendissement, la densité d’une Présence comme le terme « gloire ».
Dieu
rayonne de sainteté comme le feu rayonne de chaleur, le soleil de lumière, ou
certains métaux d’une énergie nucléaire phénoménale.
« Faute de mieux on est souvent obligé
de traduire par « saint » mais en voyant dans cette « sainteté »
une supériorité essentielle…les termes grandeur », « majesté », « toute-puissance »,
malgré leurs inévitables déficiences évoquent parfois aussi bien que celui de « sainteté »
cette ineffable transcendance du Créateur » (J. Carmignac- A l’écoute
du Notre Père - p.25)
« La sainteté est l’aspect
resplendissant de la majesté du Créateur et la sanctification le blanchiment de
toute tache, de toute ombre par la communication mystérieuse de la lumière
inaccessible du Tri unique, le dévoilement de la gloire dans ce qui est
sanctifié. » (Mgr Jean- Technique de la prière)
* Si l’on
remonte à l’étymologie du mot saint en hébreux, nous trouvons le mot « quadesh »
(ou « quodesh ») qui signifie « séparé », « autre »,
« distinct », « mis à part ».
Reconnaître que Dieu est Saint c'est d’abord prendre conscience de son altérité
radicale Reconnaître qu’Il est vraiment le « Tout-Autre », qu’Il
est Incréé, c'est-à-dire ontologiquement différent du monde créé, des créatures.
La prise de
conscience de la Sainteté de Dieu provoque l’étonnement, la fascination et « la
crainte et le tremblement ».
On le voit à de multiples reprises dans l’Ancien Testament
Jacob se déchausse
quand il prend conscience du caractère sacré du lieu où il se trouve.
Moïse doit
se voiler la face au mont Horeb.
Isaïe se
sent fragile, minuscule, en danger, en passe de mourir quand il perçoit la
gloire de Dieu dans le temple
« (Des séraphins) criaient « Saint,
saint, saint, le Seigneur tout puissant, sa gloire remplit toute la terre ! »…Je
dis alors « malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres
impures…et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur tout-puissant ». (Is 6,
3 et 5)
* Le
premier sens de la « sanctification du Nom » est celui-ci :
Que la Sainteté de Dieu, Sa gloire, Sa Présence éclatent, se manifestent, qu’elles
soient reconnues et adorées, sur la terre comme au ciel.
* Cette manifestation peut prendre différentes formes.
Dans l’Ancien Testament, elle est souvent spectaculaire : Dieu se révèle
dans des théophanies grandioses (dans le feu, le tonnerre, une colonne de feu,
la voix des grandes eaux, des calamités surnaturelles…) suscitant la prise de
conscience d’une Présence terrible, d’une puissance irrésistible qui dépasse l’homme
et le fait trembler, le jette à terre dans l’effroi et l’adoration de Celui qui
le dépasse infiniment.
C’est alors
Dieu qui Se sanctifie Lui-même c'est-à-dire qui manifeste aux hommes sa Sainteté,
le rayonnement et le poids de Sa Présence, Ses énergies incréées auxquelles nul
ne peut résister.
Peut-être
ces passages épiques conviennent-ils mieux à une sensibilité archaïque où il s’agit
de « frapper un grand coup » « de marquer les esprits »
pour manifester à l’homme mal dégrossi une Sainteté qui l’éblouit.
Quoique
nous avons aussi besoin, me semble-t-il, nous qui nous croyons très évolués, d’une
« piqure de rappel » de temps à autre… car ne banalisons-nous, n’oublions-nous
pas trop souvent la transcendance de Dieu et l’importance du Sacré dans nos
vies régies par la technique et la recherche du confort ?
Dieu va
changer de pédagogie dans le Nouveau Testament, avec la venue
personnelle du Christ dans notre chair.
Plus de théophanies
décoiffantes, de phénomènes violents, mais une puissance contenue qui se
manifeste dans la faiblesse d’un corps, d’une âme et d’un esprit humains. Dans
une « condition d’esclave » comme l’écrit St Paul (Philippiens 2).
Dans la kénose,
comme le souligne la Tradition.
Dieu
manifeste Sa Sainteté d’une tout autre façon en s’incarnant, en devenant
homme Lui-même, mais un homme pleinement réalisé, un Homme sanctifié, un Homme
Saint.
« (Dieu) révélera le Visage tant
attendu de ce « Je suis » par l’Incarnation du Verbe ; YHWH c’est
Jésus de Nazareth, le « Nom que je porterai pour les générations futures,
dit Dieu (Exode 3,15).
Avec Jésus, l’amour, la tendresse, la bonté infinis et éternels de Dieu
deviennent notre chair et circulent dans notre sang, plus intimes à nous que
nous-mêmes selon l’expression bien connue de St Augustin. Par toute sa vie, sa
parole, ses gestes et tout son comportement, Jésus sanctifie le saint Nom. »
(Amba Shenouda)
La
sanctification du Nom divin devient ainsi l’œuvre du Fils, le Christ Jésus qui
manifeste et glorifie le Nom du Père, mais révèle aussi le sien (celui de Fils)
et l’existence de l’Esprit Saint.
Jésus le répète avec insistance: Il est venu pour manifester le Nom du Père,
pour sanctifier son Nom et, dans un même élan, sanctifier aussi le sien :
« J’ai manifesté Ton Nom aux hommes »
(Jean 17/6)
« Je leur ai fait connaître Ton Nom »
(17/26)
« Père glorifie ton Nom » (Jean 12/27
-28)
« Maintenant glorifie ton Fils »
(Jean / 17…)
« Je me sanctifie pour qu’ils soient
sanctifiés » (Jean 17/ 19-24)
Plusieurs Pères
soulignent que puisque la sanctification (manifestation, révélation) du Nom
divin est l’oeuvre spécifique du Fils, cette phrase du Notre Père met en valeur
l’action du Christ. Sanctifier le Nom divin, c’est donc rendre hommage non
seulement au Père, mais aussi au Fils qui le révèle pleinement en manifestant
son Visage (sa Face – d’où l’art iconographique – « Qui m’a vu a vu le Père »))
et sa Parole (Son Verbe) aux hommes.
Par exemple
Maxime le Confesseur :
« Le Nom de Dieu le Père qui subsiste
essentiellement, c’est le Fils unique. »
Et Mgr Jean :
« Que ton Nom soit sanctifié s’attache au
Père du Fils unique et, en réalité à la
présence de ce Fils éternel, Du Verbe Lui-même »
Nous le
proclamons d’ailleurs dans la liturgie lorsque le célébrant présente les Saints
Dons aux fidèles qui répondent :
« Un seul est saint, un seul est Seigneur,
Jésus Christ, à la gloire de Dieu le Père ».
* Sainteté
du Père, Sainteté du Fils. Sainteté aussi de l’Esprit Saint qui
communique aux hommes ces énergies divines sanctifiantes et qui leur permet de
prier le Père et de reconnaître le Fils divin.
St Paul le
dit clairement lorsqu’il écrit
« Que Dieu vous donne un Esprit de révélation
pour Le connaître » (Eph. 1, 17)
« … Nul ne connaît ce qui concerne Dieu si ce
n’est l’Esprit de Dieu…L’Esprit qui vient de Dieu pour connaître les dons
gracieux que Dieu nous a faits » (1 Co 2, 6 -14)
« Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de
son Fils qui crie Abba Père » (Ga 4, 3-6)
« Nul ne peut dire que Jésus est
seigneur (c'est-à-dire de nature divine) s’il n’est inspiré par l’Esprit »
(1 Co 12, 3)
* Le Nom
de Jésus, intimement uni à Celui du Père, devient lui aussi une force
agissante, une puissance de guérison que nous invoquons dans la prière de Jésus.
« Nous sanctifions son Nom par la prière
incessante, c'est-à-dire la conscience permanente de Sa Présence et de sa
volonté en nous. Cela nous met dans l’axe de son Nom. » (patriarche
Shenouda)
Nous voyons
très concrètement cette sanctification (glorification) du Nom de Jésus dans les
actes des apôtres et dans St Paul.
Par exemple :
« Au
nom de Jésus Christ de Nazareth, lève toi et marche » dit l’apôtre Pierre en guérissant un
infirme (Actes 3, 6) et il affirme ensuite devant les prêtres : « C’est
par le Nom de Jésus Christ…que cet homme se présente guéri devant vous »(
Actes 4, 10)
« Quiconque
invoquera le Nom du Seigneur sera sauvé » proclame encore Pierre
devant la foule (Actes 2, 21).
Dans un autre passage, les apôtres sont dans la joie lorsqu’ils subissent des
outrages pour le saint Nom de Jésus (Actes 5,41 et 3 Jean 7)
St Paul écrit
qu’il n’existe aucun autre nom par lequel nous pouvons être sauvés
Et que Dieu
(le Père) lui a donné un Nom qui est au-dessus de tous les noms pour qu’au nom
de Jésus, tout genou fléchisse (Phil. 2/ 9-10)
Les apôtres parlent, agissent, guérissent, se réunissent, sont outragés au Nom de Jésus
Ils portent même le nom du Christ en étant surnommés « chrétiens »
(littéralement, ceux du Christ).
*
* Nous
abordons maintenant le troisième plan de la sanctification du Nom, sans doute le plus important pour
nous, hommes et femmes qui tentons de mettre Dieu au centre de nos vies:
« Que Ton Nom soit sanctifié
par nous et en nous ».
Car, au
fond, Dieu n’a nul besoin de manifester Son Nom, si ce n’est dans la relation d’amour
qu’Il noue avec ses créatures afin de leur communiquer Sa Sainteté
Pour cela il faut d’abord prendre conscience, reconnaître cette sainteté qui,
à la fois nous dépasse infiniment et nous est communiquée intimement.
Beaucoup de
personnes ne connaissent pas Dieu et ne sont pas éveillées à Sa Présence, à Sa
Sainteté.
Au mieux
pensent-ils que Dieu existe sans doute, mais qu’Il est loin de nous, abstrait,
indifférent….
Le patriarche Shenouda écrivait à propos de ces deux attitudes (oubli de Dieu
et absence d’ouverture à la révélation du Père par le Fils) :
« Parce que des millions d’hommes ne
descendent jamais dans cette profondeur céleste et que nous-mêmes le faisons si
peu, nous prions maintenant pour la sanctification du Nom. Quelle souffrance de
savoir que la plupart des hommes ne connaissent pas le trésor qui les habite et
ne goûtent pas au véritable bonheur ! C’est le Fils incarné en Jésus
Christ qui vient le révéler et le faire connaître »
La
sanctification du Nom divin suppose que Dieu soit nommé (par son Nom),
c'est-à-dire, connu, reconnu et qu’on Lui donne la place qui doit être
la sienne dans notre vie. C'est-à-dire au centre de notre être, dans toutes nos
pensées, nos paroles, nos actes…comme le faisaient les premiers chrétiens
surnommés les invocateurs du Nom dans un élan enthousiaste (n’est-ce pas là la
réalité essentielle de la foi ?) que nous avons le plus souvent perdu :
« Le chrétien est plongé, immergé dans
l’Amour, c’est donc par tout son être qu’il doit sanctifier le Nom ! Quand
on lit les actes des apôtres, on voit que les premiers chrétiens faisaient tout
au Nom de Jésus ; leur vie était vouée au saint Nom. Il était pour eux une
force réelle et un soutien puissant au sein du quotidien. D’où cette joie
extraordinaire qui rayonne partout dans ces textes et qui était vraiment la
tonalité de l’Eglise primitive…Le saint Nom les avait libérés de toute angoisse
et ils allaient dans l’arène en chantant la Gloire de Dieu qui les avait visités !
C’est pourquoi nos pères se réjouissaient de répéter le Saint Nom des milliers
de fois le long de la journée. » ( Amba Shenouda)
* Invoquer
le Saint Nom du Père, le Saint Nom de Jésus, le saint Nom de l’Esprit.
En nous laissant guider par la Parole du
Verbe, inspirer par le souffle de l’Esprit.
En nous mettant consciemment dans sa dépendance,
son sillage, la présence du Nom, loin de tout orgueil aveugle qui relègue Dieu
innommé dans les nuages ou dans un brouillard impersonnel et lointain.
* La
sanctification ne se limite pas à invoquer et honorer le Nom trois fois saint,
par des paroles, des prières ou des rites, malgré toute la beauté, la richesse
et la profondeur de ceux-ci.
Elle implique surtout la transformation profonde de l’être humain appelé
à la sanctification personnelle, à la sainteté.
Sous peine
de nous retrouver comme dans un miroir, dans ces paroles terribles du Seigneur :
« Ce peuple m’invoque des lèvres,
mais son coeur est loin de moi ».(Isaïe 29, 13 – Marc 7,6)
« La sanctification est la
communication de cette sainteté.
Nous
sanctifions les Dons, nous sanctifions notre vie.
En implorant Dieu que nos vies soient sanctifiées, nous formulons la requête la
plus audacieuse que l’on puisse imaginer. Nous avons l’audace de désirer que la
sainteté, contemplée avec stupeur par les armées angéliques, la pureté, la
splendeur de Dieu, se manifestent dans notre univers et se communiquent à nous.
C’est pourquoi, la pénitence et la purification sont nécessaires, sous peine d’être
brûlés.
Que ton Nom soit sanctifié demande donc que la
majesté de Dieu se transmette, transforme, transfigure le monde, comme elle
transfigura même les habits de Notre Seigneur sur le Mont Thabor…. » (Mgr Jean - Technique de la prière)
* Mgr Jean
attitre notre attention sur la richesse d’une attitude antinomique dans
la sanctification du Nom par nous et en nous.
A la fois, elle nous tire vers le haut, en mettant en valeur la transcendance
de Dieu Saint vers lequel monte notre prière.
Et aussi,
elle nous intériorise en nous centrant sur notre cœur où Dieu établit en nous
Sa demeure.
Ce qui est
important, c’est de garder un parfait équilibre entre ces deux mouvements complémentaires :
extérieur-intérieur, haut-bas, transcendance-immanence…pas de montée sans
descente, pas d’extériorité sans intériorité, pas de transcendance sans
immanence…au risque de tomber soit dans un excès de ritualisme, soit dans un
excès de mysticisme.
Mais laissons à nouveau la parole à Mgr Jean de St Denis :
« Deux tendances dominent la religiosité
humaine (je dis religiosité) : l’une conçoit spatialement la religion :
Dieu est en haut et nous en bas, et en priant, nous nous élevons vers Lui. L’autre
conçoit la religion à l’intérieur : Dieu est en nous, contraire à ce qui
est extérieur. L’enfer est le sous-sol, le monde inférieur…Si vous demeurez,
avec les mystiques, dans la seule conception intériorisante, ou si vous ne
quittez pas la vision extérieure des hauteurs, vous tomberez dans une mystique
incomplète ou une piété extérieure. Le mystique et l’homme pieux sont
incomplets. Le chemin véritable n’est point partagé. Celui qui prie réellement
s’intériorise et s’intériorisant, s’élève. L’attitude chrétienne précédant la
prière consiste, certes, à se placer devant Dieu, mais aussi à abandonner le
monde extérieur et à entrer en soi…Ne nous laissons pas entraîner à la
superficialité ou à un mysticisme incapable de comprendre le sens cosmique et
universel de notre religion. En nous dégageant des couches inférieures de notre
être intérieur, nous retrouvons les cieux et, du même coup, notre âme monte
vers les hauteurs ». (Technique de la prière)
3 - Que
ton Nom « Soit » sanctifié
Nous ne
nous étendrons pas longuement sur cette partie de phrase car elle a été expliquée
de manière implicite par tout ce qui précède.
« Que soit sanctifié le nom » est au mode subjonctif et a une
tournure impersonnelle.
Jésus ne dit pas à l’impératif : « Père sanctifie Ton Nom », ni « sanctifiez
le Nom de Dieu ».
Il emploie une tournure neutre pour laisser la phrase ouverte et permettre aux
deux directions de rester ouvertes et de se déployer.
Elle inclut donc les deux sens qui viennent d’être cités, comme l’a relevé St
Jean Chrysostome (cité par le père Carmignac) :
« Vois comme l’évangile s’exprime avec
justesse ! Il ne dit pas : Père sanctifie ton Nom en nous…de peur que
Dieu ne paraisse se sanctifier lui-même dans les hommes… et qu’ainsi, Il ne
fasse acception de personnes.
Mais il ne dit pas non plus : « Sanctifions ton Nom…de peur que ne
paraissent venir que des hommes la sanctification de Dieu.
Il a employé une formule ambivalente et impersonnelle : « Que soit
sanctifié… ». En effet, de même que l’homme ne peut faire le bien s’il na
pas d’aide de Dieu, ainsi Dieu ne réalise pas le bien dans l’homme si l’homme
ne le veut pas. » (Carmignac - p 27)
Cette
observation nous rappelle l’importance de la synergie entre Dieu et nous.
Nous y reviendrons plus longuement quand nous aborderons la troisième demande :
que Ta volonté soit faite.
Ce que nous
venons de dire de la sanctification du Nom peut être synthétisé et redit sous
forme de prière en nous tournant vers la Divine Trinité.
PERE, QUE TON NOM SOIT
SANCTIFIE
Père céleste, Tu es
inconnaissable
Incompréhensible,
inaccessible.
Et pourtant, Tu Te fais connaître
Par de multiples Noms qui sont
autant de reflets de Ta Sainteté,
Qui dévoilent et voilent Ta Présence.
Tu te fais à connaître par la
Révélation
de Ton Fils bien-aimé et de
Ton Esprit Saint.
Tu Te révèles comme Père et Créateur,
Saint et Source de toute
sainteté.
Tu dévoiles Ton visage qui est
celui de l’Amour.
Tu donnes tout ce que tu as et
tout ce que tu es
Au Fils et à l’Esprit.
Ta sainteté rayonne sur le
visage de Jésus, Ton image parfaite.
Tu nous communiques Ta Sainteté
par le don précieux de Ton Esprit
qui répand sur nous, tes
enfants, Ta grâce sanctifiante.
Cette Lumière qui vient de
Toi,
Comme dans des vases d’argile,
fragiles et forts,
nous la portons dans notre
corps, notre âme et notre esprit
quand nous ouvrons notre coeur
à Ta Présence aimante.
Nous sommes porteurs de la
sainteté qui est ta Vie même
Et nous pouvons la faire
rayonner parmi nos frères et sur le monde créé
Comme un Feu issu de Toi,
Le Feu de l’Esprit que ton
Fils Jésus est venu allumer sur notre terre.
Père très Saint,
que Ta sainteté, Ta Gloire et
Ta Présence
éclatent et se manifestent sur
la terre comme au ciel,
Qu’elle y soit reconnue et célébrée
comme elles le sont par les anges et les saints dans Ton Royaume.
Amen.
*
QUE TON REGNE
VIENNE sur la terre comme au ciel
* Le mot hébreu
« Malkut », qui est l’équivalent du mot grec « basileia » ;
signifie à la fois le règne, le royaume et la royauté, trois termes
proches qui désignant une même réalité vue sous des angles différents et que l’on
peut résumer en une phrase :
le Roi règne
sur un royaume.
Le règne est l’exercice du pouvoir royal tandis que le royaume est l’ensemble
spatial, temporel et aussi le groupe sur lesquels règne le roi.
Je rappelle
ces évidences pour garder la souplesse et la richesse de sens de cette deuxième
demande qui vise à la fois le règne (du Roi) et le royaume.
Ne nous
enfermons pas dans une seule signification et, plutôt que de répéter de manière
distraite et mécanique « que ton Règne vienne » (ou arrive), nous
pouvons dire « que ton Royaume advienne », « que ta Royauté se
manifeste »…sur la terre comme au ciel.
Ou encore :
« que le Seigneur Dieu, Roi céleste, règne sur son Royaume sur la terre
comme au ciel ».
Nous voici
en face de plusieurs réalités et nous allons porter l’éclairage sur celle qui
me paraît la plus essentielle : celle du Royaume qui revient sans cesse
dans le Nouveau Testament.
* LE
ROYAUME ?
Voilà une réalité
mystérieuse et d’une importance extrême qui est vraiment au coeur de la prédication
de Jésus.
Les évocations
du Règne ou du Royaume de Dieu apparaissent plus de 130 fois dans le Nouveau
Testament (dont 50 fois en Saint Matthieu) !
C’est un, sinon le thème central de son enseignement, comme les Béatitudes
qu’on appelle la «charte du Royaume » et qui condensent le contenu
essentiel de ce que le Verbe divin veut nous transmettre.
Nous évoquons
d’ailleurs souvent le Royaume dans nos prières liturgiques et, en particulier
dans l’ouverture du chant des Béatitudes :
« Dans
ton Royaume, souviens-toi de nous Seigneur ».
(demande qui fait écho à celle du bon larron sur
la croix : « Souviens- toi de moi Seigneur, quand tu viendras dans ton
Royaume »).
La première
béatitude évoque aussi le Royaume puisque nous proclamons bienheureux les
pauvres en esprit parce qu’ils hériteront du Royaume des cieux.
Que
signifie cette deuxième demande du Notre Père ?
Cette évocation
du Royaume suscite de nombreuses questions :
Qu’est-ce
que le Royaume ? Qui en est le roi ? Quand et où adviendra-t-il ?
Comment y entrer ? Comment
favoriser sa venue ?
Mais avant
d’aborder ces questions, je vous invite à une petite rétrospective historique
dans l’ancien Israël , avant la venue du Christ pour y trouver les signes
avant-coureurs du Royaume.
* Les
annonces du Royaume dans le premier Testament
Le thème du
Royaume de Dieu est ancien.
Il ne
jaillit pas dans la bouche du Christ comme une parole nouvelle et imprévue,
mais plonge ses racines dans l’Ancien Testament.
La
conviction que YHWH est le Roi qui règne sur son peuple Israël apparaît après l’Exode,
quand le peuple hébreu s’installe au pays de Canaan.
Parmi de
nombreuses autres, quelques citations pour illustrer cette réalité :
« Que le Seigneur soit votre Roi ! »
(Jg 8,23)
« Qui est-il ce Roi de gloire ? Le
Seigneur tout-puissant ! C’est Lui ce Roi de gloire. » (Ps 24,
7-10)
« Je vis le Seigneur assis sur un trône
très élevé » (Is 6, 1 à 5)
« Le Seigneur règne à tout jamais »
(Ex 15,18)
« Le Seigneur a son trône dans les
cieux, Sa royauté domine tout» Ps 11,4 et 103,19)
« Le Seigneur, le Très-Haut, le grand
Roi par toute la terre, Chantez pour Dieu, chantez ! Chantez pour notre
Roi, chantez ! Car le Roi de toute la terre c’est Dieu, chantez pour le
faire savoir. Dieu règne sur les nations, Il est assis sur son trône sacré. »
(Ps 47)
La Loi donnée
à Moïse par le Souverain de l’univers est une manifestation de son règne et la
reconnaissance de sa royauté par ses sujets.
Leur vie
quotidienne est régie totalement par cette Loi qui émane de Dieu-Roi et les
relie à Lui.
Même quand Israël
va instaurer le régime politique de la monarchie, elle verra le roi comme
choisi et subordonné au Roi des rois, YHWH qu’il représente.
« Le Seigneur, Dieu d’Israël m’a choisi
sur Israël » proclame le roi David (1 Ch 28,5)
« Vous résistez à la Royauté du
Seigneur qui est entre les mains des fils de David » dit le roi Abiya
(2 Ch 13,8)
Le premier
Testament rappelle constamment que les rois sont de bons rois s’ils se
soumettent à YHWH et lui obéissent en tout. De mauvais rois s’ils s’en écartent
et égarent le peuple loin du Seigneur des seigneurs.
La chute de
la dynastie du roi David après la prise et la ruine de Jérusalem en l’an – 587,
a pour cause la rupture, la désobéissance des rois envers Celui dont ils ont reçu
le pouvoir et qu’ils ont trahi.
Mais ces événements
dramatiques vont susciter une nouvelle prise de conscience en Israël.
Le
traumatisme collectif que l’exil représente pour le peuple hébreu va favoriser
l’apparition de deux thèmes nouveaux qui vont prendre de plus en plus d’ampleur dans
la pensée religieuse juive :
D’une part,
l’attente d’un Messie qui doit restaurer Israël dans sa dignité de peuple élu
et dans sa fidélité à YHWH. On le voit chez tous les prophètes.
D’autre
part, le caractère eschatologique du Règne de Dieu. Cela se manifeste par la
prolifération de la littérature apocalyptique (dont celles de Daniel, d’Isaïe,
d’Enoch, de Moïse, de Baruch…les psaumes de Salomon) où le Roi des rois viendra
juger l’Univers.
On voit
apparaître dans ce contexte la célèbre prophétie d’Ezéchiel sur la venue du
Fils de l’Homme qui vient sur les nuées du ciel.
« Par-dessus le firmament qui était sur
leurs têtes, telle une pierre de lazulite, il y avait la ressemblance d’un trône ;
et, au-dessus de cette ressemblance de trône, c’était la ressemblance, comme l’aspect
d’un homme, au-dessus, tout en haut…je vis comme l’aspect d’un feu et d’une
clarté tout autour de lui…C’était l’aspect, la ressemblance de la gloire du
Seigneur. Je regardai et je tombai sur mon visage et j’entendis une voix. »
(Ez. 1, 25 et suivants)
On voit
poindre, avec cette apparition du Fils de l’Homme, l’annonce de l’homme-Dieu,
de la venue du Verbe divin dans notre chair.
