Homélie
XIII (1er dimanche de Carême)
SAINT
JEAN CHRYSOSTOME
« Alors Jésus fut emmené par l’esprit dans
le désert pour être tenté par le démon. »
etc. (Marc, iv, 1à 12)
1.
« Alors » : qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire,
après la descente du Saint-Esprit sur Jésus, après
que cette voix divine se fut fait entendre du ciel : « C’est
là mon fils bien-aimé dans lequel j’ai mis toute
mon affection. »
Qui
n’admirera, mes frères, que l’Esprit de Dieu ait
conduit Jésus dans le désert, afin d’y être
tenté par le démon ? Car c’est le Saint-Esprit lui-même
qui l’y a conduit. Comme Jésus était venu au monde
pour nous servir de modèle, et avait résolu pour cela
de tout faire et de tout souffrir, il veut bien se laisser aussi conduire
dans le désert, et lutter contre le démon ; afin que les
nouveaux baptisés se voyant pressés de quelques grandes
tentations après le baptême n’entrent point dans
le trouble et le découragement, comme s’il leur était
arrivé quelque chose contre leur attente, mais qu’ils souffrent
cette épreuve avec constance, comme une suite nécessaire
de la profession qu’ils ont embrassée.
Vous
avez reçu des armes, non pour demeurer dans un lâche repos,
mais pour combattre. Si Dieu n’arrête point les tentations
dont vous êtes attaqués, il le fait pour plusieurs raisons
qui vous sont avantageuses. Car premièrement il veut que vous
reconnaissiez par expérience que vous êtes devenu plus
fort. Il veut encore que vous conserviez la modestie, et que la grandeur
des grâces reçues ne vous enfle pas d’orgueil, vous
qui êtes encore exposés à l’épreuve
des tentations. Dieu permet aussi que vous soyez-tentés ; afin
que le démon qui doute toujours si c’est sincèrement
que vous avez renoncé à lui, s’assure par votre
patience que ce renoncement est véritable. De plus le dessein
de Dieu est que votre âme se fortifie par la tentation, et qu’elle
devienne aussi plus ferme que le fer.
Enfin
Dieu permet que l’ennemi vous attaque, afin que vous conceviez
par là combien est grand et précieux le trésor
qui vous a été confié. Car le démon ne vous
attaquerait point avec tant de violence, s’il ne vous voyait élevés
en un état plus glorieux que vous n’étiez auparavant.
C’est ce qui l’irrita autrefois contre Adam, lorsqu’il
le vit dans une si grande gloire. C’est encore ce qui l’irrita
contre Job de voir que Dieu même lui donnait tant de louanges.
Mais
d’où vient donc, me direz-vous, que Jésus nous a
dit : « Priez afin que vous n’entriez point dans la tentation
? » (Matth. 26, 30.) Je vous réponds que cette parole s’accorde
parfaitement avec ce que nous disons puisqu’il est marqué
dans notre Evangile que Jésus n’alla pas de lui-même
dans le désert, mais qu’il y fut conduit par l’Esprit.
Ce qui nous montre admirablement que nous ne devons pas nous jeter de
nous-mêmes dans les tentations, mais seulement les souffrir avec
courage, lorsqu’elles nous arrivent.
Et
remarquez, je vous prie, où le Saint-Esprit mène le Sauveur.
Ce n’est point dans une ville, ni dans une place publique, mais
dans le désert. Comme il voulait attirer le démon à
ce combat, il ne lui en donne pas seulement l’occasion par la
faim et par le jeûne ; mais encore par la solitude. Car le démon
attaque bien davantage les hommes lorsqu’il les voit seuls et
séparés de tous les autres. Ce fut ainsi qu’il attaqua
Eve autrefois, lorsqu’il la vit seule et séparée
d’Adam. Quand il nous voit unis avec d’autres, il n’a
pas la même hardiesse. Et c’est pour cette raison que nous
devons nous trouver le plus souvent que nous pouvons dans la compagnie
des gens de bien, afin de n’être pas si exposés aux
attaques de notre ennemi.
Ainsi
le diable va trouver Jésus dans le fond d’un désert
inaccessible, ce que saint Marc fait assez voir lorsqu’il dit
: « Qu’il était avec les bêtes. » (Marc,
1, 13.) Et considérez avec quelle malice il l’attaque,
et comme il sait prendre son temps. Il le tente non durant son jeûne,
mais lorsqu’il est ensuite pressé de la faim ; afin que
nous apprenions quel grand bien c’est que le jeûne ; que
c’est l’arme la plus forte que nous ayons pour combattre
le démon, et qu’après le baptême un chrétienne
doit plus s’adonner à la bonne chère, aux délices
des festins, mais aux jeûnes et à l’abstinence.
C’est
pour cela que Jésus jeûne ; non qu’il eût aucun
besoin de jeûner, mais pour nous instruire de notre devoir. Comme
les péchés que nous avions commis avant le baptême
avaient pour cause l’intempérance dont nous étions
les esclaves, Jésus nous commande de jeûner après
le baptême. Et il fait en cela comme un sage médecin, qui,
après avoir guéri un malade, lui ordonne de s’abstenir
de ce qui lui avait causé son mal.
Considérez,
je vous prie, combien l’intempérance a produit de maux.
C’est elle qui a chassé Adam du Paradis ; qui a répandu
sur la terre les eaux du déluge, et qui a fait tomber sur Sodome
les foudres du ciel si