Ainsi se
forme progressivement, dans la pensée biblique, la conviction que le Royaume
de Dieu n’est pas de ce monde, mais appartient à une Réalité future, en
gestation.
Et aussi
celle que l’avènement du Règne de Dieu implique une rupture dans l’espace et
dans le temps : un autre monde meilleur va surgir à la fin des temps (du
temps historique) marqués par le règne du mal.
Notons
cependant que les avis sont partagés : si les plus spirituels d’entre les
Juifs attendent l’avènement d’un Royaume intérieur, une conversion du cœur
rappelée par les prophètes, de nombreux autres y verront une réalité à la fois
terrestre, avec la venue du Messie humaine descendant de David, et la
restauration d’Israël dans sa gloire d’avant l’exil et une réalité céleste.
° Il est
aussi bon de relever que la tradition juive elle aussi appelle de ses vœux l’avènement
du règne de Dieu dans une prière très connue : le Quaddish, qui préfigure
le Notre Père :
« Que soit magnifié et sanctifié son
grand Nom…
Qu’Il fasse régner son règne en nos vies et en nos jours et dans tous les jours
de la maison d’Israël… »
* Le
Royaume annoncé et inauguré par le Christ
Il est
frappant de constater que l’annonce de la proximité du Royaume se situe dès le
début de la vie publique de Jésus annoncé par Jean Baptiste :.
Jean
Baptiste lui ouvre le chemin par son appel à la conversion et proclame
« Repentez-vous car le Royaume de Dieu est
proche (Mat 3, 2)
Après l’arrestation
de Jean, Jésus reprend le même message dès ses premiers enseignements :
« Il disait ; le temps est
accompli et le Royaume de Dieu est proche. Repentez-vous et croyez à la bonne
nouvelle (« évangelos ») (Marc 1, 14)
Ainsi, Jean
le baptiste et Jésus mettent-ils tous deux
l’accent sur le repentir lié à la proximité d’un mystère appelé le
Royaume.
Jésus
inaugure une réalité nouvelle et fondamentale : l’avènement du Royaume de
Dieu parmi les hommes.
Je vous
propose de mettre en évidence le lien étroit, vital entre la réalité du Royaume
et la vie et l’enseignement de Jésus selon deux axes :
- non
seulement le Christ évoque constamment le Royaume,
- mais Il
en ouvre déjà les portes et il inaugure la venue du Royaume par l’oeuvre de
salut qu’Il accomplit parmi nous.
* Première
approche : Le Royaume est annoncé par le Christ
Comme nous
l’avons dit, le thème du Royaume est au cœur de l’enseignement de Jésus. Il en
parle à tout bout de champ et sous de nombreuses formes :
Le plus
souvent de manière imagée, en paraboles
Mais que
dit-il du Royaume et comment y parvenir ?
1-
Qu’est ce que le Royaume ?
S’il est
une chose bien claire (et c’est peut être la seule !), c’est que le
Royaume de Dieu est totalement étranger à une conception politique, purement
terrestre.
Jésus se dérobe quand on veut le faire roi (Jean 6, 15).
Mais qu’est-il
alors ce mystérieux Royaume ?
Le Christ
ne le définit jamais de manière simple et claire.
Et c’est
normal. Comme il s’agit d’un mystère (c'est-à-dire une réalité qui nous dépasse
et qu’on n’en finit jamais de découvrir et de s’y nourrir), il échappe à toute formulation ou description
selon notre pauvre logique binaire. On ne peut pas plus le saisir que l’eau d’un
torrent dans un filet !
Jésus va donc, tel un peintre impressionniste,
évoquer le mystère du Royaume par petites touches colorées, des symboles, des paraboles
très imagées qui nous en font humer le parfum.
Les
paraboles sont des clés d’accès poétiques et spirituelles à la réalité mystérieuse
du Royaume.
Et le
Royaume est, comme l’écrit Daniel Marguerat, « à l’horizon des paraboles »
(dans « Jésus le sage et Jésus le prophète – dans le monde de la Bible n°
38- 1998).
Je vous
invite à relire tout le chapitre 13 de l’Evangile de St Matthieu qui
contient la plupart de ces belles paraboles du Royaume.
° Jésus
souligne la valeur inestimable du Royaume en le comparant
à une perle précieuse (Mat 13, 45-46),
à un trésor
caché (Mat 13, 44).
qu’il faut chercher à tout prix et qui vaut la peine que l’on sacrifie tous ses
biens en échange (Luc 12, 31 et Mat 6,
33). Cette affirmation est radicale :
le Royaume est plus précieux que toutes nos possessions et sécurités réunies.
° Le Christ
compare aussi le Royaume à un filet de pêche qui ramène toutes sortes de
poissons (Mat 13, 47) (N’oublions pas que Jésus s’adresse à des pêcheurs !)
° Le Verbe
compare aussi le Royaume au monde végétal, caractérisé par une croissance
lente et souvent secrète, cachée, enfouie dans le sein de la terre. Une petite
plante appelée à se développer, à
devenir très grande :
Ainsi les
paraboles
- du grain
de senevé (la plus petite de toutes les graines mais qui devient un grand arbre
capable d’accueillir tous les oiseaux du ciel (toutes les nations) (Mat 13,
31-32 et Marc 4, 31-32),
- de la
graine jetée dans le sol et qui germe et croît nuit et jour, sans que le semeur
sache comment (Marc 4, 26-29),
- du semeur
où la Parole de Dieu est comparée à une graine qui germe dans le sol profond, à
condition qu’il soit fertile, débarrassée des ses pierres et débroussaillé de
ses ronces (Mat 13, 20 à 22).
° La même
idée de croissance est reprise dans la parabole du levain dans la pâte
(Mat 13, 33).
Arrêtons-nous
un instant sur cet aspect essentiel du Royaume annoncé :
la
croissance du Royaume est comparée par Jésus à celle d’un organisme qui
grandit en silence.
Sa venue ne
se laisse pas observer comme un phénomène extérieur et spectaculaire mais comme
un événement discret et intérieur.
« Le Royaume de Dieu ne vient pas de
manière à frapper les regards. On ne dira point : il est ici, ou : il
est là. Car voici, le Royaume de Dieu est au milieu de vous. » (Luc
17, 20-21)
° Le
Royaume prend racine et grandit, mais cette croissance positive est étroitement mêlée, parasitée par celle, négative,
d’une autre réalité trop humaine (et même démoniaque comme nous l’avons déjà
rappelé): la présence du mal, comme l’évoque la parabole du bon grain et de l’ivraie
qui poussent et grandissent ensemble jusqu’au jour de la moisson (Mat 13, 24).
Il faut
prendre cette parole du Verbe très au sérieux ; elle nous concerne
intimement. Elle parle de notre état intérieur, de notre vie spirituelle car le
Royaume est en nous. Dans notre cœur, les élans vers Dieu et Sa Lumière côtoient
des abîmes et des ténèbres. Nous progressons cahin caha vers le Royaume dans
une croissance lente où bon grain et ivraie s’entremêlent. Comme l’écrit l’apôtre
Jacques, nous sommes des êtres au cœur partagé (Ja. 1, 8 et 4, 8).
° On peut ainsi
distinguer trois temps successifs de l’avènement du Royaume ou du
règne de Dieu :
- celui des
semailles (la graine est la Parole divine révélée aux hommes),
- celui de
la croissance (c’est le temps de l’Eglise)
- et le
temps de la moisson (c’est l’accomplissement du Royaume à la fin du temps
historique).
La Parole
de Dieu (celle du Verbe) joue un rôle essentiel dans l’apparition et la
croissance du Royaume comme le montrent les paraboles déjà citées du semeur et
du grain de senevé : c’est la Parole divine qui est la graine du Royaume,
du moins quand elle est accueillie par les hommes.
Nous
reviendrons plus loin sur cette réalité essentielle du développement temporel
du Royaume dans l’histoire et atemporel dans l’eschatologie.
Mais avant
d’approfondir ce thème parlons du comportement de Jésus qui incarne déjà le
Royaume…
* Deuxième
approche : Jésus incarne déjà en actes l’avènement du Royaume de Dieu
sur terre.
Il est
important de constater que le Christ ne se borne pas à évoquer le Royaume en paroles
inspirées.
Par sa manière
de vivre, par les guérisons et les miracles qu’il opère…Le Christ nous montre
que le Règne de Dieu n’est plus une réalité abstraite et lointaine mais qu’il a
déjà commencé à se réaliser sur notre terre.
C’est
pourquoi il dit et répète que, non seulement, le Royaume est tout proche, mais
qu’il est déjà là quand il accomplit (ou ses disciples) des prodiges :
« Guérissez les malades et dites leur :Le
Royaume s’est approché de vous » (Luc 10, 9)
« Si c’est par le doigt de Dieu que je
chasse les démons, alors le Royaume de Dieu est venu vers vous » (Luc 11, 20)
Nous allons
illustrer cet avènement par trois aspects de l’oeuvre du Christ :
les miracles, sa manière d’être et sa résurrection.
° Parlons d’abord
des miracles
Les miracles
qui accompagnent l’annonce du Royaume en sont les signes avant coureurs qui
nous dévoilent une chose fondamentale : la réalité matérielle que nous
connaissons (ou croyons connaître) elle-même, est transformée par l’avènement
du Royaume où « les pierres elles mêmes crieront » (Luc 19,
40).
A notre époque,
les miracles ont mauvaise presse et certains chrétiens sont gênés d’en parler
(et aussi d’y croire). Mal à l’aise avec ce qui paraît relever d’une pensée
magique, ils préfèrent affirmer, avec les penseurs matérialistes, que les récits
de miracles sont purement symboliques, de peur de choquer leurs interlocuteurs.
D’où l’expression péjorative « croire aux miracles » (c'est-à-dire
faire preuve de naïveté, d’ignorance…).
Or, les
miracles sont des théophanies de l’Esprit Saint dans la matière. S’ils sont
effectivement contraires aux « lois de la nature » (déchue), ils sont
des manifestations éclatantes de la puissance du Christ et de l’Esprit, de la
venue du Royaume dans notre matière
terrestre et corporelle.
La guérison
d’un paralytique, d’un aveugle né, d’un possédé, la résurrection de la fille de
Jaïre, de Lazare… entrouvrent les portes d’une Réalité supérieure qui dépasse
nos connaissances et notre imagination, toutes deux bien limitées….
C’est le début de la transfiguration de la matière, comme la virginité-maternité
de Marie, la très sainte Mère de Dieu.
Par le
miracle, l’homme est placé devant un choix qu’il ne peut ignorer : ou bien
il se cramponne à ses connaissances limitées du monde et il peut tout au plus
donner aux miracles de Jésus une portée symbolique (c'est-à-dire abstraite, désincarnée).
Ou bien il s’écrie comme l’aveugle de naissance guéri par Jésus : « Maintenant
je vois ! » (et je crois !) (Jean 9, 15 et 25).
Ne sommes-nous pas frappés par les paroles dures que prononce le Christ (et qui
sont rapportées par les trois évangiles synoptiques) sur l’incrédulité qui fait
obstacle aux miracles (et donc à la manifestation tangible du Royaume) lorsqu’il
constate que les habitants de Nazareth, de Chorazim, de Bethsaïda et de Caharnaüm
ne croient pas en Lui (Mc 6, 1 à 6 ; Mat. 13, 54 à 56 ; Mat. 11, 20 à
24 et Luc 10, 12 à 16) ?
Il ne vous échappera
pas que la première attitude est l’expression d’une résistance fondamentale (et
très répandue): le refus d’accepter l’Incarnation de Dieu dans notre matière
humaine, en d’autres termes, la puissance de l’Esprit sur la matière.
Comme me le
disait un ami tout récemment : la résurrection de Jésus, c’est impossible.
Donc je ne peux pas y croire ! CQFD…
Or, la foi chrétienne est fondée sur cette Incarnation, c'est-à-dire l’entrée réelle
du Verbe divin dans un corps, une âme et un esprit humains !
Aucune
tradition religieuse n’accorde autant d’importance à la matière que la foi chrétienne.
Aucune ne la magnifie en la rendant, comme la tradition chrétienne, apte à être
transformée, transfigurée par l‘Esprit.
Nier la réalité
historique, concrète, des miracles, c’est nier que le Christ était réellement
le Fils de Dieu, le Verbe incarné.
Nous
trouvons encore deux autres illustrations du lien entre les signes, prodiges et
miracles et la venue du Royaume dans deux épisodes rapportés par les évangélistes :
Il s’agit d’abord
de l’envoi par Jésus des apôtres en mission que nous trouvons dans l’évangile
de Luc (10, 3 à 11) et dans ce passage émouvant où Jean Baptiste, prisonnier d’Hérode,
envoie ses disciples pour demander à Jésus s’il est bien le Christ ou s’il faut
attendre un autre Messie.
Jésus leur
répond :
« Allez rapporter à Jean ce que vous
entendez et ce que vous voyez : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés,
les sourds entendent, les morts ressuscitent et la bonne nouvelle est annoncée
aux pauvres » (Mat 11, 4-5)
Ce sont les
signes de l’avènement du Royaume annoncés par le prophète Isaïe (35,5).
° Non seulement le Christ opère des miracles,
qui montrent que la matière touchée par l’Esprit est transfigurée et participe
au dynamisme du salut de tout l’être humain corps-âme-esprit, mais tout
son comportement, étrange, étonnant, déroutant, contraire à celui d’un « bon
père de famille raisonnable », est celui d’un membre éminent du Royaume
D’abord, au lieu d’affirmer la gloire qui est la sienne, la manière d’être du
Verbe incarné est fondamentalement marquée par la kénose, l’abaissement
volontaire, l’humilité.
Ce lien étonnant
mais fondamental entre l’abaissement, l’humilité, la kénose du Verbe divin et
la gloire royale qui en résulte est magnifiquement exprimé par St Paul dans un
passage célèbre de sa lettre aux Philippiens :
« Lui qui existant comme Dieu …s’est dépouillé
lui-même ; prenant la forme d’esclave…Il s’est humilié lui-même se rendant
obéissant jusqu’à la mort et la mort sur une croix. C’est pourquoi, Dieu L’a
souverainement élevé et Lui a donné le Nom qui est au-dessus de tous les noms,
afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les
enfers. Et que toute langue confesse que le Christ est Seigneur à la gloire du
Père. » (Ph. 2, 6 à 10)
° Le comportement
de Jésus avec tous ceux qu’il rencontre est totalement contraire à notre façon
habituelle de vivre et de penser.
Le Christ
bouleverse tout : l’ordre établi, le respect maniaque de la Loi, la dureté
du comportement de ceux qui se croient les plus religieux des hommes (les
pharisiens), ceux qui croient savoir alors que leurs yeux sont éteints et les
oreilles sourdes à la voix de Dieu (Marc 8, 18).
Il dénonce, condamne les comportements hypocrites et orgueilleux, l’autosatisfaction...
Il
accueille et touche les plus petits, les enfants, les femmes, les plus démunis,
les mendiants, les prostituées…
Ce
comportement, qui laisse pantois ses contemporains, est celui que Jésus invite à
adopter pour hériter du Royaume…
Le Royaume
appartient aux petits enfants (Mat 19, 14 et 16, 21 et Marc 10, 14 + 17,21)
Les
publicains et les prostituées vous devancent dans le Royaume (Mat 21, 31-32
Celui qui
se fera petit sera grand dans le Royaume (Mat 18, 4)
Il faut
accueillir le Royaume comme un petit enfant (Luc 18, 16 + 18-22)
Bienheureux
les pauvres en esprit, bienheureux les persécutés pour la justice, ils hériteront
du Royaume ! (Mat 5, 3 et 10)
Par son
humilité, sa compassion sans limite, son amour du plus faible, le Christ témoigne
de sa dignité royale.
Toute l’antinomie de cette attitude, à la fois humble et royale, est manifestée
lorsqu’il entre triomphalement à Jérusalem, monté, non sur un char ou un cheval
de race, mais sur un petit âne. Le Roi Jésus retrouve son humble ami aux
longues oreilles et au souffle chaud qui a veillé sur ses premiers balbutiements
et l’a réchauffé de son haleine dans l’étable de Bethléem.
Et, ajoute,
l’évangéliste Matthieu, rappelant la prophétie du prophète Zacharie (9, 9):
« Dites à la fille de Sion :
voici, ton Roi vient à toi, plein de douceur et monté sur un âne, sur un ânon,
le petit d’une ânesse » (Mat. 21, 5)
C’est pourquoi nous chantons à la fête des
Rameaux :
« Gloire, louange, honneur à Toi, Ô
Christ Roi rédempteur auquel un choeur d’enfants
dit l’hosanna vainqueur ! »
° Sa
résurrection
Le triomphe
et le couronnement du Roi deviennent manifestes par Sa résurrection d’entre les
morts.
La résurrection
du Christ est l’annonce de notre propre résurrection.
Comme le
proclame St Jean Chrysostome dans ce magnifique texte que nous lisons lors de
la nuit pascale :
« Mort où est ton aiguillon ?
Enfer, où est ta victoire ? Christ est ressuscité et tu as été terrassé !
Christ est ressuscité et les démons sont tombés…
Christ est ressuscité et la vie triomphe !
Christ est ressuscité et il n’y a plus de morts
dans les tombeaux.
Car le Christ est devenu prémices de ceux qui
dorment étant ressuscité des morts ! » (homélie pascale de St Jean Chrysostome)
Dans cette
perspective eschatologique, le Règne et la royauté de Dieu éclateront au grand
jour au moment de la résurrection des morts.
Quand tous
sortiront des tombeaux, le Royaume de Dieu sera définitivement établi.
En
attendant ce jour du retour du Christ en gloire, la résurrection de Jésus est
un événement historique bouleversant qui arrache l’histoire humaine à sa lente
dégradation pour lui insuffler le Souffle divin qui recrée, renouvelle la création.
La porte du
Royaume est largement et définitivement ouverte par la résurrection du Christ,
qui est tellement aveuglante, tellement insupportable pour le monde tombé au pouvoir
du Malin, qu’elle est rejetée, moquée, tournée en dérision, comme le Christ
Lui-même l’a été (« Salut Roi des Juifs » ! disaient les soldats
pendant sa passion (Mat 27, 29. « Pardonne leur, Père, car ils ne savent
pas ce qu’ils font » priait Jésus au milieu de ses souffrances sur la
croix (Luc 23, 34 ).
° Si nous
reprenons la perspective du Royaume, et que nous en rapprochons le récit de la
Genèse (et d’autres récits qui émaillent la Bible et la vie terrestre de Jésus),
nous constatons que le Royaume de Dieu n’est pas le seul qui peut séduire
les hommes : il existe aussi un autre : celui de l’adversaire, du
Satan que le Christ appelle de manière très suggestive : « Le Prince
de ce monde (déchu) » (Jean 14, 30 et 12, 31)
Et cette « souveraineté »
caricaturale, parallèle à la Royauté du Seigneur, travaille activement à
maintenir la séparation entre Dieu et l’homme, à tenter égarer l’être humain, même quand il
s’appelle Jésus de Nazareth (Luc, 4, 1 à 13, Marc 1, 12-13 ; Mat 4, 1 à
11)
C’est lui
qui sème l’ivraie dans le champ (Mat 13,39), lui qui arrache la Parole divine
du cœur des hommes (Mat 13,19 ; Marc 4, 15, Luc 8, 12)
Il est
menteur et père du mensonge (Jean 8, 44).
Il est
important de ne pas oublier l’existence de ces deux royaumes.
Mais aussi et surtout de savoir que le Christ, par son enseignement, par sa
vie, par sa résurrection, a vaincu le diable et l’a rejeté du monde qu’il
convoite.
« L’enfer a saisi un corps et il s’est
trouvé devant Dieu ; il a saisi la terre et il a rencontré le ciel…Christ
est ressuscité et les démons sont tombés ». (homélie précitée de St Jean Chysostome)
Résumons
tout cela par une belle citation du patriarche Shenouda d’Alexandrie :
« Dès les origines, il était prévu que
le Créateur règne sur sa création, en soit le Roi et le possesseur. Hélas, le péché,
c'est-à-dire la rupture avec Dieu, fit son entrée dans le monde (Rom. 5,12) et
fit des coeurs et des volontés des hommes son royaume. Et par le péché entra la
mort. La mort a régné, dit St Paul (Rom.5, 14-17) et toute l’humanité fut sous
sa dépendance. Mais le péché, c’est le règne du Démon, « prince de ce
monde » (Jean 14,30). Dès lors, c’est lui qui domine tout…La Lumière
disparut et les ténèbres régnèrent car « les hommes ont préféré les ténèbres
à la lumière » (Jean 3, 19).
Lors de son arrestation, Jésus le dit
clairement : « C’est ici votre heure et le pouvoir des ténèbres »
(Luc 22, 53). Le « Règne » était donc celui des ténèbres sur les pensées
et les désirs des hommes. Mais…le Christ, par sa croix et sa résurrection, a
jeté dehors le Prince de ce monde » (Jean 12, 31)…Le Royaume est ouvert à
tous ceux qui le désirent et qui prient ; « Que Ton Règne arrive !»…
Là où le Règne de la liberté de l’Esprit culmine, presque à donner le vertige,
c’est finalement dans le bouleversement extraordinaire et le renouvellement
radical qu’introduit la résurrection de Jésus d’entre les morts. Liberté à l’égard
du pouvoir de la mort présente au coeur de notre vie, réalité éblouissante où l’angoisse
devant l’avenir a perdu sa raison d’être.
Dieu en Jésus Christ, par la puissance de l’Esprit, a franchi l’abîme de la
mort et de toutes nos morts. Il nous libère dès maintenant de nos enfers et
nous entraîne vers un processus de recréation totale »
(dialogue avec Alphonse et Rachel Goettmann- La
voix d’un père du désert).
Comment
accéder au Royaume ? Le temps de la croissance.
Nos yeux
viennent de contempler le resplendissement de l’humilité et de la gloire de
Notre Seigneur Jésus Christ dont la kénose, la façon de vivre, les guérisons et
la résurrection nous ouvrent déjà les portes du Royaume.
Mais qu’advient-il
de nous dans tout cela ?
Pouvons-nous dès à présent entrer dans le Royaume et y faire nos premiers pas ?
Jésus, nous
l’avons vu, non seulement évoque la réalité du Royaume en paroles et en actes,
mais il nous décrit les conditions pour y accéder
° Pour accéder au Royaume, il faut d’abord
devenir les disciples de Jésus, se convertir, changer de vie…accueillir
sa Parole (Mat 13, 23 et Jean 8, 31).
La conversion est une condition fondamentale pour percevoir la venue du Royaume
et l’accueillir en nous comme le rappellent l’action prophétique de Jean le
Baptiste et Jésus dès les débuts de sa prédication :
«
repentez-vous » « Convertissez-vous » (littéralement « metanoïete »
= changez votre esprit), car le Royaume de Dieu est proche (Mat 3, 2 et 4, 17 ;
Marc 1, 14-15)
La
recherche du Royaume n’est pas une occupation pieuse parmi d’autres qui
seraient tout aussi importantes. Elle est première, vitale, fondamentale pour le disciple du Christ. Elle
fait passer tout le reste au second plan :
« Cherchez d’abord le Royaume et sa
justice (sa justesse ?) et le reste vous sera donné par surcroît »
(Luc 12, 31 et Mat 6, 32-33)
Nous y
reviendrons car cette injonction du Christ ne peut être prise à la légère. Elle
nous interpelle dans notre vie concrète.
° Jésus
insiste aussi sur le fait que le Royaume, non seulement est déjà là mais que
ses portes sont ouvertes :
- aux
petits et aux enfants (Mat 19, 13-14, Marc 10, 14, Luc 18, 16) à ceux qui se
font petits (Mat 18, 4), à ceux qui ont une âme de pauvre.
« Bienheureux les pauvres en esprit car le
Royaume des cieux est à eux
Mat 5,3, Luc 6, 20)
Qu’est-ce
qu’une âme de pauvre ?
« Un cœur de pauvre, c’est un cœur qui est
disposé à recevoir quelque chose, un cœur qui est en manque. Au contraire de
celui qui est comblé et n’attend plus rien. Au contraire du coeur endurci qui
se méfie de tout » (Joël Sprung – Notre Père, cet inconnu, p.41)
« « Pauvres en esprit »…la
pauvreté qui ouvre le Royaume des cieux est celle par laquelle je sais que rien
n’est véritablement mien, alors tout ce que j’ai, je l’ai reçu par un don d’amour,
d’amour divin ou d’amour humain et cela rend les choses tout à fait différentes.
Si nous comprenons que nous n’avons pas d’être en nous-mêmes et que pourtant
nous existons, nous pouvons dire qu’il y
a là un acte incessant d’amour divin….Seuls appartiennent au Royaume de Dieu
ceux qui reçoivent toutes choses du roi dans une relation d’amour mutuel et qui
refusent d’être riches parce qu’être
riche signifie la dépossession de l’amour par la possession des choses. Au
moment où nous découvrons Dieu au cœur de la situation, et que toutes choses
sont à Dieu et de Dieu, nous franchissons le seuil de ce royaume divin et nous
entrons dans la liberté » (Antoine Bloom – Prière Vivante p. 28-29)
Au
contraire…
- la
richesse et l’orgueil sont des obstacles insurmontables pour y entrer (Mat 19,
23-3-24, Marc 10, 23-25, Luc 18, 24-25)
« Qu’il est difficile à ceux qui ont des
richesses d’entrer dans le Royaume des cieux ! » (Luc 18, 24) (Mat.
23, 3).
- Aussi, Jésus
maudit-Il les pharisiens qui ferment les portes du Royaume pour empêcher les
autres d’y entrer (Mat 23, 13)
- Regarder
en arrière empêche d’entrer dans le Royaume (Luc 9, 62)
Le Christ
le souligne en rappelant (Luc 19, 32)le sort de la femme de Lot qui s’est
retournée vers Sodome et a été transformée en colonne de sel, c'est-à-dire a
perdu sa vitalité, sa fécondité, devenant stérile et pétrifiée. (Gen. 19, 26).
Et le Christ
d’ajouter : « Qui cherche à sauver sa vie (selon ses propres
forces) la perdra » (Luc 19)
Cet épisode évoque aussi le mythe d’Orphée qui perd Eurydice lorsqu’il se
retourne pour l’apercevoir…
* Les
paraboles de croissance déjà citées nous montrent à la fois que le Royaume est
déjà là et cependant encore en construction, en train d’advenir et que
son accès n’est pas comparable au simple passage d’un lieu à un autre…
Déjà là et
pas encore…
Son avènement
définitif n’aura lieu qu’au terme d’une période de croissance.
Il implique un changement de notre être intérieur, un travail, des conditions ,
une ré-orientation fondamentale, une nouvelle direction.
La
tradition insiste sur le caractère positif du temps qui permet l’éclosion et la
croissance de notre être intérieur, de l’Eglise et du Royaume.
« Le temps constitue l’espace intermédiaire,
l’entre-deux qui nous rend capables de nous mouvoir vers Dieu sans contrainte
et par notre choix volontaire…Vois je me tiens à la porte et je frappe (Ap 3,
20)
Cette attente de Dieu constitue exactement l’essence
du temps, ainsi que l’écrit Dimitru Staniloae : « Pour Dieu, le temps
signifie la durée de l’attente entre le moment où Il frappe à la porte et le
moment où nous Lui ouvrons »
Le temps est l’intervalle entre l’appel de Dieu
et notre réponse..
Le temps est donc une dimension très importante de notre personne créée, le
cadre qui rend possible notre choix de l’amour. C’est le temps qui nous permet
de répondre à Dieu par notre libre consentement, qui permet à notre amour de mûrir,
qui nous permet de grandir dans l’amour… »( Kallistos Ware – l’Ile au-delà du monde p.
82-83)
Cette
croissance, ce développement a lieu à la
fois sur le plan personnel et sur le plan collectif.
* Sur
le plan personnel,
L’exigence
de changement de vie est radicale. Il ne s’agit pas d’un conseil à suivre ou à
négliger. Non, le Christ est tout à fait clair à ce propos. Il compare d’ailleurs
ce changement de notre être, de notre manière de vivre, à une seconde naissance
sans laquelle on ne peut connaître le Royaume.
Il faut naître
d’en-Haut, -, renaître de l’eau et de l’Esprit dit-il à Nicodème
« En vérité, en vérité, je te le dis :
si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le Royaume de Dieu…Si un homme
ne naît d’ eau et d’Esprit, il ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. »
(Jean 3, 3 et 5)
A nouveau
il s’agit ici de se convertir, de se laisser transformer en profondeur par l’inspiration
de l’Eprit Saint qui ouvre en nous un nouvel espace, celui de la liberté
glorieuse des enfants de Dieu. C’est un éveil, une libération de l’emprise de
notre ego rétréci par le péché.
C’est un thème
que St Paul développera en abondance :
C’est à la liberté que vous avez été
appelés (Ga 5, 13)
Christ nous a libérés pour la liberté (Gal 5,1)
Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la
liberté(2 Co 3, 17)
La création doit être libérée de l’esclavage
pour connaître la liberté glorieuse des enfants de Dieu (Rom 8, 20-22)
Notre vieil homme a été crucifié pour nous libérer
du péché (Rom 8, 2)
Jean-Yves
Leloup écrit un beau commentaire à propos de ce changement d’esprit radical
auquel le Christ nous invite :
« Metanoiete » convertissez-vous = « changez
d’esprit », ayez non seulement un esprit sain, mais un Esprit Saint.
Laissez régner en vous l’Esprit du Père, qui est Don et l’Esprit du Fils qui
est accueil…
Il y a dans cette demande un grand désir de
liberté, un grand désir de sortir de toutes les tyrannies, intérieures ou extérieures,
conscientes ou inconscientes, de sortir de toutes les formes d’esclavage, que
ce soit ceux des instincts, des émotions, des idées. Etre délivré aussi du plus
pernicieux de tous les esclavages, celui qui prétend n’avoir ni Dieu ni maître
et qui demeure sous la férule et les caprices de son ego. Cette demande de
Yeshoua est un grand appel d’air, c’est le désir du Souffle, le désir « de
respirer au large » l’Esprit Saint qui n’est pas un esprit contraire à
quoi que ce soit mais un Esprit capable de transformer…capable de transformer
la vie humaine en conscience d’Etre « Je Suis ». ( Jean Yves Leloup p. 114)
Cette conversion se traduit par l’accueil nécessaire
de la Parole du Verbe
« Si
vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples » (Jean 8,
31).
Mais aussi sa mise en pratique
(Luc 6, 46 à 48 et Mat 7, 24-26)
l’accueil de la volonté du Père (Mat 7,
21),
l’annonce de l’Evangile la bonne
nouvelle du Royaume, (Mat 11, 5 et Luc 7, 22)
* Mais
cette manière d’être et de vivre n’est pas une sinécure, ni une attitude
confortable : les tribulations, les épreuves attendent le disciple car le
monde résiste à la Parole divine.
« S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront
aussi …à cause de mon Nom » (Mat 5, 11, et Jean 15, 20-21
« Bienheureux ceux qui sont persécutés à
cause de la justice, le Royaume des cieux ; heureux serez-vous lorsqu’on
vous outragera à cause de mon Nom » (Mat 5, 10-11)
* Nous l’avons
déjà évoqué : le Christ affirme que le Royaume des cieux est d’abord intérieur à
nous:
« Le Royaume est au-dedans de vous »
(Luc, 17, 20-21)
Les portes
du Royaume ne se trouvent pas en dehors de nous. Elles sont en nous-mêmes :
dans notre cœur, dans notre esprit lorsqu’ils sont ouverts à l’action de la grâce.
Lorsque nous implorons la Divine Trinité de venir nous inspirer, nous guider,
nous conduire pas à pas sur notre chemin… qui est le Christ.
« Mon enfant, donne-moi ton cœur et tout
le reste, J e te le donnerai par surcroît, car c’est dans le coeur humain qu’est
le Royaume de Dieu » (St Séraphim de Sarov – Enytretien avec Motovilov)
Il est
fondamental de prendre conscience que c’est notre état intérieur, notre
disponibilité, notre ouverture, notre réceptivité à la grâce qui permet au
Royaume de la Présence divine de prendre racine en nous et de rayonner ensuite
sur le monde.
Passer, comme le disait l’évêque Jean « de la religion extérieure à la
religion intérieure ».
* Pour que
tout cela ne reste pas théorique mais s’incarne dans ma vie, je dois me poser
une question vitale :
- qui, ou
qu’est-ce qui règne sur moi ?
- Qu’est-ce,
ou qui, gouverne ma vie ?
C’est une
question fondamentale qui mérite vraiment un examen attentif, une prise de
conscience sans concession.
Si je suis
lucide (et je peux demander le discernement à l’Esprit Saint ou consulter un père
ou une mère spirituel(le)), je m’apercevrai que ce qui, la plupart du
temps régit mes comportements, détermine
mes choix, gouverne ma vie ce n’est pas vraiment la recherche du Royaume, mais :
-
mes
passions,
-
mon
ego,
-
mes
états d’âme,
-
mes sécurités,
-
mes
attachements,
-
mes
peurs,
-
mon
passé,
-
mes
projets …
Et le pis c’est
que tout cela se fait à notre insu. Nous y reviendrons dans le chapitre consacré
à « Que Ta volonté soit faite ».
St Paul l’exprime
bien quand il écrit qu’il fait le mal qu’il ne veut pas et ne fait pas le bien
qu’il voudrait car ce n’est pas l’Esprit qui le conduit mais la « loi du péché »
inscrite dans sa chair. (Rom 7, 15 à 24)
° On le
voit la conquête du Royaume n’est pas une voie large, facile et agréable car « resserré
est le chemin qui mène à la vie » (Mat 7, 13), même si le Royaume est
un état d’amour partagé (et sans doute même parce que l’amour implique dépossession
de soi).
« Le Royaume dont nous parlons est un
royaume d’amour, donc, apparemment, il devrait être bien agréable d’y entrer ;
or, ce n’est pas agréable parce que l’amour a un côté tragique : il
signifie la mort de chacun de nous ; notre être égoïste, égocentrique,
doit périr totalement et non pas comme une fleur qui se fane, mais d’une mort
cruelle, la mort de la croix » (Antoine Bloom p 45)
« Que celui qui veut être mon disciple
prenne sa croix et me suive » Mat 10, 24, Luc 6, 40, Jean 13, 16…)
* Une belle
parabole du Royaume nous met en garde contre l’insouciance et l’inconscience de
ceux qui croient que le Royaume de Dieu leur « tombera tout cuit dans la
bouche ».
Ceux qui ignorent les paroles du Christ
sur la nécessité absolue d’un changement de vie sont semblables à des invités
aux noces qui n’ont pas revêtu leur plus belle robe et qui sont jetés
dehors (Mat 22,11-14).
Ce travail
intérieur de métamorphose peut être exprimé autrement par la théologie
dynamique de l’image de Dieu en l’être humain, appelé à passer de l’image
à la ressemblance.
« l’Image suppose le mouvement, le
progrès, une exploration continuelle, un voyage sans fin. Être une personne
humaine, ce n’est pas seulement partager, c’est aussi grandir.
La doctrine de l’image entraîne une conception extrêmement dynamique de ce que
signifie « être une personne ».
Chaque être humain est un pèlerin engagé dans un voyage ininterrompu de l’image
à la ressemblance. « Homo viator » : être un homme, c’est être
un voyageur, toujours en mouvement. La qualité de personne implique une découverte
constante, des commencements toujours nouveaux, un dépassement de soi-même
incessant...Il n’y a pas de limites au
voyage spirituel que l’humanité est appelée à entreprendre. Ce voyage est sans
fin car il continue au-delà de notre vie présente, dans l’éternité. Même dans
le Siècle à venir, nous ne cesserons jamais de grandir. « Oubliant le
chemin parcouru, je vais droit de l’avant, tendu de tout mon être, et je cours
vers le but » dit St Paul (Ph 3,13)
(Kallistos Ware , l’île au-delà du monde p 21 à 28)
° Pour
trouver le Royaume, il faut donc le chercher, le désirer de tout son être.
Et ne pas ménager sa peine pour se rendre disponible, malléable à l’action de l’Esprit
Saint. C’est alors que la deuxième demande du Notre Père « Que ton règne
arrive » prend tout son sens.
Quelle est notre conscience de cette réalité quand nous la formulons
distraitement, au passage, sans nous y arrêter ?
Dans le Royaume, il n’y a que ceux qui désirent,
cherchent et réalisent le « Règne », donc les saints…Dieu règne sur
tout coeur qui croit et qui aime, sur toute pensée, sur tous les sens et sur la
vie entière. Mais ce n’est possible que si l’homme l’accepte librement et en décide
ainsi. Le Royaume des cieux appartient aux violents dit Jésus, donc à ceux qui
le cherchent avec acharnement …A nous de faire en sorte que le « Règne
arrive » et que le Royaume se construise…Dès que l’homme décide, engage
donc sa liberté, la grâce se précipite à son secours. Nous sommes ouvriers avec
Dieu dit St Paul (1 Co 3, 9)» (Amba Shenouda)
* Sur
le plan collectif, c’est l’Eglise qui inaugure, de
manière encore cachée comme le germe dans la terre, le temps du Royaume
qui ne sera réalisé que lors du retour du Christ, la résurrection universelle
et la transfiguration de l’univers.
Certains
vont peut être hausser les sourcils d’un air sceptique quand ils entendront
parler de l’Eglise dans ce contexte du Royaume, partageant cette terrible réflexion
d’Alfred Loisy : « On attendait le Royaume et c’est l’Eglise qui
est venue ! ».
Si l’Eglise a parfois, ou même souvent donné l’image d’un bien piètre royaume,
en butte aux querelles de clochers, tel un triste théâtre des passions humaines
(voir les citations d’Evdokimov ci-après), on ne peut oublier ce qu’est réellement
l’Eglise dans sa profondeur et sa vocation.
Elle est un
lieu de métamorphose de l’être humain si elle agit sous l’action de l’Esprit
Saint, ferment incréé dans la pâte de notre humanité créée.
L’avènement
du Royaume et du Règne de Dieu est la mission de l’Eglise, son but unique, sa
seule raison d’être.
« L’Ekklésia, l’Eglise, ne relève pas d’abord et fondamentalement de la
sociologie. L’institution n’est que la trace empirique du « mystère ».
L’Eglise est avant tout puissance de résurrection, sacrement du Ressuscité qui
nous communique sa résurrection….Dans sa profondeur, l’Eglise n’est rien d’autre
que le monde en voie de transfiguration ». (Olivier Clément – Sources
p.87)
Mais il
faut que l’Eglise ait conscience de cette vocation profonde, unique, royale pour
être cette « Eglise
mystère en marche… fiancée qui attend son Roi » comme l’écrit Paul
Evdokimov - L’amour fou de Dieu, p. 164)
Le plus
souvent, les chrétiens n’ont plus conscience de ce qui se joue dans la
profondeur de la vie ecclésiale et ressentent leur participation aux offices,
aux sacrements comme une aimable habitude, une tradition respectable…sans se
rendre compte que le feu de la vie divine leur est communiqué et qu’il s’agit
de ce feu que Jésus appelait de ses vœux avec impatience
« Je suis venu apporter le feu sur la
terre et combien j’ai hâte qu’il soit allumé » (Luc 12, 49)
Ce Feu, c’est
la grâce de l’Esprit Saint, ce sont les énergies incréées que les sacrements
nous donnent de manière gratuite et totale.
* L’avènement
du Royaume par l’action de l’Esprit Saint
Dans
certaines versions anciennes de l’évangile de St Luc, le mot Royaume est
remplacé par le mot « Esprit Saint »
« Que
ton Esprit arrive » et non que ton Royaume vienne.
Cela fait
dire à certains pères, et à Mgr Jean de St Denis à leur suite, que la venue du
Royaume est intimement liée à celle de l’Esprit Saint en nous
« En fait, si l’on considère profondément
le Royaume de Dieu, qu’est-ce sinon l’Esprit Saint ?...chercher avant tout
le Royaume des cieux…c’est la recherche de l’Esprit Saint dans la vie, en nous
car dit le Christ, le Royaume des cieux est en vous et parmi vous, nullement en
tant qu’organisation ou attitude sociale, mais comme souffle de vie dans la
société et en nous. » (Technique de la prière)
N’oublions
jamais que nous ne sommes jamais seuls dans notre quête du Royaume.
Nous avons
une aide puissante, un moteur intérieur, un Souffle créateur qui ne demande qu’à
gonfler notre voilure. C’est Lui, l’Esprit de vérité qui nous dévoile la
divinité du Christ. C’est Lui, le Donateur de vie qui allume en nous le feu de
Son amour. C’est Lui, l’Esprit Consolateur qui nous ouvre les portes du Royaume
intérieur.
« C’est
par l’action invisible de l’Esprit saint dans les âmes que le Royaume de Dieu s’établit.
Le Royaume de Dieu est un état d’âme. Il consiste à faire du Christ le Seigneur
de notre vie…Quiconque a sincèrement choisi Jésus comme son Seigneur et son Roi
aimera les autres comme soi-même ; par suite, il luttera contre toute
injustice, toute souffrance, toute forme de mal. Il agira pour que par son
action la société humaine devienne plus fraternelle et plus juste…Le Royaume de
Dieu s’accomplit (ou se détruit) par chacune de nos propres actions »
(Un moine de l’Eglise d’Orient – Notre Père)
Cette pensée
rejoint la Parole du Christ : « ce n’est pas ceux qui me disent « Seigneur
Seigneur ! » qui hériteront du Royaume mais ceux qui font la volonté
du Père, (Mat 7, 21), ceux qui pratiquent la justice, nourrissent l’orphelin et
la veuve……
* Nous ne
pouvons oublier non plus que la grâce donnée par l’Esprit Saint ne peut
produire de fruits sans notre acceptation, notre participation active.
« Prions que le Royaume arrive comme
nous le construirons afin qu’il arrive…la prière est efficace si l’homme va à
sa rencontre. C’est une des formes de la synergie. » (Technique de la
prière)
Mais,
ajoute Mgr Jean, le Royaume ne sera pas parmi nous si nous agissons par
contrainte morale ou autre, par culpabilité, par souci de perfection , de pureté.
La présence
du Royaume en nous, parmi nous, implique une adhésion naturelle, un élan
spontané du cœur, qui agit par amour et non par crainte :
« Nous pouvons accomplir les
commandements divins et pourtant demeurer hors du Royaume. Nous pouvons donner
notre vie pour notre prochain, mourir, devenir pauvre pour lui, supporter les épreuves…et
ne point posséder le Royaume en nous, ni le répandre autour de nous…Nous
pouvons exécuter les commandements parce que nous respectons le Christ et lui
obéissons, en esprit de contrainte : je donne mon dernier sou à un
indigent parce que le Christ le veut…L’acte est louable…mais par un effort réalisé
au nom du Christ.
Le Royaume naîtra quand nous agirons ainsi, mais sans contrainte, par nature…Si
notre acte est organiquement lié à nous, c’est que le Royaume est venu…Que ton
Royaume arrive en moi, sur terre, en tous, implore de Dieu la grâce d’être prière
et bonté. » (Technique de la prière)
* Avons-nous encore conscience de ce don
inouï qui devrait nous faire pleurer de joie et de reconnaissance ?
Percevons-nous
encore par exemple la valeur et la force redoutables des sacrements où l’Esprit
Saint agit avec puissance pour nous communiquer les énergies incréées ?
Communions-nous
par habitude, de manière distraite et inconsciente ?
« Dans l’église, par les sacrements, notre
nature entre en communion avec la nature divine dans l’Hypostase du Fils, Chef
du corps mystique. Notre humanité devient consubstantielle à l’humanité déifiée,
unie à la Personne du Christ » (V. Lossky p178)
Ecoutons ce
que nous dit un homme qui vit pour le Christ, qui désire de tout son être, ne
vivre que pour Lui et qui a pleinement conscience du don merveilleux qu’Il nous
fait en nous offrant son Corps et son Sang et de la transformation de tout son être
que ce sacrement opère :
« Tu m’as accordé, Seigneur, que ce temple
corruptible –ma chair humaine –s’unisse à Ta Sainte chair, que mon sang se mêle
au tien et désormais, je suis on membre transparent et translucide…je suis ravi
hors de moi-même et je me vois tel – ô merveille – tel que je suis devenu. A la fois me craignant et
honteux de moi, je Te révère et Te crains, et je ne sais où abriter, à quelle
fin employer ces membres nouveaux,
redoutables et divinisés. » (St Syméon le Nouveau théologien cité par
Lossky p. 178)
Hélas, le
plus souvent on constate que la distraction, le poids des habitudes, la tiédeur
de notre foi, le désintérêt, si ce n’est la gêne, des chrétiens pour le feu qui
nous confié a remplacé l’enthousiasme et le courage des apôtres et des premiers
chrétiens. La mollesse a supplanté la « violence » de ceux qui s’emparent
du Royaume par la force, non pour eux-mêmes, mais pour que le désert aride soit
transformé en champ de blé produisant du bon grain, l’un cent, l’autre mille.
Trop souvent, le Royaume n’est plus annoncé, il n’est plus vécu, il n’est même
plus désiré…
Comme l’écrit Paul Evdokimov, dans un article courageux qui secoue le cocotier
de ceux qui voient dans l’Eglise du Christ une institution sociologique
rassurante, bien-pensante et amortie, installée dans le fauteuil sociologique
qui lui est réservé, comme un cardinal dans le sien lors d’un Te Deum officiel (et
comme moi aussi le plus souvent !):
« Les chrétiens ont tout
fait pour stériliser l’Evangile ; on dirait qu’ils l’ont plongé dans un
liquide neutralisant. Tout ce qui frappe, dépasse ou renverse est amorti.
Devenue inoffensive, la religion est aplatie, sage et raisonnable, l’homme la
vomit…L’Evangile ne rencontre que la totale indifférence ; il résonne dans
le vide…L’Eglise n’est plus, comme aux premiers siècles, la marche triomphante
de la Vie à travers les cimetières du monde…En perdant la notion apostolique du
Corps, organisme vivant de la présence réelle du Christ…la foi chrétienne perd étrangement
sa qualité de ferment, elle ne fait plus monter aucune pâte. Le christianisme
et à sa suite le monde, se sont installés dans la rupture de la divino-humanité…
Le Royaume n’est plus qu’une catégorie éthique …». ( L’amour fou de
Dieu, p. 160-161)
*
2-
L’accomplissement eschatologique du Royaume. Le temps de la moisson.
Après le
temps du témoignage, de la transformation personnelle et de l’Eglise terrestre,
le Royaume sera manifesté dans sa plénitude à la fin des temps lors du retour
du Christ en gloire.
A un moment donné, lorsque l’Eglise parviendra à
la plénitude de sa croissance déterminée par la volonté de Dieu, le monde extérieur
mourra, ayant consommé ses énergies vitales ; quant à l’Eglise, elle
apparaîtra dans sa gloire éternelle, comme le Royaume de Dieu. » (V. Lossky Théologie mystique p.
175)
Jésus en
parle comme d’un festin de noces et un banquet eschatologique.
L’apocalypse
reprend et développe ce thème à force d’images frappantes.
Nous ne développerons
pas ici cet aspect pourtant si important, parce qu’il mérite à lui seul, un
exposé et une contemplation approfondies.
*
* Le caractère radical de la conversion exigée
par le Christ devient manifeste quand il s’agit de l’avènement du Royaume
sur la terre comme au ciel.
Ce n’est
pas un groupement sympathique et bienveillant, une oeuvre de bienfaisance, une
organisation humaniste et caritative….
C’est une véritable
révolution, comme l’ont été l’Incarnation et la résurrection du Fils de Dieu.
Comme l’est toujours la venue personnelle de l’Esprit Saint à la Pentecôte et
dans nos vies.
Le Royaume
de Dieu est en marche comme l’irruption de l’Absolu dans le relatif, de l’Eternité
dans le temps historique, de Dieu transcendant dans l’histoire humaine.
Paul
Evdokimov souligne magnifiquement cette force révolutionnaire du Règne et du
Royaume de Dieu :
« Le germe explosif de l’Evangile révolutionne,
renverse tout, non pas les structures du monde, mais les structures de l’esprit
humain…
L’Evangile est foncièrement inadaptable,
explosif. Il est une exigence de métamorphose, de metanoïa qui brise non
seulement les formes historiques, mais fait éclater l’histoire elle-même..Chercher
le Royaume de Dieu contient le plus grand paradoxe ; il faut trouver ce
qui ne se trouve pas dans le monde : l’éternel dans le temps, l’absolu
dans le relatif. Comment faire ? Du « tout avoir » passer au « tout
être » (P.
Evdokimov)
Et
Jean-Yves Leloup souligne avec justesse la radicalité de cette métamorphose du
Royaume qui implique que tous les êtres soient pris en charge, aidés,
soutenus, éveillés, aimés
« Tant qu’un seul être souffre, tant qu’un
seul brin d’herbe n’est pas éveillé à la conscience d’être, le Royaume n’est
pas arrivé : « il vient » et c’est dans ce très haut désir que
nous replace Yeshoua en nous demandant de dire : « Abba, que ton Nom
soit sanctifié, que ton Règne vienne, que Ton Esprit soit en tout et en tous »
(op. cit. p.115)
C’est alors
que l’homme lui-même retrouve sa dignité royale :
« Le limon reçoit la dignité royale …se
transforme en substance du Roi » écrit St Nicolas Cabasilas
« O homme, prends garde à ce que tu es !
Considère ta dignité royale » s’écrie St Grégoire de Nysse (cité par
Evdokimov p 67)
« Nous ne devons jamais perdre de vue
cette liberté royale qui est notre droit de naissance en tant que personne à l’image
de Dieu. Une des questions posées par les rabbins juifs était celle-ci :
quelle est la pire chose que puisse accomplir le Mauvais ? La réponse est :
« Faire oublier à quelqu’un qu’il est le fils d’un Roi ». (Martin
Buber cité par Kallistos Ware – l’Ile au-delà du monde p. 28)
Il est
question de « perdre » et de « retrouver » dans les textes
qui précèdent car cette dignité royale, que nous portons tous à l’intérieur de
notre être, nous n’en avons plus conscience.
Elle doit être
redécouverte dans le dépassement de notre sécurité quotidienne, comme un élan
vital qui nous porte à bénir, offrir et sanctifier le monde, les relations
humaines, au nom de la Divine Trinité, à nous sentir responsables de tout et de
tous.
Cette capacité de dépassement qui le « décolle »
du monde et le fait responsable de lui donne à l’homme une grandeur royale.
Plus exactement celle d’un roi-prêtre, car la maîtrise est inséparable de l’offrande. » (Olivier Clément – Sources
p. 74)
N’oublions
pas que le Christ nous apprend que le Père veut nous rendre héritiers du
Royaume, comme ses propres enfants :
« Vous les bénis de mon Père,
recevez le Royaume en héritage » (Mat. 25, 34)
Et nous
chantons dans la liturgie :
« Il a fait de nous des rois et
des prêtres »
Mais ce don
extraordinaire est intimement lié à l’offrande de nos propres personnes, le don
de nos propres vies dans un échange d’amour réciproque avec la divine Trinité.
Le règne de
Dieu se réalisera en nous quand nous aurons atteint l’état décrit par le père
Alphonse Goettmann :
« Quand j’appelle Dieu « Seigneur »,
je lui demande d’exercer sur ma vie une seigneurie…je veux entrer avec Lui dans
une relation de dépendance absolue et inconditionnelle. Rien n’y échappe !
Je me reçois de Lui à chaque moment, comme l’air que je respire et je ne ferai
rien par moi-même ou sous d’autres impulsions sans Le trahir. Il est Dieu,
Source de ma vie, et ma vie, c’est son Royaume où, comme Seigneur, Il a tous
les droits. Tout en moi est de Lui, par Lui, en Lui. » (dialogue avec
le patriarche Shenouda)
Est-il nécessaire
de préciser que Dieu ne règne pas comme un tyran qui opprime, mais comme un
Epoux qui aime, un Sauveur qui libère, un Souffle qui féconde ?
PÈRE très bon, Que ton Règne
vienne !
Que ton Royaume advienne parmi
nous sur la terre comme au ciel.
Que Ton Esprit Saint vienne régner
dans nos cœurs unifiés
Qu’Il gouverne notre vie et
dissipe nos ténèbres
Que son Souffle puissant nous
inspire et transforme notre cœur,
Qu’il ouvre notre esprit à sa
grâce déifiante.
Qu’Il métamorphose notre être
et fasse de notre corps un temple
Un tabernacle saint où Toi, Père,
tu puisses établir ta Royauté.
Tu as fait de nous des rois et
des prêtres, comme tes héritiers,
Pour régner sur le monde et te
le donner en offrande.
Fais que notre royauté et ce
royaume que Tu nous donnes en partage
soient fondés sur l’humilité,
le dépouillement, les larmes de conversion.
Fais nous reconnaître ton Fils
comme notre Roi,
Celui qui règne sur notre vie,
sur nos pensées, nos paroles, nos sentiments,
Donne à l’Eglise qui est son
Corps son aspect royal,
Revêts- la de ses habits de
noces comme la fiancée qui attend son Roi, Son Seigneur
Père très bon, Roi du ciel et
de la terre,
Fils unique du Père, Roi rédempteur,
Esprit Saint royal qui nous déifie
et nous restitue notre dignité royale,
Gloire à Toi aux siècles
des siècles!
Amen
QUE TA VOLONTE SOIT FAITE
* Nous
voici au cœur de la prière et au centre de notre vie spirituelle
Nous
pouvons affirmer sans crainte de nous tromper que toute notre vie chrétienne
(et notre vie tout court) gravite autour de cet astre de la volonté divine
comme la terre autour du soleil.
La terre c’est l’Eglise, c’est moi, c’est nous, c’est l’humanité entière et c’est
tout le créé qui reçoit le mouvement et la vie de l’Incréé.
« Que Ta volonté soit faite est vraiment
le concentré de toute la vie spirituelle. » (Patriarche Shenouda)
Cette seule
phrase est le condensé, la « susbstantifique moelle » du Notre Père
« Pour certains rabbins mais aussi pour beaucoup de théologiens…c’est
cette demande qui est au cœur de la prière et qui inclut toutes les autres…Que
ta volonté soit faite » est l’abrégé du Notre Père et introduit en nous
les dispositions justes et filiales » (Jean Yves Leloup p 118)
Nous allons
contempler cette demande centrale.
La laisser
descendre en nous. La laisser « mijoter à feu doux ».
Et surtout, nous sommes invités à la mettre en pratique pour ne pas qu’elle
ne soit qu’un vœu pieux d’un homme « qui prie des lèvres, mais dont la
pensée est loin » du Dieu vivant (Isaïe 29, 13 et Mat. 15, 8)
Combien de
fois n’ai-je pas formulé cette demande de manière distraite, mécanique, sans y
prêter la moindre attention ?
Sans désirer
que ma vie soit transformée par la volonté divine ?
Et, pire
encore, en souhaitant qu’elle ne le soit pas, pensant en mon for intérieur :
« Sa volonté c’est bien sans doute, mais la mienne, c’est mieux ! »
Pourquoi
une telle distraction et un tel manque de conviction dans la prière ?
Probablement
par peur …que Sa volonté se réalise vraiment dans sa vie et ne vienne bousculer
mon confort et ma sécurité.
Ce qui me
rassure quelque peu, c’est de n’être pas le seul à éprouver ce sentiment. Mais
cela justifie-t-il ma froideur ?
Ecoutons à
ce propos un grand spirituel, un saint, un amoureux de la Divine Trinité s’exprimer
à ce sujet :
« Que signifient ces paroles : « que
Ta volonté soit faite » sinon la reconnaissance existentielle…que Dieu est
plus intelligent, meilleur que nous ! Vous me répondrez : c’est évident.
Non, pas autant que vous le pensez…dans le psychisme humain, elle n’est
nullement évidente. Faisons une expérience curieuse, loyale :
remettons-nous à la volonté divine ; aussitôt une crainte surgit, nous
pensons, si la main de Dieu était lourde ? S’Il nous demandait quelque
chose au dessus de nos forces, et si , et si… ?
Nous avons peur qu’Il ne tienne pas compte de
nos désirs, de nos petites volontés, de nos petites impossibilités…
Que de fois dans ma vie ai-je évité de dire
totalement « que ta volonté soit faite » dans l’appréhension d’entendre
Dieu m’ordonner une action pénible, un effort psychique désagréable ! N’a-t-Il
point appelé Abraham à sacrifier son fils unique ? » (Mgr Jean)
Je propose, aujourd’hui, en cette journée de
silence et de prière, qui ouvre la porte du carême, de nous arrêter sur cette
phrase essentielle et de la laisser descendre et s’enraciner en nous, pour qu’elle
devienne une graine qui germe dans notre terre intérieure et y produise des
fruits :
Que Ta volonté soit faite !
Ce que
certains ont traduit avec bonheur :
Que Ta volonté soit fête !
Car c’est
bien de cela qu’il s’agit : une fête, une rencontre joyeuse avec notre Créateur,
une célébration, une communion à laquelle nous sommes conviés pour devenir des
amis de Dieu. Et mieux encore, pour partager sa Vie !
Un chrétien
peut-il être fondamentalement triste ?
Alors qu’il
se sait bien-aimé de Dieu, alors qu’il est convié à des noces où il n’est pas
simplement invité, mais est lui-même la fiancée de l’Epoux ?
« Celui à qui appartient l’épouse, c’est
l’époux ; mais l’ami de l’époux qui se tient là et qui entend, éprouve une
grande joie à cause de la voix de l’époux ; aussi cette joie qui est la
mienne est parfaite. » (Jean 3, 29)
« Réjouissez-vous toujours dans le
Seigneur ! Je le répète réjouissez-vous. Que votre bienveillance soit
connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche » s’écrie St Paul
dans sa lettre aux Philippiens (4, 4-5)
Le Père
veut faire de nous plus que des amis, ses enfants qui, à l’image du Fils unique,
nouent avec Lui une relation filiale, une synergie, une symbiose.
Nous ne devons pas avoir de l’homme une idée médiocre et dévalorisante car,
malgré les apparences, nous sommes beaux aux yeux de Dieu comme le dit cette
exclamation émerveillée du psalmiste :
« Qu’est-ce que l’homme pour que tu te
souviennes de lui et les fils de l’homme pour que tu le visites ?
Tu l’as fait de peu inférieur à Dieu.
Tu l’as couronné de gloire et de splendeur… » (Psaume 8)
Si nous
nous croyons faibles, perdus et désorientés, sans perspective stimulante,
comment pourrions-nous nous connecter à l’enthousiasme qui nous met en route et
soutient notre marche vers la vie divine ?
« Comment accomplir la volonté de Dieu
en se voyant petit ?...la première attitude consistera à être idéaliste, à
désirer quelque chose de grand. Enfants d’un Père céleste, nous ne pouvons être
des vers attachés au sol….élévation de l’âme, grandeur, idéalisme, conscience
de la filiation divine…voir grand la vie ! » (Mgr Jean –
Technique de la prière)
Première partie : le
diagnostic
Quelle
est la volonté de Dieu ?
Que la
volonté du Père (du Fils et de l’Esprit) s’accomplisse en moi, en nous, sur la
terre entière comme au ciel !
Cela
suscite beaucoup de questions :
D’abord,
pourquoi demander que cette volonté se réalise plutôt que la mienne?
Et puis, quelle est la volonté divine ? Pouvons-nous seulement la connaître
alors que, pour la plupart des hommes, Dieu est inconnaissable, lointain,
abstrait, absent et totalement muet et que l’on ne perçoit pas, le plus
souvent, ce que Dieu désire ni ce qu’il attend de nous ?
* Prenons pour guides les évangiles et les écrits
de St Paul qui nous enseignent ce que Dieu souhaite pour nous. Comme une
mère ou un père aimant pour ses enfants bien-aimés.
- La volonté du Père c’est
qu’aucun de ces petits ne se perde (Mat 18, 14)
- Telle est la volonté de Celui qui m’a
envoyé : que je ne perde rien de ce qu’Il
m’a donné mais que je le ressuscite au dernier jour. Oui, telle est la
volonté de mon Père : que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la
vie éternelle et que je le ressuscite au dernier jour (Jean 6, 39-40)
- Telle est la volonté de Dieu :
votre sanctification (1 Thes. 5, 17)
- La volonté de Dieu, c’est de rassembler
toutes choses dans le Christ (Eph. 1, 10).
- Dieu veut le salut de tous les hommes et
qu’ils parviennent à la connaissance de
la vérité.(1 Tim 2, 4)
Qu’y a-t-il
de menaçant dans ces phrases ?
Pourquoi
tant de personnes ont-elles peur de Dieu ?
Notre Père
céleste ne veut-Il pas avant tout notre réalisation, notre libération, notre
accomplissement, notre béatitude ?
Il veut
rassembler les hommes dans le Christ, les libérer, les ressusciter, les
sanctifier. Il veut leur offrir de partager Son Amour infini, Sa propre vie,
comme un soleil donne sa chaleur, et une source son eau pure.
St Silouane
et le père Sophrony nous le rappellent :
« Dieu cherche l’homme pour lui donner
non seulement la vie, mais bien plus encore : une surabondance de vie. »(Père
Sophrony- Starets Silouane p. 31)
« Si les hommes connaissaient l’amour
du Seigneur pour nous, ils s’abandonneraient entièrement à Sa sainte volonté »
(St Silouane)
« L’âme qui a connu en plénitude le
Seigneur et qui a trouvé sa joie en Lui ne désire plus rien et ne s’attache à
rien sur la terre. Si on lui offrait un royaume, elle n’en voudrait pas car l’amour
du Christ est si doux et rend l’âme si heureuse que même une vie de prince ne
pourrait la satisfaire…Ainsi l’âme reconnait son Maître et L’aime et la douceur
de son amour est comme du feu. »
(St Silouane)
« Le Seigneur nous aime tant qu’Il veut
que tous les hommes soient sauvés et soient éternellement avec Lui.
Si Dieu nous a créés, c’est pour que nous
vivions éternellement avec Lui et contemplions sa Gloire.
Si, par ses souffrances, le Seigneur nous a
donné sur terre le Saint Esprit de la part du Père, nous a donné Son Corps et
Son Sang, il est évident qu’Il nous donnera aussi tout le reste dont nous avons
besoin.
Abandonnons-nous à la volonté de Dieu ; nous verrons alors la Providence
divine et le Seigneur nous donnera même ce que nous n’attendons pas.
Le Seigneur nous aime comme ses propres
enfants. Son amour est plus grand que celui d’une mère, car une mère peut
oublier son enfant, mais le Seigneur ne nous oublie jamais. » (St Silouane)
* Etant
promis à la vie éternelle en Dieu dont je suis l’Image, je porte en moi le désir
profond de cette Vie en plénitude :
« Etant une parcelle divine, je porte
dans mon sein le désir de la vie future » écrit St Grégoire de
Nazianze.
L’homme
pourrait-il de lui-même imaginer de telles promesses qui paraissent insensées
aux yeux de sa trop sage raison ? Est-ce bien raisonnable ? N’est pas
« trop beau pour être vrai », comme l’écrit Luc Ferry ?
« Quelle est la volonté de Dieu en moi ?
Que veut le plus grand amour ? Que je sois ce que je suis, que tout ce qui
m’arrive d’agréable ou de désagréable concoure à mon accomplissement, au
devenir de mon être, de ma conscience…Que peut vouloir Notre Père, sinon que
nous devenions fils et pères à notre tour, créés et créateurs, capables de
transmettre le Don ?
« Nous sommes nés pour naître, nous
sommes nés pour être et pour être si possible heureux……Je Suis : la
conscience d’être est là « pour que nous ayons la vie en abondance ».
La Vie nous veut vivants, la Conscience nous veut conscients, l’Amour nous veut
aimants. L’être nous veut bienheureux. »
(J-Y Leloup - p.119 et 126)
Alors,
pourquoi avoir peur ?
Pourquoi préférer
à ces déclarations d’amour divin notre volonté boiteuse, nos petites sécurités étriquées,
nos projets dépourvus de souffle, nos désirs à courte vue ?
Ne
sommes-nous pas semblables à des aveugles de naissance qui recouvreraient la
vue mais ne supporteraient pas la lumière ? A des prisonniers aux membres
gourds, libérés de leurs chaînes après des années de cachot obscur, qui
seraient pris d’angoisse par la découverte de grands espaces de liberté ?
Les
trois volontés
La volonté
de Dieu n’est malheureusement pas la seule qui puisse nous atteindre.
La
Tradition nous enseigne que trois volontés se partagent le cœur de l’homme.
Celle de
Dieu, celle de l’homme … et celle du démon.
Notre époque,
déconnectée de la sagesse et de l’expérience de la Tradition, oublie la volonté
divine (et ne veut surtout pas en entendre parler!), ignore la réalité de la
volonté démoniaque (« quelle pensée primitive, cher ami ! »),
mais voue un culte sans partage à la volonté individuelle de l’homme.
Nous y
reviendrons.
Or, la
Tradition nous enseigne que l’homme - qu’il
le sache ou non - se trouve au confluent
de deux rivières dont les flots coulent sans cesse en lui et peuvent l’entraîner
dans des directions contraires.
Notre cœur
est un lieu comparable à une ligne de partage des eaux : il peut être
irrigué par l’eau pure et vivifiante de la volonté divine …ou être noyé et
emporté dans le sombre torrent de la volonté démoniaque.
Et il
appartient à chacun de nous de choisir la direction où l’un ou l’autre courant
peut entraîner notre petite barque.
* Rappelons aussi que la tradition chrétienne
enseigne deux choses essentielles à propos du cœur :
-
d’une
part, il est le centre spirituel de l’homme, sa terre intérieure,
-
d’autre
part, il est l’enjeu d’un combat incessant entre Dieu et Satan.
Cette présentation
semblera sans doute simpliste et naïve, voire manichéenne aux yeux de ceux qui
ne sont pas sensibles au combat spirituel auquel l’homme ne peut échapper que
par ignorance, indifférence ou léthargie.
Pourtant,
que le cœur soit symboliquement et spirituellement le centre névralgique de l’homme
est confirmé par de nombreux écrits de notre Tradition dans le droit fil de la
Bible.
« C’est une eau profonde que le
conseil au cœur de l’homme. » (Prov. 20, 5)
« Au centre le plus central de l’homme,
les grands spirituels de l’Eglise indivise voient le « cœur ». Ce cœur…est
le lieu d’une connaissance-amour où l’homme tout entier à la fois se rassemble
et s’ouvre. « Cœur-esprit » ouvert à l’Esprit Saint et qui reçoit la
lumière divine pour la communiquer au corps… » (Olivier Clément –
Sources p. 77-78)
« Le cœur, pour la tradition ascétique
de l’Orient chrétien est le centre de l’être humain, de l’intellect et de la
volonté, le point d’où provient et vers lequel converge toute la vie
spirituelle…Sans le cœur, qui est le centre de toutes les activités, l’esprit
est impuissant. Sans l’esprit, le cœur reste aveugle, privé de direction…
L’esprit et toutes les pensées de l’âme se
trouvent dans le cœur. » (W.Lossky - Théologie mystique p. 197 et 198)
« La racine des pensées, c’est le cœur.
Il donne naissance à quatre rameaux : le bien et le mal, la vie et la mort »
(Siracide 37, 17-18)
« On croit avec le cœur », écrit
St Paul aux Romains (10, 10) et aussi « Le Seigneur rendra manifeste
les desseins du cœur. » (1 Cor 4, 5)
Saint Exupéry
n’écrit-il pas avec une profonde justesse : « On ne voit bien qu’avec
le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux » (Le petit prince) ?
* Mais le cœur
n’est pas que le réceptacle de la grâce. Il s’y déroule un véritable combat
spirituel que la Tradition évoque de manière unanime :
« Une perdrix captive dans sa cage, tel
est le cœur de l’orgueilleux » (Siracide, 11, 30)
« Le cœur des sots est comme un vase
brisé qui ne contient aucune connaissance. » (Siracide 21, 14) mais « en
un cœur intelligent demeure la sagesse. » (Prov. 14, 33)
« On parle avec un cœur double »
(Ps 12)
« Je hais les cœurs partagés »
(Ps . 119)
« Source de tous les mouvements
psychiques et spirituels, le cœur, selon St Macaire d’Egypte, est « une
officine de la justice et de l’iniquité » (Homélie spirituelle 15). C’est
un vase qui contient tous les vices, mais en même temps ; on y trouve « Dieu,
les anges, la vie, la lumière, les apôtres, les trésors de la grâce »
(W. Lossky - op. cit. 198)
« Le coeur humain est le champ de
bataille entre Dieu et Satan…L’homme est visité par les anges et les démons ;
il vit le paradis et l’enfer au-dedans de lui… L’homme se trouve mêlé à la
lutte de deux mondes…cette lutte se répercute dans la profondeur de l’esprit
humain où s’engage le duel du diable et de Dieu » (P. Evdokimov –
Dostoeïvsky et le problème du mal - p.
82 et 131).
Ce caractère
double, ambivalent du cœur humain - de
mon cœur - ouvert à toutes les
influences, bonnes et mauvaises, comme une terre neutre, prête à être ensemencée
de toutes sortes de graines, et qui peut devenir terre fertile ou désert, est évoqué
à diverses reprises dans la Bible. Nous l’avons déjà rappelé :
Il en est,
par exemple, question dans la parabole du Bon grain et de l’ivraie, comme dans
la lettre de St Jacques (4, 8) et Jésus
lui-même affirme :
« C’est du dedans du cœur des hommes
que sortent les desseins pervers : débauches, meurtres, adultères, cupidité,
méchancetés, ruse, impudicité, envie, diffamation, orgueil, folie »
(Marc 7, 21-23)
* En réalité,
pour le dire simplement et en langage plus actuel : nous sommes, nous les êtres
humains, soumis en permanence à deux volontés contraires qui tentent de
prendre racine en nous : la volonté vivifiante de Dieu et celle,
destructrice, du démon.
Notre
volonté, reflet de notre liberté (car nous en avons une aussi, Dieu merci !),
est appelée à discerner et à choisir à chaque instant, entre ces deux
influences qui se disputent notre coeur.
Car nous
sommes créés libres et, envers et contre tout (la chute, la séparation, l’obsurcissement
de notre conscience …) nous avons conservé la capacité de choisir et de préférer
nous accorder à la volonté divine plutôt qu’à celle du tentateur….ou l’inverse.
Liberté
de l’homme
Voilà un
bien vaste sujet qui a fait couler beaucoup d’encre, de pleurs et de sang !
La liberté
est ressentie comme un bien infiniment précieux, un élément fondamental de l’être
humain créé à l’image de Dieu. On ne peut imaginer d’humanité véritable sans la
liberté.
« Celui qui a créé l’homme…ne peut l’avoir
privé du plus beau et du plus précieux des attributs : la capacité de se déterminer
soi-même, la liberté » (Grégoire de Nysse – Grande catéchèse, 5)
L’évêque
Kallistos Ware, cherchant à définir ce qui manifeste le plus l’image divine en
l’homme, évoque la liberté. Il écrit :
« Parce qu’elle est liée à la
conscience de soi…l’image divine se reflète particulièrement dans notre capacité
de libre arbitre…Dieu est libre ; donc, en tant que personnes humaines, créées
à Son image, nous sommes également libres…cette liberté donnée par Dieu à chaque
personne humaine est un thème majeur de l’anthropologie des Pères.
Selon St Cyrille d’Alexandrie : « les
êtres humains ont été créés au commencement avec la maîtrise de leurs décisions,
et ils étaient libres d’orienter leur volonté selon ce qu’ils choisissaient.
Cela parce qu’ils ont été créés à l’image de Dieu et que Dieu est libre. »(Sur
la Genèse).
« Si la personne humaine, dit St Maxime le
Confesseur, « est créée à l’image de la Divinité…alors, puisque la Divinité
est libre par nature, cela signifie qu’en tant qu’image de Dieu, la personne
humaine est également libre par nature » ( K Ware, L’île au-delà du monde – page 27)
« Tout le monde aspire à la liberté. C’est l’une des recherches les
plus fondamentales de l’homme…On est prêt à mourir pour la liberté.
Cet instinct fondamental de l’homme, ce désir de liberté est lié à l’Image de
Dieu qui est en tout homme…
Dieu est par excellence, libre. La liberté est un de ses attributs
fondamentaux, c’est même presque un nom de Dieu…
Il a créé l’homme à son image, donc libre et cet instinct de liberté se trouve
au fond de l’homme. » (Archimandrite Syméon - - Cahier St Silouane n°
10- 2003)
La liberté est
indispensable pour aimer
L’on ne
peut imaginer un seul instant que Dieu crée un être, qu’il soit de nature angélique
ou humaine, dépourvu de liberté. Qui ne
puisse être doté de cette capacité fondamentale de choisir, de se déterminer, d’orienter
sa vie et sa destinée.
.
Un être créé,
dépourvu de liberté, ne serait qu’une marionnette, un fétu de paille livré à
tous vents, un bouchon balloté par les flots, sans aucune prise sur son destin.
« L’élément personnel en l’homme, ce qui dépend de lui et ce qui
exprime directement sa personnalité avec son caractère unique, est la liberté.
La volonté libre est l’affirmation constante et fondamentale par excellence,
qui constitue le moi. » (P. Evdokimov op cit p.129)
* Or Dieu aime l’homme au-delà de ce nous
sommes capables d’imaginer, et Il ne veut pas le contraindre à L’aimer.
Dieu ne
subjugue personne de force, dit St Irénée
« La lumière ne subjugue personne de
force : Dieu ne violente pas davantage celui qui refuserait de garder son
art ». (AH IV, 39, 3). « La
violence ne se tient pas aux côtés de Dieu. » (AH IV, 37, 1)
Car,
pourrait-on concevoir une vraie relation d’amour dont la liberté serait bannie ?
Dans laquelle l’on ne pourrait faire le choix d’aimer (ou de ne pas aimer) ?
L’homme ne serait alors qu’un serviteur ou un esclave privé, comme un objet, de
la faculté de choisir de servir son maître ou de le quitter.
Et l’amitié ne peut exister sans la faculté de choisir ses amis, les personnes
avec lesquelles nous désirons nouer des relations profondes et durables.
« La volonté de Dieu ne peut se faire qu’à
travers des coeurs qui librement y consentent. Il n’y a pas d’amour
obligé. Dieu respecte notre liberté et c’est par elle que nous devenons homme.
L’exercice de notre liberté, de notre volonté donc, est l’essence même de notre
chemin d’hominisation et de déification »
(père
Alphonse – Entretiens avec le patriarche Shenouda))
La liberté
est tellement importante pour l’homme qu’il est prêt à se battre, à mourir pour
elle. Nous en voyons tellement d’exemples dans l’histoire qu’il ne paraît pas
utile de les évoquer ici.
Mais de
quelle liberté s’agit-il ?
La liberté
est une notion bien ambigüe.
Qu’est-ce
que la vraie liberté ?
La liberté extérieure
liée à l’absence de contraintes matérielles ?
Ou la
liberté intérieure qui ne dépend pas des circonstances externes ?
La première
liberté désigne notre capacité de décision et d’expression dans la vie
quotidienne. Elle est concrétisée dans « les libertés fondamentales»
consacrées par des textes
juridiques (Constitutions, Charte des
droits de l’homme : liberté de circulation, de pensée, d’expression, de
presse, de culte…).
La seconde liberté est celle qui nous intéresse ici : c’est la liberté
spirituelle, qui oriente notre vie intérieure.
Pour bien
percevoir la différence entre ces deux libertés et comprendre qu’elles peuvent être
antinomiques, il suffit de penser aux reclus, ou aux moines qui acceptent de
vivre dans une étroite petite cellule ou dans une grotte inaccessible, aux
stylites perchés sur une surface d’un m² à plusieurs mètres du sol, ou aux
prisonniers qui malgré les murs qui les enserrent, l’absence d’espace qui leur
interdit tout déplacement, les liens matériels qui les entravent … peuvent être
souverainement libres.
C’est l’état
d’âme qu’exprime le Starets Silouane lorsqu’il écrit :
« Il est maintenant la quatrième heure
de la nuit. Je suis assis dans ma cellule comme dans un palais, dans la paix et
l’amour. »
(Père Sophrony- Starets Silounae - Moine du Mont Athos p.
395)
Et le père
Sohrony :
« Un petit coin dans ma cellule me
suffisait pour enbrasser le monde entier dans ma prière. » (Cahier St
Silouane n° 10, p. 35)
On trouve
aussi une illustration de cette liberté intérieure de personnes privées de leur
capacité de mouvement chez Stendhal et chez Dostoeïvsky :
Fabrice del
Dongo, emprisonné dans la tour Farnèse, éprouve une intense sensation de
bonheur proche d’un état mystique :
« Dans cette solitude aérienne, on est à
mille lieues au-dessus des petitesses et des méchancetés » (La
Chartreuse de Parme).
Et le
Prince Muichkine (dans l’Idiot) abonde dans le même sens :
« Il m’est apparu que l’on peut vivre
une vie sans borne même dans une prison. »
Paul
Edvokimov en fait ce commentaire pénétrant :
« La prison rétrécit les espaces
infinis du monde jusqu’au minimum des besoins humains et contribue à cette pénétration
à l’intérieur de soi, dans cette profondeur où le principe inaccessible se révèle. »
(op cit p. 83)
Contraste
saisissant entre l’enfermement extérieur et le déploiement de l’espace intérieur.
On peut
rapprocher de ces citations cet émouvant passage des Frères Karamazoff où l’on
voit Mitia (Dimitri), le frère débauché, qui a été arrêté et va être jugé pour
le meurtre de son père (qu’il n’a pas commis !), et qui, malgré sa déchéance
et ses chaînes, perçoit la lumière du Christ, manifestant ainsi la profonde
liberté intérieure de son esprit dilaté par l’amour:
« Je suis maudit, vil et dégradé
mais je baise le bas de la robe où s’enveloppe mon Dieu ; je marche sur la
route diabolique, mais je suis pourtant ton fils Seigneur, et je t’aime, je
ressens la joie sans laquelle le monde ne pourrait subsister. »
On le voit,
la liberté est une notion bien étrange, qui peut prendre de multiples formes,
selon les milieux, les situations et les angles d’où on l’envisage.
La liberté
dont il est question aujourd’hui est d’ordre spirituel.
Elle désigne
la faculté de l’homme de choisir entre ce qui lui donne la vie et le
rapproche de Dieu et de ses semblables, ou, au contraire, et ce qui peut le détourner de la volonté
divine et - n’ayons pas peur des mots
car il s’agit d’une réalité essentielle - peut le conduire vers la mort, la
solitude, l’absurde et le néant.
« Vois, je mets devant toi la vie et le
bien, la mort et le mal…Choisis la vie afin que tu vives, toi et ta postérité. »
(Deut. 30, 15 et 19)
La
liberté n’est pas sans risque …
Hélas, nous
savons que notre belle liberté spirituelle, reçue de Dieu comme un gouvernail
en chêne massif, a été tellement malmenée par l’homme qu’elle est le plus
souvent oubliée et que, si un vent contraire se lève et que les flots se
gonflent, notre petit bateau en perdition tournoie dans la tempête.
Dieu prenait d’ailleurs un fameux risque en dotant les créatures de la faculté
de choisir !
Nous
verrons que notre liberté intérieure est bien inconfortable car elle nous met
en face de responsabilités qui nous paraissent souvent trop lourdes à porter.
Certains n’hésitent
d’ailleurs pas à la considérer comme un cadeau empoisonné.
Déjà dans l’Antiquité,
à l’époque de St Irénée de Lyon (au 2ème siècle), certains
percevaient la liberté de l’homme comme une imperfection puisque lui permettant
de choisir le mal et se demandaient pourquoi Dieu n’aurait pas pu rendre l’homme
parfait sans son consentement.
« On objectera peut-être : Eh,
quoi ? Dieu n’eût-Il pas pu faire l’homme parfait dès le commencement ?... »
Et St Irénée
répond en soulignant que la liberté de l’homme fait de lui un être en devenir
qui a besoin d’une pédagogie.
« Dieu pouvait dès le commencement donner la perfection à l’homme, mais
l’homme était incapable de la recevoir car il n’était qu’un petit enfant…Il
pouvait venir à nous dans son inexprimable gloire, mais nous n’étions pas
encore capables de porter la grandeur de Sa gloire.
Aussi, comme à des petits enfants, le Pain
parfait du Père se donna-t-Il à nous sous forme de lait – ce fut sa venue comme
homme – afin que, nourris pour ainsi dire à la mamelle de sa chair et accoutumés
par une telle lactation à manger et à boire le Verbe de Dieu, nous puissions
garder en nous-mêmes le Pain de l’immortalité qui est l’Esprit du Père. (AH IV,
38, 1)
Ils sont tout à fait déraisonnables ceux qui n’attendent
pas le temps de la croissance et font grief à Dieu de la faiblesse de leur
nature. Dans l’ignorance de Dieu et d’eux-mêmes …(ils) refusent d’être d’abord
ce qu’ils ont été faits, des hommes sujets aux passions ; outrepassant la
loi de l’humaine condition, avant d’être des hommes, ils veulent être
semblables au Dieu qui les a faits et voir s’évanouir toute différence entre le
Dieu incréé et l’homme nouvellement venu à l’existence…
Nous Lui faisons un crime de ce que nous n’avons pas été faits dieux dès le
commencement, mais d’abord hommes, et, ensuite seulement, dieux. » (AH IV
38, 4)
* La liberté
peut, en effet, peser cruellement sur l’homme
comme on le voit, par exemple, dans la « Légende du Grand Inquisiteur »
imaginée par Dostoeïvsky dans Les Frères Karamazoff.
L’Inquisiteur reproche à Dieu (et au Christ en particulier) d’avoir confié à l’homme
cette faculté redoutable qu’il serait, selon lui, incapable d’exercer à bon
escient.
Comme si l’on
confiait une arme à feu ou un lance-flammes à un petit enfant privé de la
capacité de discernement.
La liberté
devient alors un fardeau insupportable pour l’homme en quête d’un bonheur
simple et facile, avide de sécurité.
« Il n’y a rien de plus séduisant que le libre arbitre, mais aussi,
rien de plus douloureux. Tu as accru la liberté humaine au lieu de la
confisquer et tu as ainsi imposé pour toujours à l’être moral les affres de
cette liberté »
L’Inquisiteur
a une opinion très médiocre de l’homme, incapable, selon lui, de supporter le
poids de la liberté et d’en faire bon usage, c'est-à-dire d’orienter par lui-même
sa vie conformément au projet divin.
« L’homme est plus faible et plus vil que Tu ne le pensais »
dit le Grand Inquisiteur au Christ … Tu te faisais une trop haute idée des hommes…Tu as trop exigé de lui, Toi
qui pourtant l’aimais plus que Toi-même ! En l’estimant moins, Tu lui
aurais imposé un fardeau plus léger… »
L’Inquisiteur voudrait
supprimer purement et simplement cette liberté qu’il juge insensée et qu’il
reproche amèrement au Christ d’avoir encore augmentée :
« Au lieu de t’emparer de la liberté humaine, Tu l’as étendue ! »
Son projet est terre à
terre.
Pourquoi faudrait-il
faire miroiter aux yeux de l’homme un bonheur dans l’Au-delà alors qu’il est
fait pour vivre sur terre et dans une servitude somnolente et irresponsable ?
« Qu’avons-nous besoin de l’Au-delà ?...Nous sommes plus
humains que Toi. Nous aimons la terre…J’aime l’humanité plus que Toi »
Et l’Inquisiteur d’affirmer :
« nous résoudrons tous les cas et ils accepteront notre décision avec
allégresse, car elle leur épargnera le grave souci de choisir eux-mêmes
librement ».
Voilà un débat qui mérite
réflexion.
Il peut sembler excessif
ou théorique, mais, si l’on y réfléchit sincèrement, ne nous est-il jamais
arrivé de souhaiter d’être moins libres, moins responsables (voire pas du tout !)
sur le plan spirituel ?
Que la chute n’ait pas pu
avoir lieu ?
Que l’homme n’ait pu s’égarer
en faisant de mauvais choix ?
Que le péché ne puisse
exister ?
Que nous ne puissions
jamais être séparés de Dieu, mais constamment nourris, confortablement et sans
effort, de sa Présence comme des bébés qui ne se posent aucune question, immergés dans une confusion rassurante avec
leur mère ?
Car la liberté exige un véritable
effort pour être mise en œuvre, un choix conscient, un discernement, un vrai
travail sur soi…
Le
mauvais usage de la liberté
On n’a pas
tort de s’inquiéter de l’usage que peut faire l’être humain de sa liberté
lorsque l’on voit que l’histoire de l’humanité baigne dans le sang, la
violence, le mensonge….bref, dans le tourbillon des passions humaines (ou plutôt
inhumaines !).
Nous
trouvons dès les premières pages de la Bible le récit symbolique - et inépuisable - de ce détournement du don précieux de la
liberté humaine dans le troisième chapitre de la Genèse.
Je ne m’attarderai
pas à un long commentaire de ce drame bien connu où l’on voit l’homme et la
femme placés par la Créateur dans un Jardin où se trouvent deux arbres offerts à
leur contemplation : l’arbre de Vie et l’arbre de la Connaissance du bien
et du mal (Gen 2, 9).
C’est le
second qui nous intéresse plus spécialement aujourd’hui, car c’est autour de
lui que va se jouer le drame de la liberté humaine.
Elle va être
éprouvée dans la décision qui appartient à l’être humain, de choisir entre la
Vie divine (à laquelle il communie déjà, mais de manière inconsciente en se
nourrissant des énergies incréées de l’Arbre de Vie, tel un bébé qui tète sa mère
sans la moindre réflexion, ni prise de conscience) et quelque chose d’autre :
la consommation des fruits de l’Arbre de la Connaissance.
Dieu invite l’être créé à ne pas manger des fruits de cet arbre, sous peine d’en
mourir. Il ne s’agit nullement d’une menace ou d’une punition, mais d’un
avertissement salutaire.
Ce qui est
mis en lumière ici, c’est que Dieu fait prendre conscience à l’homme (jusque là
inconscient) qu’il est doté de la capacité de choisir (« en manger ou pas »).
Qu’il lui appartient réellement de choisir en exerçant une authentique liberté.
Et Dieu le
met en garde aussi contre un mauvais usage de celle-ci : s’il n’écoute pas
le conseil divin, il peut en mourir ! (Il est vrai aussi qu’Il ne lui dit
pas pourquoi).
L’homme a
donc bien grandi en quelques versets : se nourrissant inconsciemment de l’Arbre
de Vie, il est invité à devenir conscient et responsable en évitant les
fruits de l’Arbre de la Connaissance.
Et nous
voyons rapidement entrer en scène celui qui va se faire un plaisir d’égarer l’homme
dans un choix mortifère en le détournant de Dieu : le tentateur, le père
du mensonge, le serpent (le plus rusé des animaux dit le récit - Gen 3, 1).
Nous voyons
donc, dès les premiers chapitres de la Bible, que dans le cœur de l’homme, se
joue un combat fondamental, déjà mentionné, entre Dieu et Satan.
Et aussi
que l’homme n’est sous l’emprise ni de l’Un, ni de l’autre. Ni Dieu ni le
diable ne peuvent imposer leur volonté à l’être humain.
Celui-ci
est libre de son choix…mais il ne peut rester neutre.
L’homme
a la liberté de se détourner de Dieu ... et il ne s’en prive pas !
L’homme a
la liberté d’écouter Dieu, de lui faire confiance (littéralement d’avoir foi en
Lui) en vue de partager Sa vie…ou de décider de devenir dieu sans Dieu. De s’auto-déifier.
C’est bien
ce que lui suggère le démon dans le récit de la Genèse :
« mangez
donc ces fruits appétissants car alors : « vos yeux s’ouvriront et
vous serez comme des dieux »
(Gen 3, 5)
Le mot « comme »
est important. Il ne s’agit plus d’être déifié par l’amour de Dieu mais de
singer Dieu, d’être « comme » Lui…sans Lui !
L’homme
peut être animé par ce qu’Evdokimov appelle la « concupiscence du divin ».
L’homme n’aime
plus Dieu Lui-même, mais le divin (ou plutôt la puissance divine) qu’il croit
pouvoir atteindre, obtenir par ses propres forces.
« L’amour pour Dieu a dégénéré en concupiscence du divin qui fait
dire : « vous serez comme des dieux » (158)
L’élan d’amour orienté vers l’être de Dieu change d’objet, dégénère en
concupiscence orientée vers l’idée du divin ; vers la possession des
attributs de Dieu. L’idée du divin se substitue à l’être de Dieu ; la
dialectique athéiste trouve son point de départ » (172).
Ne croyons pas qu’il s’agisse
là d’une histoire ancienne, d’un récit mythique dépourvu de sens et de portée
concrète dans nos vies ; la Bible parle de nous, dans notre réalité
quotidienne. L’homme, le plus souvent, ne souhaite pas vivre de la vie de Dieu,
se tenir en Sa Présence dans une attitude humble d’adoration, de tout recevoir
de Lui dans un élan d’amour et de reconnaissance.
Mais il veut, comme Prométhée,
voler le feu divin et vivre comme un dieu, sans Dieu.
C’est la description de notre état intérieur le plus répandu.
Ne voyons-nous pas quel
appétit de puissance dévore le cœur humain ?
Combien l’homme est prêt à
tout (tromper, voler, tuer, torturer, saccager, développer une puissance
technologique délirante…) pour affirmer son pouvoir sur les autres, sur la
nature, sur le cosmos, pour satisfaire son avidité sans limite ?
Nietzsche est un bon représentant
de cette tendance lorsqu’il exalte la volonté humaine pour elle-même, sans
autre but ni référence que sa propre puissance sans limite.
« Chez Nietzsche, la volonté de puissance… n’a plus aucun but extérieur,
aucun objet, pas de finalité. Cette volonté ne veut pas le pouvoir, pas
davantage le bonheur, le progrès ou la liberté : elle se veut elle-même,
voilà tout…C’est une force qui veut l’intensification de la force, une volonté
qui veut son propre accroissement… » (Luc Ferry – Nietzsche – La mort de Dieu)
« Chez Nietzsche, la volonté authentique, la volonté accomplie, est
celle qui cesse d’être volonté de quelque chose pour devenir « volonté de
volonté », volonté qui vise l’accroissement des forces vitales, c'est-à-dire
son propre accroissement, sa propre intensification comme telle. La volonté
atteint ainsi la perfection de son concept : se voulant elle-même, elle
devient maîtrise pour la maîtrise, force pour la force, et cesse d’être
assujettie, comme elle l’était encore dans l’idéal progressiste des Lumières à
des finalités extérieures »
(Luc Ferry – L’Homme Dieu ou le sens de la vie)
Et nous savons que
Nietzsche a profondément influencé la pensée contemporaine…
La puissance démesurée
du psychisme humain
* Le drame de l’homme c’est d’avoir oublié qu’il
n’est pas que corps et âme mais qu’il est aussi esprit ; et que son
esprit est habité par une soif d’absolu qui ne peut être assouvie qu’en
Dieu, qui seul est Absolu.
L’Image de Dieu en nous
trouve une de ses expressions les plus justes dans cette réalité de l’esprit
qui, absolu, aspire à l’Absolu qui l’attire comme un Aimant (au deux sens du
terme).
« L’image de Dieu en l’homme est l’image de l’absolu qui aspire à l’Absolu…véritable
Eros, orientation de l’esprit vers l’Infini…Dans l’intimité avec Dieu, cette
aspiration devient réalité, c’est la ressemblance. Notre eros cherche la paix
et ne la trouve qu’en l’Eros divin qui a mis en nous cette aspiration divine à
chercher l’Absolu » (Evdokimov p. 129)
* Oubliant l’existence de son esprit et s’éloignant
de Dieu, l’homme détourne sa soif d’absolu dans l’âme, le psychisme qui se
dilate à l’infini, ivre de lui-même, dans les passions multiples qui l’envahissent
(côté négatif), mais aussi dans de magnifiques réalisations artistiques, scientifiques,
humanistes…(côté positif).
« Le drame de l’homme c’est d’ignorer son esprit…L’esprit c’est la
capacité d’infini dans le cœur de l’homme ; c’est là, et là seulement, que
le psychisme cesse d’être captif de lui-même » (père Alphonse et Rachel Goettmann – Guérison
des maladies de l’âme p.15)
Il ne s’agit évidemment
pas de discréditer l’âme, si belle et si féconde. Elle produit des œuvres d’art
sublimes. Elle est dotée d’une intelligence qui permet à l’homme d’explorer les
secrets de l’univers, de créer des modèles mathématiques qui précèdent les découvertes
scientifiques les plus fabuleuses.
Mais si elle n’est pas nourrie par l’esprit elle est incapable par elle-même de
faire accéder l’homme à la Présence divine.
Ce n’est ni les
sentiments, ni les émotions, ni les idées, fussent-elles géniales, ni l’intelligence
rationnelle qui peuvent nous faire connaître et aimer Dieu, mais seulement l’élan
intérieur et le capteur d’énergies incréées qu’est notre esprit.
De plus l’âme, qui a dévié
pour elle-même la puissance de l’esprit se nourrit d’elle-même et des passions
qui l’habitent et la conduisent à notre insu.
Ce caractère absolu de l’énergie
spirituelle intérieure qui nous habite, et qui est déviée dans le psychisme,
explique la puissance des passions qui peuvent nous dévorer.
Le Mal
Nous touchons ici à la grande
et lancinante question du mal.
P.
Evdokimov a commenté ce thème dans son analyse magistrale des romans de Dostoeïvsky,
en particulier, des « Possédés » et des « Frères Karamazoff ».
Il définit le
mal comme la volonté de l’homme (ou de l’ange, plus exactement des démons)
d’exister par soi, et pour soi, de devenir à soi-même son propre
univers, son propre dieu. Ce qui est la définition même de l’orgueil. Nous y
reviendrons.
Sous l’influence
pernicieuse de Satan – influence d’autant plus sournoise qu’elle est cachée
- qui veut égarer et détruire l’homme en
le détournant de Dieu, l’être humain
peut en venir à oublier Dieu, à L’ignorer, et même à Le rejeter, à Le considérer
comme un ennemi ou, ce qui est plus
pratique encore, comme inexistant … mort !
N’est-ce
pas une attitude très répandue à notre époque depuis les « maîtres du soupçon »
(Nietzsche, Marx, Freud…)?
Pas besoin
de remonter jusqu’à la Genèse pour s’apercevoir que Dieu tient bien peu de
place dans la vie des hommes. Et dans la mienne ?
* L’homme,
après avoir oublié Dieu, ne peut que se tourner vers lui-même et devenir son
propre dieu, sa propre référence, sa propre idole, comme le montre le livre déjà
cité du philosophe Luc Ferry (L’Homme-Dieu).
Nous le
voyons bien dans l’individualisme contemporain, lorsqu’il est poussé
jusqu’au bout de sa logique. C'est-à-dire lorsque l’individu
tout-puissant (ou qui aimerait l’être) prend la place de la « personne »
(au sens théologique du terme que l’on appelle aussi l’ « hypostase »
, éthymologiquement « qui se tient en dessous des apparences »).
Ce phénomène actuel, qui gangrène notre société post-moderne et les relations
sociales, a été bien décrit par le philosophe français Gilles Lipovetsky lorsqu’il
met en relief le narcissisme contemporain.
Voici
quelques extraits significatifs de son livre « L’ère du vide » :
« Aujourd’hui, c’est Narcisse qui, aux
yeux d’un nombre important de chercheurs… symbolise le temps présent…le
narcissisme désigne le surgissement d’un profil inédit de l’individu, dans ses
rapports avec lui-même et son corps, avec autrui, le monde et le temps…un
individualisme pur, débarrassé des ultimes valeurs sociales et morales…émancipé
de tout encadrement transcendant…veiller à sa santé, préserver sa situation matérielle,
se débarrasser de ses complexes, attendre des vacances : vivre sans idéal,
sans but transcendant est devenu possible…aujourd’hui nous vivons pour nous-mêmes,
sans nous soucier de nos traditions et de notre postérité….le narcissisme
abolit le tragique et apparaît comme une forme d’apathie faite de
sensibilisation épidermique au monde et, simultanément, d’indifférence profonde
à son égard…
Plus le Moi est investi…plus l’incertitude et l’interrogation
croissent. Le Moi devient un miroir vide à force d’ « informations »…culte
du désir et de son accomplissement immédiat…La passion narcissique …génère
un nouveau type de personnalité, une
nouvelle conscience, toute en indétermination et fluctuation…Le Moi devient un
espace « flottant » sans fixation ni repère, une disponibilité pure …le
rapport à Soi supplante le rapport à l’autre…
Le corps est promu en véritable objet de culte…investissement
narcissique visible à travers mille pratiques quotidiennes : angoisse de l’âge
et des rides, obsession de la santé, de la « ligne », de l’hygiène ;
rituels de contrôle et d’entretien (massages, sauna, sports, régime) cultes
solaires et thérapeutiques (surconsommation de soins médicaux et de produits
pharmaceutiques).
L’individu…affronte désormais sa condition mortelle sans aucun appui « transcendant »…il
en va de la mort et de l’âge comme de la douleur ; c’est leur non sens
contemporain qui en exacerbe l’horreur…il ne reste dès lors plus qu’à durer et à
s’entretenir, accroître la fiabilité du corps, gagner du temps et gagner contre
le temps…
Le narcissisme ne désigne pas seulement la
passion de la connaissance de soi, mais aussi la passion de la révélation
intime du Moi, comme en témoignent l’inflation actuelle des biographies et
autobiographies…Le narcissisme se définit moins par l’explosion libre des émotions
que par le renfermement sur soi…c’est le repli sur soi…qui caractérise le
narcissisme.
Depuis vingt cinq ou trente ans, ce sont les désordres
de type narcissique qui constituent la majeure partie des troubles psychiques… ils
se caractérisent par un malaise diffus et envahissant, …Impossibilité de
sentir, vide émotif…sentiment de vide intérieur et d’absurdité de la vie, une
incapacité à sentir les choses et les êtres…Avoir des relations
interindividuelles sans attachement profond, ne pas se sentir vulnérable, développer
son indépendance affective, vivre seul, tel serait le profil de Narcisse. »
Pardonnez-moi
la longueur de cette citation, mais elle me semble particulièrement appropriée à
notre sujet.
.
On peut
estimer ces considérations excessives ou exagérément pessimistes. On peut aussi
ne pas s’y reconnaître, ou avoir de nos contemporains une vision beaucoup plus
positive : il existe évidemment beaucoup de personnes responsables, dévouées,
engagées, attentives aux autres, sensibles à la misère physique et morale, qu’elles
soient d’ailleurs croyantes, agnostiques ou athées…C’est incontestable.
Il est évident
qu’il existe beaucoup de « braves gens » qui aiment leur famille,
leurs amis et qui ne font « pas de mal à une mouche ». Et même
beaucoup d’humanistes qui se dévouent à de nobles causes et font honneur à la
dignité humaine, sans nécessairement se référer à Dieu.
Mais il est
bon de rappeler que nous ne nous plaçons pas ici dans une perspective
simplement éthique et humaniste.
Nous sommes ici dans une approche spirituelle, ontologique de la liberté.
Et dans
cette optique, ce qui me semble intéressant dans ce texte, c’est qu’il met en
lumière le caractère absurde et désespéré de l’individualisme qui s’empare
de l’être humain qui a perdu le sens du sacré, de la relation à Dieu et à l’autre,
et qui se retrouve devant un vide existentiel, une absence de valeurs
transcendantes et de sens profond à la vie, une pénible solitude et une
angoisse sourde auxquels est, dans le fond de lui-même (elle-même), confronté(e)
celui (ou celle) qui a oublié jusqu’à l’existence de Dieu et ne sait pas que Sa
Volonté est de faire de l’homme, non pas un esclave ou un serviteur, mais un
ami, un partenaire avec lequel partager Sa Vie.
Comme l’écrit
P. Evdokimov :
« l’idée de Dieu disparaît mais il
subsiste une infinie tristesse. » (op. cit. p 117)
* Dostoeïvsky lui aussi, il y a plus d’un siècle,
mettait en scène de façon récurrente dans ses romans des personnages égarés par
leurs désirs désordonnés : débauche, mépris, meurtre… ayant oublié la voix
divine ou faisant à Dieu un procès impitoyable.
Pensons à
Kirilov, Stavroguine (Les Possédés) Dimitri et Ivan Karamasoff (Les Frères
Karamasoff) Raskolnikov (Crime et châtiment), Rogogine (L’idiot)…Ce sont des êtres
possédés par leurs passions et leurs idées destructrices.
Ces
personnages déboussolés poussent très loin, de façon certes exacerbée mais
plausible (l’histoire en est remplie), la réalisation de leurs passions dévastatrices
en affirmant : si Dieu n’existe pas, ou s’Il est si lointain que l’homme
en oublie la réalité et la voix, alors tout est permis !
Nous
rencontrons ici, sous une autre forme, celle du crime, du néant, du suicide, du
meurtre… la volonté de puissance de l’homme qui nie l’existence de Dieu.
La
conclusion désespérée de ces êtres égarés est parfaitement énoncée par Ivan
Karamazoff ou par Kiriloff : tout est permis puisque Dieu n’existe pas !
« Puisque Dieu et l’immortalité n’existent pas, il est permis à l’homme
nouveau de devenir un homme-dieu, fût-il seul au monde à vivre ainsi. Il
pourrait désormais, d’un cœur léger, s’affranchir des règles de la morale
traditionnelle auxquelles l’homme était assujetti comme un esclave…Partout où
je me trouverai, ce sera la première place …tout est permis un point c’est
tout ! » (Ivan
Karamazoff )
« Dans sa soif luciférienne d’absolu, l’homme moderne tend à abolir
toute limite : il se pose lui-même comme seule et ultime référence et
exalte la transgression. On fait de la transgression une règle pour aboutir au « tout
est permis » d’Ivan Karamazov, puis au « tout est possible » de
la techno-science. » Archimandrite
Syméon - Cahier St Silouane précité ).
Kirilov, dans Les Possédés,
considère Dieu comme un obstacle à la liberté humaine :
« Si Dieu est, toute la volonté lui appartient, et en dehors de sa
volonté, je ne puis rien.
S’il n’est pas, la volonté m’appartient et je dois proclamer ma volonté propre ».
« L’attribut de ma divinité, c’est ma libre volonté ».
Chez Kirilov, cette prétendue
liberté sans limite va jusqu’au suicide. Il met fin à ses jours uniquement pour
démontrer qu’il dispose lui-même de sa vie, par une volonté de toute puissance
qui débouche sur le néant et l’absurdité !
« Je me tue pour prouver mon insubordination et ma liberté nouvelle »
« Je dois me brûler la cervelle, parce que la manifestation suprême de
ma volonté, c’est le suicide ». (Les Possédés)
L’archimandrite Syméon du
monastère de Maldon, successeur du père Sophrony, en fait ce commentaire avisé :
« Kirilov se tue pour ravir le feu du ciel, la divinité. C’est l’individu
qui s’absolutise, se divinise par lui-même et pour lui-même seulement.
Le Christ, au contraire, se vide de Sa divinité, S’anéantit comme le dit l’épitre
aux Philippiens, en se sacrifiant pour le salut des autres »
(Archimandrite Syméon- op cit )
Un homme se tue pour se
diviniser lui-même !
Renversement saisissant
de l’Amour sacrificiel du Christ qui donne sa vie pour que les hommes puissent
revivre !
Que devient l’homme sans
Dieu et sans le désir de faire Sa volonté aimante ?
A nouveau, Paul Evdokimov l’exprime avec justesse :
« En abandonnant l’idée de l’immortalité de l’âme, les hommes sont à
nouveau saisis par le sens antique de la fugacité de la vie, par le caractère
relatif des idéaux et le fini du monde naturel ; un jour vient où tout se
fait trop simple et trop clair : il n’y a plus rien de mystérieux, d’inaccessible,
aucune fantaisie ne peut plus porter l’homme sur ses ailes. Les grandes espérances
s’éteignent, les peines restent et, sur la terre devenue solitaire, l’amour
lui-même devient utilitaire ; il
sert à étouffer le chagrin de leurs cœurs (L’adolescent) ; or, « l’Incommensurable
et l’Infini sont nécessaires à l’homme » (Les possédés), leur recherche
est la force qui meut les peuples ; elle est l’aspiration à l’Absolu. Les
attributs de l’esprit humain sont calculés sur l’éternité, sur l’immortalité
personnelle, voilà pourquoi la conception incroyante est mêlée d’angoisse »
(op cit. p. 117)
Deuxième partie : Que ta
volonté s’incarne dans notre vie
Après avoir
posé quelques bases plus théoriques, tentons maintenant de décrire les remèdes à
cette maladie qu’est l’oubli de Dieu.
Tentons de
découvrir comment incarner dans notre vie cette
demande essentielle qui est au cœur de la prière : « Que Ta
volonté soit faite ».
* Nous allons procéder par étapes.
1- D’abord, celle de la prise de conscience de mon état spirituel.
2- Puis
vient la prise de décision, la résolution de s’engager résolument dans un
chemin de transformation.
3- Ensuite,
nous envisagerons l’absolue nécessité du discernement des esprits et de la
garde des pensées.
4- Sur ce chemin étroit nous sommes puissamment aidés par le Christ, médecin et
Sauveur, et par la grâce de l’Esprit Saint.
5- Nous nous demanderons aussi comment discerner concrètement la volonté du Père
dans notre vie.
6- Enfin,
nous évoquerons l’indispensable synergie entre la grâce et notre volonté.
Toutes ces
questions, si essentielles pour notre vie spirituelle, sont longuement abordées
dans la Tradition ascétique de l’Eglise, nourrie des Ecritures, de la pensée et
de l’expérience de nos pères (et mères) dans la foi.
On ne peut, dans le cadre limité de ce travail, que les esquisser en invitant chacun
à les approfondir dans sa vie spirituelle.
Je prendrai essentiellement pour guides :
-
les
saints Starets Silouane et Sophrony (Celui-ci a évoqué la vie et rassemblé les écrits
de son maître Silouane dans le beau livre « Starets silouane , Moine du mont
Athos »),
-
le
livre très utile et concret du père Alphonse et de Rachel Goettmann « La
guérison des maladies de l’âme »,
deux livres
dont je vous recommande vivement la lecture.
*
Première étape : la prise de conscience
Cette
conscience est double : éveil à la Présence divine et lucidité sur mon état
spirituel.
Si elle est
éveillée, cette conscience, comme une flamme, nous tient en éveil de manière
permanente. Et nous pouvons chanter avec le psalmiste :
« O Dieu, mon Dieu, je Te
cherche dès l’aurore, mon âme a soif de Toi.
Après Toi languit ma chair comme une
terre déserte sans eau » (Ps 63)
Sans cette
conscience essentielle de l’existence de Dieu, de Son amour, de Sa présence, de
Sa proximité, Lui qui est plus intime à moi-même que moi-même, pourquoi se
mettre en route ?
La première
attitude spirituelle fondamentale est le désir de connaître Dieu.
Pas
seulement de savoir qu’Il existe ou de croire en Lui. Mais de le chercher avec
ardeur. De s’ouvrir à Sa présence. D’avoir confiance (foi) en Lui. De tourner
vers Lui tout notre être « corps-âme-esprit, pour être inondé de ses énergies
incréées, comme une fleur se tourne naturellement vers le soleil.
La
Tradition appelle cette attitude existentielle : « le souvenir de
Dieu ».
La mémoire du divin creuse en nous une immense
nostalgie et suscite le désir de vivre en Dieu, pour Dieu, d’être uni à Lui
tout le temps et pour toujours.
Les pères
comparent cet élan de l’être humain vers Dieu au désir amoureux :
« Bienheureux celui dont le désir de Dieu
est devenu semblable à la passion de l’amant pour sa bien-aimée » (St Jean
Climaque – Echelle sainte 30ème degré)
Celui qui désire Dieu clame : « Mon âme
a soif de Dieu, du Dieu vivant » (Jean Climaque – idem)
Une vie
spirituelle ne peut être vécue sans ce désir profond, cet enthousiasme
fondamental , cet élan que nous appelons « foi », confiance, adhésion,
qui alimente notre mémoire et nous révèle la vérité de l’Amour divin.
Si ce désir
ne nous remue pas en profondeur, nous tombons dans l’indifférence, la froideur
et notre esprit (qui est la tête chercheuse du divin que nous portons en nous)
s’endort…
« Loin de Dieu, l’esprit de l’homme est
endormi, indifférent. Mais dans l’association intime avec l’Esprit Saint, l’esprit
de l’homme devient fort, ardent ; il est enflammé par l’amour divin »
(Amba Shenouda)
L’enthousiasme
au sens premier du terme est le moteur de la vie spirituelle.
N’oublions
pas que le mot enthousiasme vient du grec « enthousiasmos » qui
signifie « transport divin » « élan en Dieu » (« en
theos »).
Et que la vérité en grec se dit « Aletheia », mot composé de «alpha »
privatif et « lethe » (l’oubli,
du nom du fleuve Léthé qui plongeait dans l’oubli les âmes des trépassés). La vérité
est donc l’absence d’oubli, soit le souvenir, la mémoire « de Celui qui était,
Qui est et Qui vient ».
Nous sommes
invités ici à ouvrir les yeux sans complaisance sur notre état intérieur.
Pour nous y
aider, nous pouvons, par exemple nous poser les questions suivantes et tenter d’une
répondre avec lucidité :
-
suis-je
vraiment libre ? Il ne s’agit pas ici des grands principes (liés aux
droits et libertés de l’homme), mais de
la liberté sur le plan intérieur, spirituel,
-
qu’est-ce qui
dans ma vie fait concrètement obstacle à cette liberté « glorieuse des
enfants de Dieu » dont parle St Paul ?
-
est-ce que je
désire vraiment que s’accomplisse en moi, à travers moi, autour de moi la
volonté de Dieu ?
Ces questions doivent être
posées dans une attitude humble de prière et d’écoute.
Pas en philosophe, en
moraliste ou en sociologue, mais en croyant, en amoureux de Dieu.
Et en invoquant l’Esprit
Saint, car Lui seul peut nous révéler mon état intérieur, tout ce qui en
moi, fait obstacle à ce que Sa volonté s’accomplisse et non la mienne.
Suis-je vraiment
libre ?
La réponse est : « Non,
je ne le suis pas » !
Parce que je perds
souvent mon chemin dans des passions qui m’égarent, des désirs contradictoires,
une dispersion qui donne à mon être le tournis tourbillonnant d’une d’une toupie.
Croire que je suis
toujours bien orienté vers Dieu est une douce illusion.
Penser que c’est l’amour
qui constamment guide mes pensées, mes paroles et mes actes est un aveuglement.
Nous le savons.
N’ayons pas peur des mots :
le péché existe et me détourne le plus souvent de l’Essentiel, de ma vocation
profonde, celle de devenir fils ou fille de Dieu.
Les pères affirment que
le péché est « une maladie de la volonté ».
Comme l’écrit de manière
imagée Théodoret de Cyr, notre humanité est devenue boiteuse en raison du péché :
« Notre nature humaine, dit-il, a tendance à trébucher »
* Nous avons donc un besoin
vital de guérison.
Et où la chercher cette guérison ailleurs
qu’en Dieu ?
Car le seul médecin c’est
le Christ.
Nous ne pouvons être guéris
de l’absence de Dieu que par Dieu Lui-même.
Si quelqu’un étouffe et suffoque, seul un apport d’oxygène peut lui sauver la
vie.
Notre guérison
spirituelle ne peut commencer et se poursuivre (toute notre vie) que si nous
nous tournons résolument vers Dieu en lui disant, du fond du cœur, dans un élan
de tout notre être « Que Ta volonté soit faite en moi » !
« A partir du moment où nous nous tournons vers Dieu, résolus à
suivre ses commandements, un processus de guérison totale s’engage »
(P. Sophrony)
* Prendre conscience
de mon péché est le commencement de ce processus de guérison.
« C’est la découverte la plus importante que nous puissions faire
sur nous-mêmes, écrit le pasteur P . Burgat, car elle nous met dans
une juste relation avec le Seigneur. C’est le début du repentir. »
(Cahier St Silouane déjà cité)
Beaucoup de personnes à
notre époque se hérissent lorsqu’ils entendent les mots : « péché »
« repentir » « guérison spirituelle »… car elles n’ont plus
aucune conscience de notre état de séparation avec Dieu.
Elles sont le plus
souvent tellement traumatisées par les blessures infligées par la religion étriquée
et culpabilisante qu’on leur a imposée, qu’il n’est plus question pour elles de
se tourner vers l’enseignement de la Tradition chrétienne.
On peut comprendre leur
rejet épidermique ou radical. Mais il serait bien dommage d’en rester là…
Ne jetons surtout pas le
bébé avec l’eau du bain !
* Il est donc essentiel de prendre conscience
du fait que notre volonté a été grièvement blessée par le péché qui est
un état de cécité spirituelle.
Que notre liberté a été déviée
et amoindrie.
Que notre liberté n’est
plus réellement « libre » et qu’elle nous conduit le plus souvent à
faire, sans le vouloir ni même le savoir, des choix mortifères.
C’est St Paul qui décrit le mieux cet état déchu, que nous connaissons tous,
dans ce passage célèbre de l’épitre aux Romains:
« Je ne fais pas ce que je veux et je fais ce que je hais…Ce n’est
pas moi qui agis mais le péché qui habite en moi…J’ai la volonté mais non le
pouvoir de faire le bien. Car je ne fais pas le bien que je veux et je fais le
mal que je ne veux pas. Et si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi
qui le fais mais le péché qui habite en moi…Je prends plaisir à la loi de Dieu
selon l’homme intérieur, mais j’aperçois dans mes membres une autre loi qui
lutte contre la loi de mon entendement et qui me rend captif de la loi du péché
qui est dans mes membres. Malheureux que je suis… » (Rom. 7, 1 à 24)
On ne peut mieux décrire
l’état désorienté de l’homme pécheur, du « vieil homme » comme l’appelle
aussi St Paul, qui est le jouet de « quelque chose » de plus puissant
qui le domine et sur lequel il n’a que peu ou pas de prise.
Du moins, y a-t-il chez St Paul une prise de conscience salutaire de son état d’égarement,
et aussi la volonté clairement exprimée d’être guéri par «la loi de Dieu »,
c'est-à-dire par Sa volonté.
* Pour résumer, la première étape
importante de la vie spirituelle est, selon la Tradition, de se reconnaître pécheur
et de vouloir avec force et détermination être guéri.
La vie spirituelle en
Dieu commence (et se poursuit sans cesse) par cette prise de conscience
et ce désir de guérison, cet élan vers Dieu que l’on appelle le repentir.
« Voici le temps du repentir. Je viens à Toi.
Décharge-moi du lourd fardeau de mes péchés
Dans Ta tendresse, donne-moi les larmes du repentir » (Canon de St André de Crète).
C’est la prise de
conscience de notre volonté malade, de notre liberté écornée, et cependant
toujours présente au plus profond de notre être. Surtout ne nous décourageons
pas !
« Du fait de la chute nous souffrons d’un affaiblissement de la
volonté…
Les êtres humains – qui conservent leur image divine – gardent aussi la
liberté de choisir entre le bien et le mal. L’exercice de notre libre arbitre,
bien qu’il soit restreint et miné par la chute, n’a pas été aboli. Dans notre état
déchu, la volonté humaine est malade mais pas morte, bien que cela soit plus
difficile, il reste possible pour les hommes de choisir le bien. » ( Kallistos Ware – L’île au-delà du monde p. 99 et
1001)
Car, en réalité, peut-on
prétendre à la dignité d’homme créé à l’image de Dieu si l’on se satisfait d’un
état d’inconscience de notre véritable vocation ? De notre vraie beauté ?
N’y a-t-il pas là un manque d’humanité au sens profond du terme ?
« Le péché doit être envisagé dans une « perspective
existentielle, comme l’échec à être réellement soi-même. Le péché est un manque
d’humanité authentique » (Kallistos Ware – op cit. p 92)
Deuxième étape :
la décision résolue
Si nous
sommes éveillés à ces deux réalités essentielles de l’existence et de la présence
de Dieu et de notre état d’éloignement, alors une décision vitale s’impose :
en avant toute ! Je m’engage avec détermination dans un travail de
transformation intérieure, de métamorphose de mon être dont toute la Tradition
nous parle abondamment.
A commencer par Le Christ qui nomme ce passage la « seconde naissance », renaître d’eau et d’Esprit » (Jean 3)
De St Paul
aussi, qui décrit le passage de l’homme charnel, psychique à l’homme spirituel,
du vieil homme à l’homme nouveau « qui se renouvelle chaque jour » (2
Co, 4, 16 ; Eph. 4, 22 ; Col. 3, 9-10).
Nous savons
qu’il ne s’agit pas là d’un vœu pieux, d’un phantasme éthéré, mais d’une décision
qui engage concrètement tout notre être.
Suis-je prêt
à me renouveler chaque jour sous l’impulsion de l’Esprit ?
Nous
pourrions résumer cette démarche en chantant (et en faisant nôtre à chaque
instant) cette magnifique antienne de la Semaine sainte :
« Je dis, voici je viens, je veux faire
Ta volonté, Ô mon Dieu »
Je vous suggère de la
chanter tous les jours pour en faire notre projet de vie et nous recentrer sur
l’Essentiel.
Elle exprime la demande « que
Ta volonté soit faite » avec plus de précision : que Ta volonté soit
accomplie dans ma vie car c’est elle, et elle seule, que je choisis.
Alors, nous pourrons dire
avec sincérité et non du bout des lèvres par habitude ce début de la prière de St
Ephrem :
« Seigneur et maître de ma vie »
Est-Il vraiment le maître
de ma vie ou une référence discrète, sinon obsolète, parmi tant d’autres ?
* Nous avons déjà évoqué, au début de ce
chapitre, en quoi consiste la volonté divine : elle n’a rien à voir avec
celle d’un « maître » dur et exigeant, d’un tyran oppressant, mais
elle n’a pour but que le bonheur de l’homme, sa béatitude, son épanouissement
total dans l’amour trinitaire et l’amour fraternel.
« Dieu nous a créés pour
nous faire participer à sa béatitude ; c’est pourquoi tout homme est sans
cesse à la recherche du bonheur…
Le Royaume des cieux n’est pas un lieu clos, c’est une dynamique pour
une plénitude de joie, de connaissance et de communion. » ( Alphonse et Rachel Goettmann op cit. pp
215 et 220)
Nous ne pouvons même pas
nous représenter la plénitude et la joie que nous connaîtrons quand nous serons
unis à Dieu, nous laissant baigner par son amour tendre pour nous.
« Abandonnons-nous à la volonté de Dieu et nous verrons alors la
Providence divine et le Seigneur nous donnera même ce que nous n’attendons pas…Quand
le Seigneur touche une âme, elle devient toute nouvelle…Celui qui accomplit la
volonté de Dieu est content de tout, parce que la grâce du Seigneur le rend
joyeux…L’âme qui a goûté la douceur de l’Amour divin est entièrement régénérée
et devient toute différente… » (St Silouane)
Nous devons donc chasser
toute peur.
* Bien sûr pareille résolution de connaître et
de faire la volonté divine ne peut être prise et encore moins tenue dans le
temps que si j’ai conscience de mon éloignement, que la Tradition
appelle « péché » (c'est-à-dire déviation, ratage de cible).
Si je suis satisfait de ma vie, ou plutôt auto-satisfait, je ne peux ressentir
nul besoin de me tourner vers Dieu pour être guéri.
Sans conscience de ma
maladie, je n’aurai pas recours au médecin.
Troisième étape :
le combat spirituel
Ayant pris conscience de
mon état de séparation, de dispersion, j’ai pris la décision de me transformer,
de m’abandonner à la volonté divine.
Mais aussitôt, les
difficultés commencent : de nombreux obstacles se dressent en moi pour
contrecarrer ma belle résolution et la reléguer au rang d’un « vœu pieux ».
Je pense que nous en
avons tous l’expérience…
Ces nombreux obstacles,
la Tradition chrétienne les nomme « pensées
et passions ».
* Mais avant de les aborder, évoquons d’abord
un autre obstacle de taille : la peur.
Peur de perdre le contrôle de ma vie, peur de l’inconnu, peur de devoir lâcher
mes sécurités, peur de me marginaliser…
Le texte de Mgr Jean cité plus haut décrit bien cette attitude de méfiance et
de calcul qui est à l’opposé de l’abandon confiant d’un enfant entre les mains
de son père ou de sa mère.
Et peut-être n’avons-nous
pas tout à fait tort d’avoir peur … car nous allons être confrontés à la nécessité
d’un combat spirituel que tous les saints, tous les pères évoquent
abondamment. Par exemple le starets Silouane :
« Tous ceux qui suivent Notre Seigneur
Jésus Christ sont engagés dans une guerre spirituelle.
Notre combat se déroule chaque jour et à chaque
heure.
Le but de notre combat, c’est de trouver l’humilité…car
aux humbles le Seigneur Se fait connaître par le Saint Esprit.
La lutte de l’âme contre les ennemis dure jusqu’à
la tombe. Et si dans une guerre ordinaire on ne tue que le corps, notre guerre
est plus difficile et plus dangereuse parce que c’est l’âme qui périt » (St Silouane)
* Il serait
en effet naïf de penser que la vie spirituelle est une sinécure. Et qu’il
suffit d’appeler Dieu à l’aide et de se laisser agréablement conduire par lui, les
orteils en éventail dans le doux balancement d’un hamac douillet.
Ce serait négliger une réalité essentielle : celle des pensées fausses
(ou mauvaises) qui parasitent notre être, et celle des passions qui
gangrènent le cœur, le plus souvent à notre insu.
Sans
oublier la résistance acharnée que le « vieil
homme » en nous, coriace comme un vieux cuir, oppose à tout ce qui
bouscule son confort et ses penchants.
Voilà un
bien vaste sujet qui ne peut guère être développé ici. Je vous renvoie à ce
propos notamment à la lecture du livre précité d’Alphonse et Rachel Goettmann :
« La guérison des maladies de l’âme »
Nous sommes
tellement habitués à sauter d’une pensée à l’autre, d’être remplis de désirs
multiples, de passer sans transition d’un état d’âme à un autre…que nous n’y
prêtons plus aucune attention.
Nous pensons être maîtres de nos pensées, de nos désirs et de nos impulsions
alors que nous en sommes, le plus souvent, les jouets inconscients.
Notre chemin spirituel commence réellement lorsque nous devenons conscients de
ce tourbillon intérieur, semblable au vent d’automne qui fait valser les
feuilles mortes
au gré de
nos variations climatiques intérieures.
« Le premier ennemi que l’homme
rencontre dans son exil après la chute c’est le tumulte des pensées…
« Tout le combat de l’homme consiste dans
la lutte des pensées » (St Macaire)
Selon nos Pères dans la foi, il faut d’abord connaître le mécanisme de nos pensées..
Les pensées multiples empêchent notre esprit de
se souvenir de Dieu, elles virevoltent et nous assourdissent comme un essaim d’abeilles
et nous devenons semblables à des vierges folles…Les pensées justes et les pensées
fausses s’entremêlent, il n’y a plus de discernement… » ( Alphonse et Rachel op. cit. p.53
et 60)
* Nous
sommes aussi inconscients du travail insidieux des esprits malins qui se
glissent dans nos pensées comme des voleurs pour nous dérober avec un art
consommé ce que nous avons de plus précieux : notre glorieuse liberté d’enfant
de Dieu.
D’où l’importance
du discernement des esprits auquel peut nous aider un maître expérimenté.
« Le discernement des esprits est d’une
importance capitale : reconnaître la nature des pensées, leur provenance,
leur trajectoire, c’est un combat car il faut vigilance et attention pour dégager
l’âme du bavardage incessant qui la secoue et l’égare. » ( Alphonse et
Rachel Goettmann -p.61-62)
« Les démons recherchent nos points
faibles, renforcent insidieusement nos attraits, nos désirs. Ils se cachent
derrière nos pensées, nos installations, nos sécurités. C’est ainsi que nous ne
discernons plus la réalité et que nous devenons aveugles à ce qui est vérité….
Les démons emploient de multiples stratagèmes.
Ils se glissent dans nos pensées-souvenirs, réveillent des blessures anciennes
non assumées, non pardonnées, de telle sorte que nous demeurons dans la
tristesse, le découragement.
Ou bien ils se glissent dans nos excès afin de les encourager à perdurer. » (idem. cit. p.73)
* Les pensées ne sont pas nos seuls parasites.
Un autre phénomène
nous perturbe grandement à notre insu : ce sont les passions, bien
connues de toutes les traditions depuis l’Antiquité (pas seulement de la
tradition chrétienne).
Platon,
Epicure, Lucrèce notamment avaient déjà repéré leur caractère pernicieux.
Les
bouddhistes distinguent aussi les passions corporelles : le meurtre, le
vol et la luxure, les fautes commises par la parole : mensonge, calomnie
et insultes et les passions qui égarent l’esprit : convoitise, méchanceté
et vues fausses.
La
tradition tibétaine préconise alors la pratique de dix préceptes, un contrôle
de soi dans tous les domaines de la vie, pour combattre ces passions et
atteindre une vie juste (vue juste, pensée juste, parole juste, action juste,
effort juste attention juste concentration juste…).
La passion,
en gros, c’est une pensée tordue et récurrente qui a pris racine en nous et
nous pousse à un comportement répétitif et nuisible sur le plan spirituel
(mais aussi sur notre âme et notre corps qu’elles peuvent détruire à petit
feu).
Comme l’expliquent
Alphonse et Rachel Goettmann :
« Nous demeurons libres face aux
assauts du démon, mais si nous nous complaisons dans la pensée-image, alors
nous sommes emprisonnés. C’est l’acquiescement de l’esprit accompagné de délectation
à ce qui est proposé (Marc le Moine). Nous avons permis à la pensée de s’installer
en nous, nous lui devenons obéissants et nous prenons plaisir à sa présence. »
(58)
Complaisance
et acquiescement aux pensées mauvaises, délectation et enfermement. Voici des
mots-clés pour comprendre ce qui distingue la passion du simple état d’âme
passager.
La
Tradition chrétienne a repéré et nommé les passions les plus courantes :
Elles sont
au nombre de 7 : la gourmandise (gastrimargie), la luxure (esclavage des
sens), l’attachement aux richesses (avarice), la tristesse (négation de la
vie), la colère (possession des profondeurs), l’acédie (atonie de l’âme) et la
vaine gloire (vanité).
J’emprunte cette classification (et les qualificatifs appliqués aux passions)
au livre précité d’Alphonse et Rachel Goettmann auquel, à nouveau, je vous
renvoie.
St Ephrem le Syrien
adopte une autre classification, plus simple, qui figure dans la prière que l’Eglise
nous invite à dire pendant le carême : il parle de l’esprit d’oisiveté, de
découragement, de domination et de parole facile.
Une approche plus
classique met en relief trois passions fondamentales : la soif de
jouissance, de plaisir sans Dieu, le désir sans fin de possession (matérielle
ou intellectuelle) et l’esprit de domination.
Il est essentiel de repérer
en nous la ou les passions qui nous domine(nt) à notre insu, pour ne pas en être
esclave et pouvoir transformer l’énergie immense qu’elle(s) contient
(ennent), la retourner en force positive qui nous portera dans notre élan vers
Dieu.
Cette alchimie peut nous
faire découvrir la « pierre théologale » qui est Le Christ Lui-même.
* Et n’oublions pas non
plus qu’à la base de toutes ces passions, il y en a une, bien grosse, bien
solide, omniprésente, qui fausse en profondeur notre chemin spirituel : c’est
l’orgueil dont il faut dire quelques mots car si nous n’en prenons pas
conscience, nous allons inévitablement nous égarer.
C’est en
effet l’orgueil qui, fondamentalement, nous leurre et nous fait penser que nous
sommes importants à nos propres yeux, que nous sommes auto-suffisants, que nous
pouvons nous passer de Dieu et d’une guidance spirituelle.
L’orgueil
est une forme mortelle de paralysie et d’aveuglement spirituels.
Saint
Silouane notamment ne se lasse pas de nous mettre en garde contre cette passion
qui ronge le cœur humain et le rend sourd à la voix divine.
« Souvent, il nous semble que le Seigneur
ne nous entend pas ; la seule raison en est que nous sommes orgueilleux…Il
est difficile de discerner l’orgueil en soi-même ; mais le Seigneur laisse
l’homme orgueilleux se débattre dans son impuissance jusqu’à ce qu’il s’humilie.
L’homme orgueilleux ne peut pas vivre selon la
volonté de Dieu car il aime se diriger lui-même.
Les hommes n’apprennent pas l’humilité et, à
cause de leur orgueil, ne peuvent recevoir la grâce du saint Esprit et ainsi,
le monde entier est plongé dans la souffrance.
Les hommes orgueilleux et désobéissants ne
veulent pas s’abandonner à la volonté de Dieu, car ils aiment accomplir leur
volonté propre, ce qui est pernicieux pour l’âme.
Les âmes orgueilleuses sont semblables à de la
fumée. De même que le vent emporte la fumée, ainsi l’Ennemi les attire là où il
veut, parce qu’elles n’ont pas de patience ou qu’elles se laissent facilement
tromper par lui.
Le père
Alphonse et Rachel Goettmann eux aussi (comme toute la Tradition d’ailleurs)
insistent sur les ravages que peut causer l’orgueil dans notre cœur. Sans
paraphraser le chapitre qu’ils lui consacrent dans leur beau livre précité, j’en
reprendrai seulement quelques extraits significatifs :
« Au dernier barreau de l’échelle des
passions : l’orgueil, la plus folle, la plus dangereuse, car elle conduit
l’homme hors de lui-même, l’égare, le coupe de Dieu …
C’est par orgueil que je me coupe de Dieu quand
je pense ou agis selon mon seul bon plaisir.
L’orgueilleux veut exister sans Dieu…L’orgueil nie Dieu, il veut se passer de
Lui…
L’orgueil est perversité de la passion unique :
c’est le détournement de l’appel à l’élévation (notre déification)…
La vaine gloire recherche la gloire attribuée
par les hommes et la préfère à celle offerte par Dieu.
L’orgueil se glorifie par lui-même sans tenir
compte de Dieu et des humains. L’orgueilleux se complaît en lui-même et cette
complaisance le porte au désir d’élévation, de grandeur. Il est soumis à ses
propres désirs et pensées. Il existe par un amour pervers de soi, confond la
liberté qui écoute la Parole divine avec le libre-arbitre qui s’écoute lui-même…
L’orgueilleux méprise les commandements divins…
L’orgueil aveugle l’esprit …
L’orgueilleux ignore le fond de son cœur…il n’a connaissance ni des dons reçus
de Dieu, ni de ses péchés ; il est fasciné par lui-même.
L’orgueilleux vit dans une surestimation de
lui-même …
Là où l’orgueil se différencie de la vanité, c’est
qu’on ne cherche plus seulement le regard de l’autre, mais on s’estime, se
surestime, on est auto-satisfait…jusqu’à l’autolâtrie » (pp 187 à 198)
L’orgueil
nourrit et fortifie sans cesse notre volonté propre.
Cette volonté d’autosuffisance
se cabre comme un cheval ombrageux. Elle dresse entre nous et la volonté divine
un barrage en béton armé.
« Notre volonté est comme un mur d’airain
entre Dieu et nous, nous empêchant de nous approcher de Lui ou de contempler sa
miséricorde. » (Abba Poemen)
Enfermement,
aveuglement, autosuffisance mortifère, voilà les fruits de l’orgueil qui est la
pire des passions inspirée par Satan, lui-même un monstre d’orgueil qui a voulu
s’élever aussi haut que Dieu, mais sans Dieu.
Et qui
inspire aux hommes qui lui prêtent l’oreille, la même folie .
* Le seul
remède contre l’orgueil, son antidote comme l’écrit père Alphonse, c’est l’humilité.
L’orgueil
est l’exact opposé de cette merveilleuse qualité d’être, si importante, si essentielle que les Pères n’arrêtent pas de
la célébrer sur tous les tons.
« L’humilité est le principe même de la
vie spirituelle, à l’opposé de l’orgueil qui est le principe de l’existence
mortifère » (Alphonse et Rachel Goettmann p 212)
« L’humilité
est le terreau dans lequel se développe l’amour pour Dieu et le prochain »
(idem p.210)
Ecoutons à
nouveau le starets Silouane parler de cette attitude spirituelle fondamentale
sans laquelle on est incapable d’entendre la Volonté de Dieu et de la mettre en
pratique
« L’humilité est fondamentale pour
pouvoir s’abandonner à la volonté de Dieu
Si l’on me demandait : « Que désires-tu
de Dieu ? Quel don ? », je répondrais : « l’esprit d’humilité
qui, plus que tout, plait au Seigneur ».
« Celui qui se fait du souci pour lui-même
ne peut s’abandonner à la volonté de Dieu…
Mais l’âme humble s’abandonne à la volonté de
Dieu. Grâce à l’humilité, l’âme trouve son repos en Dieu.
Mais pour conserver ce repos, il faut un long
apprentissage. Nous perdons ce repos parce que nous ne sommes pas enracinés
dans l’humilité.
L’âme humble se souvient toujours de Dieu.
Selon ton degré d’humilité, tu ressentiras la grâce en toi ; lorsque ton âme
sera devenue tout à fait humble, tu trouveras la paix parfaite.
Quand l’âme est devenue humble, les ennemis
sont vaincus et l’âme trouve son repos profond en Dieu.
Les âmes humbles gardent les commandements du
Seigneur et s’y tiennent inébranlablement, tel un rocher dans la mer contre
lequel se brisent les vagues. Elles se sont abandonnées à la volonté de Dieu.
Celui qui vit selon les commandements entend à
chaque heure et à chaque instant la grâce dans son âme. »
Comme nous
sommes invités à retourner l’énergie de nos passions en carburants dans notre élan
spirituel, nous pouvons prendre conscience que l’humilité est une force bien
plus puissante que l’orgueil car elle nous ouvre les portes de la vie en Dieu.
« Donne-moi un esprit humble. Car Tu
donnes à l’âme humble la force de vivre selon Ta volonté. Tu lui révèles tous
tes mystères ; Tu lui donnes de Te connaître et de comprendre de quel
amour infini Tu nous aimes. »
(St Silouane)
* Humilité
et obéissance
sont deux sœurs jumelles qui unissent leurs forces dans le cœur de celui qui
est en chemin et cherche de tout son coeur, avec patience et persévérance, à
percevoir la volonté divine.
Le mot « obéissance »,
dans le cadre d’une démarche spirituelle, est un mot et une réalité qui
choquent et écorchent les oreilles contemporaines.
Pourquoi et à qui devrais-je obéir, moi qui suis si jaloux de ma précieuse
liberté et qui me sens assez grand pour me diriger moi-même ?
Ne suis-je
pas mon propre maître ?
Et obéir à
Dieu, par-dessus le marché !
Vous
croyez-vous au Moyen Age ou chez des fondamentalistes arriérés ?
Je
caricature à peine la réaction indignée que la lecture de ce texte peut
susciter chez nombre de nos contemporains.
L’obéissance
spirituelle est souvent mal comprise, même chez les chrétiens, car elle évoque
une autorité extérieure qui contraint, opprime, aliène. Comme on en a d’ailleurs
trop souvent connu dans l’Eglise !
Pour
percevoir ce qu’est réellement l’obéissance spirituelle, je ne peux mieux faire
que de laisser s’exprimer Mgr Jean de St Denis à ce sujet :
L’obéissance est en général mal comprise.
Philologiquement, le terme « obéir », en grec, en latin, en slavon,
signifie « écouter ». Il plonge sa racine dans l’écoute. L’obéissance
ouvre l’oreille intérieure. Elle est un état particulièrement attentif non
passif.
Toute autorité qui écrase qu’elle soit de la
science, de l’Etat ou de l’Eglise, tue la possibilité d’entendre…L’escroquerie
commence au moment où la religion et les prêtres se servent du mot obéissance « militairement ».
Ils en détruisent le sens essentiel qui est de développer l’oreille intérieure
toujours prête à entendre.
L’obéissance nous libère, nous donnant la
possibilité d’être ce récipient où peut se déverser la volonté de Dieu, alors
que la discipline extérieure en ferme l’orifice.
L’obéissance est l’écartement de tout ce qui
pourrait nous empêcher d’entendre.
Que de fois ce mot est malhonnêtement exploité !
Lorsqu’un Karl Marx proclame que la religion
est l’opium du peuple, sa parole renferme une dose de vérité. Sous prétexte de
révélation, sous prétexte que la vérité est venue d’en haut, on nous commande d’obéir
aux parents, aux prêtres, à l’Etat, à celui-ci ou celui-là…et d’en attendre la
récompense après la mort. Je dois l’affirmer, le plus grand crime est d’avoir déformé
nombre de mots chrétiens…
Hélas ! obéissance, ce mot admirable, au
sens religieux, est devenu a-religieux, une tromperie spirituelle. Il est urgent
de lui restituer sa puissante signification initiale et chrétienne (Mgr Jean- technique de la prière).
Cette
conception existentielle et féconde de l’obéissance correspond à cette
invitation qui ponctue la Bible comme un leitmotiv : « Ecoute Israël ! »
Obéir, au
sens spirituel qui seul nous intéresse ici,
consiste donc à ouvrir son oreille intérieure pour percevoir la mélodie
divine, la volonté de Dieu.
Elle consiste à acquérir cette écoute intérieure qui capte la voix du
Seigneur et perçoit les moindres signes de Sa Présence.
Cette écoute porte de multiples noms : attention, vigilance, discernement,
veille, éveil…
* La plupart des Occidentaux, qui ont perdu le goût
de la voix des profondeurs, pensent que Dieu ne parle pas aux hommes.
Dieu –
quand son existence est admise – est perçu comme lointain, abstrait, muet. Il
est théorique (le grand Tout, la déité, la Réalité ultime, l’Un…) mais pas
comme étant proche de nous, plus intime à nous même que notre veine jugulaire
comme le dit le Coran (Sourate 50 - verset 16)
Cette
opinion commune est contraire à la pensée biblique et à l’expérience de
nombreux mystiques.
Dieu parle aux hommes « à de nombreuses reprises et de bien des manières »
nous dit l’épitre aux Hébreux (1, 2) et « dans les derniers temps,
Il nous a parlé par son Fils »
Ce qui est
certain, c’est que sa Voix est inaudible à celui ou celle qui ne développe pas
son oreille intérieure, qui n’est pas attentif aux signes, aux événements, aux
rencontres, aux personnes à travers lesquels Dieu nous parle sans cesse.
Le Christ
constate que, le plus souvent, nous n’écoutons pas, nous n’entendons pas, nous
ne comprenons pas.
Comme ses
disciples, qui pourtant le suivent pas à pas, reçoivent son enseignement à
longueur de journée, mais sont presque toujours « à côté de la plaque »
« Ils ont des oreilles et n’entendent
pas, des yeux et ne voient pas »
Il ajoute,
comme un cri d’espoir :
« Que celui qui a des oreilles pour
entendre, entende ! » (Mat 13, 9 ; Marc 4, 9 et Luc 8, 8)
Concrètement
nous pouvons entendre la voix de Dieu en lisant la Bible et les commentaires
inspirés des mystiques et des pères de l’Eglise mais aussi, de manière plus
personnelle en lui demandant de nous parler à travers nos rencontres, nos expériences
de vie, le moindre petit événement, de nous guider, d’ouvrir tous nos sens à Sa
présence et à sa Voix qui sans cesse nous appellent à l’éveil.
Nous
pouvons alors développer en nous un sixième sens, un capteur spirituel, une « petite
voix » dont nous pouvons entendre le bruissement dans la brise légère de
notre vie intérieure.
A l’image de Marie qui a perçu la voix de l’ange et y a répondu sans hésiter.
Ou du prophète Samuel qui s’écrie après avoir entendu l’appel de Dieu :
« Parle, Seigneur ; ton
serviteur écoute » (1 Sam. 3)
Voilà
encore une prière, courte mais intense, un cri du cœur que nous pouvons
renouveler chaque jour. :
« Me voici Seigneur : parle, ton
serviteur t’écoute »
Quatrième
étape : se tourner vers le Christ et invoquer sans cesse l’Esprit Saint
* Il est
important de rappeler que les étapes dont nous parlons ne sont pas nécessairement
successives.
Elles peuvent être vécues de manière concomitante, et elles le sont le plus
souvent.
La prise de
conscience de la Présence de Dieu, de notre état spirituel, des pensées et
passions qui nous habitent, de l’influence du Malin, la résolution de se mettre
en chemin, la prière adressée à Yeshoua, le Christ Sauveur, et à l’Esprit Saint
Consolateur sont inséparables et peuvent être réitérés inlassablement, chaque
matin, à chaque heure du jour (et de la nuit pour ceux qui veillent).
De toute façon on n’est jamais arrivé au bout de ce chemin de vie et il faut
garder comme un bien précieux l’esprit du débutant qui, « mille fois sur
le métier remet l’ouvrage ».
Sans
oublier que le cheminement lui-même et le but du chemin sont une seule et même
réalité.
« Le
tao est la voie et la voie est le tao », disent nos frères chinois.
Nous
pouvons rappeler le rôle vital de Notre Seigneur Jésus Christ selon deux axes,
qui sont pédagogiques car, en réalité, ce qui compte avant tout, c’est de se
jeter dans Ses bras aimants en répétant cette prière continuelle, perle de
notre Tradition :
« Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie
pitié de moi pécheur ».
Ces deux approches sont :
- d’abord,
regarder le Christ vivre et agir selon la volonté divine et vivre comme
Lui, avec Lui, en nous unissant à Lui.
Le Christ
nous invite à vivre comme Lui : « apprenez de moi », dit-Il.
Et aussi :
« Je suis doux et humble de cœur » (Mat. 11, 29)
- ensuite
(mais ce n’est pas chronologique bien sûr), prendre conscience que c’est Lui
et Lui seul qui nous guérit et nous libère.
Jésus se désigne
Lui-même comme Médecin (Mat 9, 12-13) et, de fait, il ne cesse de guérir ceux qui se tournent
vers Lui avec foi. Cette guérison, si elle passe par le corps et l’âme est
avant tout spirituelle.
Il le met bien en évidence lorsqu’Il guérit un paralytique (Mat 9, 1 à 8
Développons
ces deux approches :
* Première approche :
le Christ notre modèle de vie
* Pour nous orienter dans
le bon axe, voyons d’abord comment Jésus agit, prenons-Le comme modèle
de nos pensées, de nos actes.
Toute la vie du Christ
manifeste une attitude fondamentale : le choix libre et conscient d’accomplir
toujours et en tout la volonté du Père.
« Je suis descendu du ciel non pour faire ma volonté mais la volonté
de Celui qui m’a envoyé. » (Jn 6, 38)
« Ma nourriture c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et d’accomplir
son œuvre. » (Jn 4, 34)
« Je ne cherche pas ma volonté mais la volonté de Celui qui m’a envoyé. »
(Jn 5, 30)
« S’il est possible que cette
coupe s’éloigne de moi. Mais non pas ce que je veux mais ce que tu veux. »
(Mat 26, 39 et Marc 14, 36)
* On pourrait croire - à tort – que le Christ n’a
pas de volonté propre, car Il est entièrement soumis au Père et que cela lui
aurait été « facile », car, étant Une Personne divine, Il n’avait pas
vraiment de volonté humaine – Il n’aurait pas eu le choix - mais seulement une volonté
divine, nécessairement accordée à celle du Père (et de l’Esprit).
C’est une vision fausse
de la réalité vécue par Jésus, qui a donné lieu à un débat très animé, et même
dramatique, au VIIème siècle.
Sans entrer dans les détails
il faut rappeler que certains hommes d’Eglise, soutenus par l’empereur Héraclius
puis l’empereur Constant, soucieux de se concilier les bonnes grâces des
monophysites, soutenaient qu’il n’y avait en Christ qu’une seule « énergie »
et une seule « volonté ». On a qualifié cette thèse de « monoénergisme »
et monothélisme (« monos » – seul et « thélema » –
volonté)
St Maxime le
Confesseur (qui aura la langue et
la main droite coupées pour avoir contredit cette pensée fausse !) s’est
vigoureusement opposé à cette vision tronquée de l’humanité du Verbe. Il
affirme, au contraire, que si le Christ n’est pas animé d’une volonté humaine,
Il n’est pas vraiment un homme et n’est pas réellement libre. Son humanité est
passive, théorique puisqu’en Lui, il n’y aurait eu place que pour la volonté
divine. Il ne pouvait donc choisir mais ne pouvait que se conformer à la volonté
divine.
Voici une très courte
citation de St Maxime qui illustre bien sa pensée:
« Qu’Il ait eu selon la nature (humaine) une volonté humaine tout
comme Il avait selon l’Essence (divine) une volonté divine, le Verbe incarné le
montre clairement Lui- même par son refus de la mort, refus humain exprimé par
Lui…Mais qu’en sens inverse cette volonté ait été entièrement divinisée,
consentant à la volonté divine…cela aussi est manifeste puisqu’elle a accompli,
de façon parfaite, la Volonté du Père…C’est en tant qu’homme que le Christ a
dit : que Ta volonté se fasse et non la mienne ». En cela Il s’est
donné Lui-même comme exemple et modèle pour nous afin que nous renoncions à
notre volonté propre pour accomplir parfaitement celle de Dieu. Même si, pour
cela, nous devons nous trouver face à la mort. »
Plusieurs épisodes de la
vie terrestre du Christ mettent en évidence la réalité en Lui d’une volonté
humaine qui s’accorde sans cesse avec la volonté divine.
Il s’agit, notamment, au début de sa Passion, de la scène de souffrance dans le
jardin des oliviers où sa volonté humaine aimerait repousser la mort qui s’approche
(« la coupe d’amertume») mais accepte le passage par la mort car c’est
le plan divin.
Le second épisode (le
premier par ordre chronologique) est situé avant le début de sa vie publique, c’est
celui des trois tentations au désert où l’on voit Satan proposer à Jésus de
satisfaire les passions humaines (nourrir son corps au détriment de son esprit,
soif de puissance…)
Les évangiles nous
montrent Jésus nouer sans cesse un lien intime avec le Père (Il se retire
souvent pour prier seul) dont Il scrute et accomplit la volonté, qui est de
sauver l’homme, de l’instruire des pensées divines, de le sanctifier, d’en
faire son enfant.
* Seconde approche :
le Christ libérateur, « libère l’homme pour la liberté »
Le Christ vient libérer l’homme
du péché (de son état d’égarement, de séparation, d’inconscience) pour l’éveiller
à une autre réalité plus grande, plus plénière, plus lumineuse….en un mot plus
humaine.
L’homme n’est pleinement homme qu’en Dieu puisqu’il est créé à l’image de Dieu.
« Plus l’homme est uni à Dieu, plus il devient lui-même. »
(Alphonse et Rachel Goettmann – La guérison des maladies de l’âme p. 254)
* Partons de quelques
textes de St Paul, qui a si bien parlé de cette libération apportée par le
Christ.
« Frères vous avez été appelés à la liberté. »
(Gal 5, 13)
St Paul part d’un constat :
les hommes sont esclaves de leurs désirs, de leurs passions désordonnées (dont
il donne d’amples descriptions très imagées dans plusieurs lettres (Gal 5,
19-21 notamment), en un mot, ils sont les jouets du Malin qui les manipule à
leur insu :
Les hommes « sont pris dans les pièges du diable, qui s’est
emparé d’eux pour les soumettre à sa volonté » écrit-il à Timothée (2 Tm 2,
26)
Ce texte fait penser à
cet avertissement de St Pierre :
« Veillez, car votre adversaire le diable rode autour de vous comme
un lion rugissant cherchant qui il pourra dévorer. » (1 Pi 5, 8)
Nous avons vu que St Paul lui-même constate
dans sa propre vie que sa volonté est malade car « la loi du péché habite
en lui » (Rom 7).
Un des aspects essentiels
de l’œuvre du Christ est cette délivrance des griffes de Satan
« Christ a délivré du diable ceux dont la vie était vouée à la
servitude » (Heb. 2, 14-15)
Or, poursuit-il, le
Christ vient nous « libérer pour la liberté » Gal 5,1) :
« C’est pour la liberté que Christ nous a affranchis. Demeurez donc
fermes et ne vous laissez pas à nouveau mettre sous le joug de la servitude. ».
Il précise ailleurs que c’est
du péché que nous sommes esclaves (Rom 6, 18)
« Libérés du péché et asservis à Dieu »
(Rom 6, 6-7 et 16
« Libérés du péché pour porter des fruits pour
Dieu. » (Rom 7, 4-6)
Nous libérer de la loi du
péché, du joug du Malin.
Nous libérer « pour
la liberté » écrit St Paul.
Cette curieuse formule contient une idée importante : Christ nous libère
de l’emprise du Malin en nous éveillant à une autre réalité, en nous redonnant
la liberté que nous avions perdue puisque notre liberté était confisquée par le
diable.
Nous n’étions plus
vraiment libres et le Christ nous restitue cette liberté essentielle, ontologique,
donnée par Dieu à l’être humain créé à son image.
Alors nous pouvons à
nouveau choisir Dieu, choisir la Vie, choisir Le Christ. Dans un élan d’amour
et de confiance, avoir foi en Lui pour retrouver la liberté glorieuse des
enfants de Dieu qui s’étend à toute la création, à toutes les créatures
« La création attend avec un ardent désir la révélation des fils de
Dieu. Car la création a été soumise à la vanité…avec l’espérance qu’elle aussi
sera affranchie de la servitude de la corruption pour avoir part à la liberté
de la gloire des enfants de Dieu. Nous savons que, jusqu’à ce jour, la création
tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement. Et ce n’est pas
elle seulement… « (Rom 8, 18-22).
* La Tradition nous
enseigne qu’en réalité la libération apportée par le Christ est bien plus vaste
encore que de nous délivrer du joug du péché (ce qui n’est déjà pas rien !) :
le Christ est venu franchir trois abîmes qui séparaient l’homme de Dieu :
celui des natures distinctes divine et humaine, celui du péché et celui de la
mort.
Il met fin à la séparation
des natures en S’incarnant.
Il guérit notre nature humaine blessée par le péché en la rénovant, en la recréant,
au contact de Sa divinité.
Il transforme la mort en
passage vers la Vie en ressuscitant.
« Par l’Incarnation Dieu devient homme et celui-ci acquiert les
qualités divines, sa nature malade unie à celle de Dieu se transforme.
Le Christ guérit notre nature de l’intérieur ; en y descendant, Il la libère
de ses infirmités et, en même temps, Il la régénère et l’illumine…
En y descendant, le Christ-Dieu n’écarte pas la souffrance et la mort pour
les remplacer par la Vie, c’est la souffrance elle-même qui se transforme en
chemin vers l’incorruptibilité et la mort se métamorphose en Vie.
Le vieil homme, dans sa nature corrompue a été crucifié avec le Christ. Désormais,
nous sommes libérés de l’esclavage des passions et du pouvoir tyrannique qu’avait
Satan sur nous (Rom. 6, 6 et He. 9,26)
Pas sa mort et sa résurrection, le Christ recrée l’homme et renouvelle sa
nature de fond en comble….Il nous est désormais possible de vivre selon notre
vraie nature…
Nicolas Cabasilas dit que Dieu a refondu la nature humaine comme on refait une
statue brisée ou défigurée en la mettant dans un autre moule.
Le « moule », c’est le Christ, c’est en Lui, à Son Image que l’homme
est remodelé. »
(Alphonse et Rachel Goettmann – op. cit. pages 252 et suivantes)
Nous unir intimement
au Christ nous libère et nous guérit
Cette libération totale
donnée par Notre Seigneur Jésus - dont le nom hébreux « Yeshoua »,
signifie précisément « YHWH sauveur »
- est réelle, objective, effective, définitive…mais elle reste à
incarner dans nos vies car nous conservons cette liberté fondamentale de
nous unir au Christ, d’accepter son œuvre et son amour…ou de le rejeter, de le
refuser pour suivre nos propres voies sans Lui.
Dieu ne peut sauver l’homme
sans l’homme. Il ne peut nous imposer la moindre guérison de notre être sans
notre acceptation libre, sans notre participation active.
C’est d’ailleurs tout le
sens des fêtes de l’Ascension et de la Pentecôte : Le Christ quitte
visiblement ses apôtres car Il ne veut pas les contraindre à le suivre.
Si le Christ ressuscité était
toujours visible parmi nous, quelle serait alors notre liberté de le suivre ?
Quasiment nulle car, sauf mauvaise foi ou aveuglement indécrottable, Le Christ
rayonnerait d’une telle puissance, serait tellement éblouissant que nous
serions subjugués, béats d’admiration.
Or, le Christ nous
laisse totalement libres de le suivre.
Et Il nous envoie l’Esprit Saint pour nous y aider, pour nous éclairer, pour
nous guider.
Mais, à nouveau, nous pouvons ignorer l’Esprit Saint, ne pas l’invoquer,
ne pas accepter sa Présence et son soutien puissant…pour retourner à nos
habituels errements et passions diverses.
C’est tellement plus
attirant de jouir sans limites des plaisirs de la vie, d’accumuler des
richesses et des connaissances, d’exercer du pouvoir… que de lutter contre l’inertie
spirituelle, de cultiver la sobriété, l’attention, la vigilance, l’obéissance,
de persévérer dans la prière…
* Le Christ, après avoir accompli son oeuvre
terrestre et restauré notre entière liberté, nous quitte de manière visible
pour rester invisiblement présent parmi nous.
A nous d’agir maintenant,
avec l’aide et la puissance de l’Esprit Saint, donateur de Vie, donateur de grâce,
donateur de discernement et des charismes de l’Esprit, dans cette recherche de
la volonté divine et dans ce travail spirituel d’accorder notre volonté à celle
du Père.
Car c’est bien d’un travail
personnel et collectif de chaque instant qu’il s’agit.
Un travail fondamental de
gestation, comme celui de la création « qui gémit dans les douleurs
de l’enfantement ».
Mais ce travail est aussi
une nourriture vitale pour nous.
Nous l’avons vu dans la
vie même de Notre Seigneur qui nous révèle que sa nourriture, c'est-à-dire ce
qui le nourrit, ce qui le fait vivre en profondeur, ce qui soutient son être,
ses pensées, ses paroles, son action, c’est de faire la volonté du Père.
Jésus dit aussi que ce n’est pas ceux qui disent « Seigneur, Seigneur ! »
c'est-à-dire ceux qui ceux extérieurement pieux « en ordre », qui
entreront dans le Royaume, mais ceux qui accomplissent la volonté de Celui qui
l’a envoyé (Mat 7, 21-23).
Il ne s’agit donc pas d’une
possibilité parmi d’autres, mais d’une attitude vitale pour nous qui
sommes invités à rechercher d’abord le Royaume (et le reste nous sera donné
par surcroît) (Mat 6, 33 et Luc 12, 31)!
C’est presque un pléonasme :
comment une vie spirituelle serait-elle possible sans que mon esprit soit éveillé.
Et comment mon esprit serait-il éveillé sans la grâce de l’Esprit Saint ?
L’esprit de l’homme est
cette faculté, qui m’est offerte gratuitement, d’entrer en relation intime avec
Dieu, de capter, de recevoir ses énergies incréées diffusées par le Saint
Esprit. C’est mon radar spirituel.
Si l’Esprit Saint touche
mon être intérieur, je suis transformé, je deviens attentif, paisible, fécond,
docile à la volonté divine qui m’apparaît comme le trésor le plus précieux :
« Quand
le Seigneur touche une âme, celle-ci devient toute nouvelle, mais cela n’est
compréhensible que pour celui qui en a fait l’expérience. » ( St Silouane)
Le travail intérieur est
indispensable, par l’ascèse (littéralement « exercice » en grec), la
pratique de la méditation, l’obéissance…
C’est le labour de ma
terre intérieure pour la préparer à recevoir la semence.
Mais quelle semence
peut y prendre racine sans les Semeurs divins que sont le Christ et l’Esprit
Saint ?
N’oublions surtout pas qu’Ils
ne sont pas les seuls semeurs possibles et que notre cœur peut aussi accueillir
les pensées mauvaises, les passions destructrices et, en particulier l’orgueil
qui, comme le liseron, fléau des jardiniers, développe des racines infinies. C’est
l’ivraie de la parabole.
Le Christ Lui-même nous
met en garde, par cette très utile parabole sur la maison qui a été purifiée,
nettoyée et qui est donc ouverte, disponible. Mais l’esprit mauvais qui en a été
chassé revient l’occuper avec 7 autres esprits malfaisants et la situation de
cet homme est pire que celle d’avant ! (Mat 12, 43-45):
Nous pouvons faire preuve
d’un zèle ardent, développer une pratique extérieure quasi-olympique…et être
aussi éloigné de la vraie vie spirituelle qu’une galaxie l’est d’une autre (et
en plus, elles s’éloignent sans cesse !).
C’est le grand danger de
l’orgueil spirituel :
« Le pire, disent les Pères, c’est l’orgueil spirituel, l’orgueil
de ceux qui ont déjà cheminé, qui se croient arrivés ; la conscience s’est
éveillée, elle est devenue indépendante et se met à planer au-dessus des choses
et des autres : « Ô Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas
comme les autres hommes, qui sont voleurs, malfaisants, adultères… » (Luc
18, 11)…L’orgueil spirituel se sent arrivé à la perfection, la sainteté, il se
canonise lui-même… « Croire que l’on n’est pas orgueilleux est une
des plus claires manifestations qu’on l’est
(Jean Chrysostome) (Alphonse et
Rachel Goettmann – op. cit, p. 197-
198)
* Les Père insistent inlassablement sur le
caractère vital de la grâce, des énergies divines qui nous sont communiquées
par le Saint Esprit.
St Séraphin de Sarov ne dit-il pas que le but de la vie chrétienne, c’est « l’acquisition
du Saint Esprit » ?
Le Christ annonce à plusieurs
reprises cet événement spirituel fondamental :
« Le Père vous donnera un autre paraclet : l’Esprit de Vérité. »
(Jn 14 16-17)
« Je vous enverrai l’Esprit de Vérité qui procède du Père. » (Jn 15, 26)
« L’Esprit vous enseignera toute chose. » (Jn 14 26)
« Il vous guidera vers la vérité totale. » (Jn16, 13)
Et Jésus dit aussi que le
blasphème contre l’Esprit saint ne sera pas pardonné. (Mat 12, 31)
Pourquoi ?
Il ne s’agit nullement d’une punition pour avoir transgressé un interdit, mais
d’une simple constatation : blasphémer contre l’Esprit, c’est refuser sa
Présence, son action. C’est ne pas accepter d’être éclairés, guidés, inspirés
par Lui. C’est rester dans le noir, dans un
état d’inconscience mortifère.
On peut comparer cette situation à celle de poumons qui refuseraient de se
remplir d’air et seraient rapidement gagnés par l’asphyxie.
Ou comme un cœur refusant
de pomper le sang et qui se nécroserait en quelques minutes…
* Lorsque je lis les écrits
de St Silouane (voir textes mis en annexe pour ne pas allonger ce texte), je
suis frappé par son insistance inlassable sur la nécessité d’invoquer l’Esprit
Saint et de demander les dons qu’Il nous prodigue, à tous les stades de notre
vie spirituelle .
C’est l’Esprit Saint qui
nous révèle la Présence et l’Amour de Dieu pour nous.
C’est Lui qui nous fait reconnaître et aimer le Christ.
C’est Lui qui nous donne la grâce divine pour nous guider, nous fortifier.
C’est Lui qui nous éclaire sur notre état intérieur et nous donne les larmes de
repentir.
C’est Lui qui nous ouvre
les portes de l’humilité.
C’est Lui qui nous donne la paix, la joie intérieure.
C’est Lui qui nous permet
d’aimer nos frères et même nos ennemis.
Notre âme ne peut connaître
Dieu et son amour sans le discernement du Saint Esprit.
Elle ne peut connaître la paix et la douceur de Dieu sans la caresse de l’Esprit
Saint dans notre cœur.
Sans la métamorphose de
notre être opérée par l’Esprit, comment pourrions-nous diffuser à notre tour la
paix du Christ ?
« L’âme, remplie de la paix du Saint Esprit rayonne cette paix et
la répand sur les autres…En Dieu, l’âme est calme, elle chemine comme à travers
un beau jardin…Si l’Esprit saint habite dans une âme, l’homme reconnaît en lui
le Royaume de Dieu », écrit St Silouane.
* Comment pourrait-on se passer de l’Esprit
Saint et penser qu’Il n’est qu’un adjuvant éventuel de notre transformation intérieure ?
Un ornement facultatif ? Une mouche du coche ?
Dans le chemin d’écoute
de la Voix divine, de la transformation de notre être pour être réceptif à la
volonté divine, l’Esprit Saint nous guide sans relâche si nous l’invoquons.
Bien qu’il s’agisse d’une
question essentielle (qui constitue l’aboutissement de ce chapitre) je ne m’y
attarderai pas longuement, car je crois que tout a déjà été dit.
Je me bornerai donc à
rassembler les éléments de réponse déjà évoqués et nous verrons que la réponse à
cette question est multiforme et sans doute aussi variée dans ses nuances que
la diversité de nos personnes, de nos expériences et de nos tempéraments.
* La première attitude fondamentale pour connaître
la volonté de Dieu dans ma vie, c’est de Lui demander avec foi de la
manifester.
Cette demande crée en moi
une brèche, une ouverture dans ma cuirasse. N’oublions pas ce bon mot (si juste
et si profond) de Michel Audiard :
« Il faut être un peu fêlé pour laisser passer la lumière !»
* Pour être porté à demander que la volonté du
Père se manifeste, il est essentiel d’être intimement persuadé que Sa volonté
est meilleure que la mienne et que Dieu ne veut que mon bonheur, ma sanctification.
Que je suis incapable d’imaginer et d’atteindre par moi-même au bonheur que le
Seigneur me propose.
Une telle prise de
conscience, répétée encore et encore, va progressivement créer et alimenter en
moi cette conviction féconde que Sa volonté doit prévaloir sur ma volonté
propre parce que celle-ci, souvent, m’égare dans la recherche de faux
bonheurs, de plaisirs sans issue, de désirs mortifères…
* Outre ces étapes fondamentales, il est
indispensable de préparer ma terre intérieure en développant mon œil et mon
oreille spirituels.
Si Dieu me parle (et c’est bien le cas, on peut en faire l’expérience comme
nous le montre la vie des saints et de Marie, la Mère de Dieu), il est nécessaire
que je puisse m’en rendre compte sous peine de rester aveugle et sourd à Sa
voix, à Sa Présence, à Sa Parole, à Son amour.
Comment effectuer ce travail de transformation et d’ouverture de mon être :
-
en invoquant constamment
l’Esprit Saint qui seul peut me donner la lucidité, révéler mon état spirituel,
telle une lumière qui me donne le discernement,
- en
repérant et en nommant tout ce qui en moi, fait obstacle à l’écoute intérieure :
mes peurs, mes conditionnements, mes pensées parasites, mes passions et le
travail souterrain de l’orgueil qui dresse constamment des obstacles entre
moi et l’Esprit Saint.
-
En transformant la
puissance des passions en énergie spirituelle, ce qui enferme en ce qui ouvre,
ce qui me rétrécit en me centrant sur moi-même en ce qui me grandit dans ma
vraie stature d’homme éveillé et vivant,
-
En me faisant aider
par d’autres personnes plus expérimentées, plus sages, qui ont placé Dieu
au centre de leur vie (qu’il s’agisse de pères ou de mères spirituels ou de
toute personne mise sur ma route qui peut me donner une parole de vie, m’aider
à discerner …)
* Une voie fructueuse,
recommandée par la Tradition unanime, c’est bien sûr aussi de suivre les
commandements du Christ.
De lire les évangiles,
non de manière distraite mais en demandant au Christ de me guérir, de me
parler, de m’indiquer le chemin qui Lui est agréable, de me toucher au cœur, de
me guider, avec l’aide et le discernement de l’Esprit Saint.
Cela suppose non
seulement de lire les Paroles du Christ, mais de décider de les mettre en
pratique dans ma vie personnelle, comme Lui-même le répète avec force.
* Je peux alors vivre chaque événement,
chaque rencontre, chaque expérience quotidienne, comme la meilleure
occasion de connaître et de réaliser en moi la volonté du Père.
Ne pas vivre de manière inconsciente, mais être toujours à l’affût, en éveil,
en répétant avec l’œil et l’oreille intérieurs grand ouverts :
« et ici, et maintenant,
Seigneur que puis-je faire, que puis-je dire, que puis-je recevoir, que puis-je
donner, que puis-je être pour que Ta sainte volonté s’accomplisse
en moi ? »
Chaque événement de notre vie, chaque rencontre, chaque lecture, chaque imprévu
peut nous révéler la volonté du Père s’ils sont vécus à la lumière de l’Esprit
Saint le Révélateur des pensées divines.
« Dans la simplicité du quotidien, dans l’acceptation totale de tout
ce qui est et des événements qui viennent à moi, je m’unis à la volonté de Dieu
et je l’épouse. Mon être s’offre à Dieu comme la bonne terre de l’Evangile…quand
cette terre reçoit le grain, elle s’unit à Lui, les deux font alliance si bien
que la semence se fond en elle et réciproquement, la terre vierge se fait épouse » (Patriarche Shenouda)
Nous pouvons alors dire chaque jour :
« Père révèle moi Ta volonté par la grâce de l’Esprit Saint que tu m’envoies
au nom de ton Fils Notre Seigneur Jésus. »
Ou encore, comme l’évêque
Philarète de Moscou nous conseille de le faire dans sa « prière du matin » :
« A chaque heure du jour révèle-moi quelle est Ta volonté.
Guide mes pensées et mes sentiments dans toutes mes paroles et toutes mes
actions.
Dirige ma volonté. Apprends-moi à
prier. Prie Toi-même en moi »
La
synergie
Les deux
volontés divines et humaines entrent alors en synergie comme deux rivières qui
unissent leurs eaux pour devenir fleuve.
« L’homme a deux ailes pour atteindre le
ciel : la liberté et avec elle la grâce » (St Maxime le Confesseur)
Nous ne
pouvons accomplir la volonté de Dieu qu’en y accordant la nôtre sans réserve.
Et Dieu Lui-même ne fait rien sans que l’homme, après lui avoir demandé de la
lui révéler, n’y consente.
« Mon désir que la volonté divine s’accomplisse,
car elle ne s’accomplira pas si je ne Lui demande.
Ce n’est plus l’abandon à la volonté divine : c’est notre volonté qui
parvient à la vouloir, à la réclamer » (Mgr Jean – Technique de la prière).
Mgr Jean
emploie une image parlante ; celle des vases communicants où les deux
volontés circulent, se mélangent et s’équilibrent :
« L’âme, sentant qu’elle réalise la
volonté divine, prie de plus en plus ardemment : les deux volontés
deviennent des vases communicants, le mélange ineffable s’établit parce que
nous le voulons…la volonté divine devient nôtre progressivement, et la nôtre,
celle de Dieu. » (Mgr Jean- Technique de la prière)
Nous portons en nous un germe
qui est appelé à grandir pour devenir un grand arbre.
Ce germe c’est l’Image divine appelée à s’épanouir en Ressemblance, lorsque
nous serons totalement unis à Dieu et que lui deviendrons semblables.
Nous sommes en perpétuel
devenir comme la graine qui contient en potentialité la croissance et stature d’un grand arbre.
La sève qui féconde ce germe, c’est notre volonté accordée à la volonté divine
qui nourrit notre dignité d’homme vivant.
« La gloire de Dieu c’est l’homme
vivant » (St Irénée)
St Irénée et St Jean
Chrysostome décrivent de manière poétique cette croissance sous les doigts de l’Artiste
divin :
« Ce n’est pas toi qui fais Dieu mais
Dieu qui te fait. Si donc tu es l’ouvrage de Dieu, attends patiemment la Main
de ton Artiste qui fait toutes choses en temps opportun…Présente-Lui un cœur
souple et docile et garde la forme que t’a donnée cet artiste, ayant en toi l’Eau
qui vient de Lui et sans laquelle, en t’endurcissant, tu rejetterais l’empreinte
de Ses doigts.
En gardant cette forme ; tu monteras vers la perfection, car par l’art de
Dieu va être cachée l’argile qui est en toi.
Sa Main a créé ta substance ; elle te revêtira d’or pur au-dedans et
au-dehors ; et elle te parera si bien que le Roi Lui-même sera épris de Ta
beauté. » (Psaume 44, 12)
(AH 39 , 2)
« Tel un instrument, tiens-toi prêt pour la main de l’Artiste,
Ne laisse pas tes cordes se détendre et s’amollir sous l’effet des
plaisirs.
Serre les cordes, tends-les pour le chant.
Rends-toi digne des mains très pures qui se serviront de toi.
Si le Christ se met à jouer sur son instrument,
Alors l’Esprit Saint viendra sûrement
Et le miracle qui dépasse tous les autres s’accomplira : l’Amour. »
(St Jean Chrysostome Homélie sur l’épitre aux Romains).
* Pour terminer, je voudrais rappeler deux
pièges à éviter :
Etre à l’écoute de la
volonté du Père, ce n’est pas tendre ma volonté comme un arc et vivre crispé.
Cela ressemble plutôt au « Non-agir » taoïste.
Se laisser porter par ce
qui arrive, se couler souplement dans l’ événement sans y opposer de résistance,
comme un oiseau se laisse porter dans un souffle chaud ascendant, comme un
nageur se laisse flotter dans le courant…
Le Non-agir n’est ni
passivité, ni résignation, ni paresse, bien au contraire il est attention,
vigilance et action sans réaction.
Tous ne sont pas appelés,
Dieu merci ! à opérer des miracles ou à entrer dans l’arène en chantant
des cantiques.
Ce serait bien
orgueilleux de le penser.
Il s’agit plutôt d’un
lent travail d’affinement de notre être, de réceptivité, d’écoute, d’humilité,
d’accueil patient que l’Eglise nous invite à accomplir comme le Christ, avec l’aide
puissante de l’Esprit Saint , afin que se réalise en nous, comme en Son
Fils bien-aimé, la volonté aimante et féconde du Père.
Point n’est besoin pour
cela de se perdre en paroles abondantes. Il suffit de répéter comme le
conseille St Macaire :
« Il suffit d’étendre les mains et de dire :
Seigneur, comme Tu veux et comme Tu
sais,
Aie pitié » (Apophtègmes 19)
A suivre….
*
* *
Je vous propose de
terminer ce chapitre par une prière qui développe cette demande si essentielle :
« Que Ta volonté soit faite sur terre comme au
ciel».
Père céleste, Notre père, Abba,
Que Ta sainte volonté s’accomplisse en moi,
A chaque heure du jour et de la nuit, inspire-moi
par ton Esprit Saint,
Révèle-moi Ta volonté,
Guide –moi dans toutes mes paroles, toutes mes
pensées, tous mes actes,
Parle-moi dans toutes les circonstances de ma vie
quotidienne,
Fais-moi connaître tout ce qui en moi, fait
obstacle à Ta venue,
Tout ce qui me sépare du Christ, Notre Seigneur,
Ton Fils bien-aimé,
Tout ce qui m’empêche d’entendre Sa Parole et de
la laisser prendre racine en moi.
Ouvre mon oreille intérieure pour que j’entende le murmure de l’Esprit,
Comme Marie, ton humble servante,
Mère de Dieu et Mère des hommes.
Ouvre mes yeux pour que je voie la beauté de Ton
Fils et suive avec joie ses commandements,
Ouvre mon cœur à Ta Présence aimante, Père Très
Saint qui m’aime comme son enfant.
Amen
Le Saint Esprit selon St Silouane
Ô Saint Esprit, demeure toujours en nous car
il nous est bon d’être avec Toi.
Seul un
coeur humble peut accueillir le Saint Esprit et seul le Saint Esprit nous donne
l’humilité
Jour et
nuit je demande à Dieu l’humilité du Christ. Mon esprit a soif de l’acquérir. C’est
le don suprême du Saint Esprit.
Lorsque l’âme
est humble et que l’Esprit divin est en elle, alors l’esprit de l’homme est
plongé dans la béatitude de l’amour de Dieu.
Nous
souffrons parce que nous n’avons pas l’humilité. Dans une âme humble vit le
Saint Esprit et Il lui donne la liberté, la paix, l’amour et la félicité.
Les hommes
n’apprennent pas l’humilité et à cause de leur orgueil, ils ne peuvent recevoir
la grâce du Saint Esprit, et ainsi, le monde entier est plongé dans la
souffrance.
Notre
volonté est comme un mur d’airain entre Dieu et nous, nous empêchant de nous
approcher de Lui ou de contempler sa miséricorde
Le but de
notre combat c’est de trouver l’humilité…car aux hommes, le Seigneur se fait
connaître par le Saint Esprit.
De toutes
vos forces demandez au Seigneur l’humilité et l’amour fraternel, car en échange…le
Seigneur nous donnera gratuitement la grâce du Saint Esprit….Quand nous
pleurons et humilions nos âmes, la grâce divine nous garde.
Le Christ
nous envoie l’Esprit
Il a dit :
je ne vous laisserai pas orphelins et nous voyons que réellement, Il ne nous a
pas abandonnés, mais qu’Il nous a donné le Saint Esprit.
L’Esprit
saint nous révèle Dieu et
le monde invisible
Aux âmes
humbles, le Seigneur montre ses œuvres qui sont incompréhensibles pour notre
entendement mais qui sont révélées par le Saint Esprit. Par la seule
intelligence, on ne peut connaître que ce qui est terrestre, et encore
partiellement, alors que la connaissance de Dieu et du monde céleste ne vient
que du Saint Esprit.
Au ciel et
sur la terre on ne connaît Dieu que par le Saint esprit et non par la science.
Les enfants qui n’ont absolument rien appris connaissent le Seigneur par le
Saint Esprit.
Privée de
la grâce, notre intelligence ne peut connaître Dieu, mais elle est sans cesse
attirée vers les choses terrestres, les richesses, la gloire, les plaisirs.
L’Esprit
Saint nous fait communier à l’Amour de
Dieu
L’Esprit
Saint qui est bonté et douceur attire l’âme à aimer le Seigneur
L’Amour du
Seigneur ne peut être connu que par le Saint Esprit
Par le
Saint Esprit, nous avons connu l’amour du Seigneur.
Il est
impossible d’expliquer combien le Seigneur nous aime. C’est seulement par le
Saint Esprit que cet amour peut être connu. Et l’âme, incompréhensiblement,
ressent cet Amour.
Pourquoi
Dieu aime-t-Il tellement l’homme ? C’est parce qu’Il est l’Amour en
personne ; et cet Amour, on ne peut le connaître que par l’Esprit saint.
Aucun homme
ne peut connaître par lui-même l’amour divin si l’Esprit saint ne l’instruit
pas.
C’est par
la grâce du Saint Esprit que nous pouvons aimer nos frères et même nos ennemis
L’âme qui n’a
pas connu le Saint Esprit ne peut comprendre comment on peut aimer ses ennemis
et ne l’accepte pas.
Privés de
la grâce divine, nous ne pouvons aimer les ennemis, mais l’Esprit Saint nous
apprend à aimer ; et alors, on aura de la compassion même pour les démons.
L’Esprit
Saint nous donne la joie et le repos en Dieu
D’une manière
insaisissable, l’Esprit Saint donne la connaissance à l’âme. Dans le Saint
Esprit, l’âme trouve le repos. Le Saint Esprit réjouit l’âme et la remplit d’allégresse
sur terre.
L’Esprit
saint est amour et douceur de l’âme, de l’intelligence et du corps.
Mais quand
l’âme perd la grâce, ou si la grâce diminue, de nouveau l’âme cherche en
pleurant l’Esprit Saint.
Le Saint
Esprit remplit de sa grâce l’homme tout entier : l’âme, l’intelligence et
le corps.
L’âme
reconnaît le Saint Esprit à sa paix et à sa douceur.
.La grâce
du Saint Esprit est si douce et la miséricorde du Seigneur est si grande qu’on
ne peut les décrire.
Oh !
le Saint Esprit est doux plus que tout ce qui est sur terre. C’est la
nourriture céleste, c’est la joie de l’âme.
Le Saint
Esprit nous rend forts
Le Saint
esprit, sur la terre, vit en nous et nous illumine.
IL nous donne de connaître Dieu.
Il nous donne d’aimer le Seigneur.
Il nous donne de penser à Dieu..
Il nous donne le don de la parole.
Il nous donne de glorifier le Seigneur.
Il donne la joie et l’allégresse.
Il nous
donne la force de mener le combat contre les ennemis et de les vaincre.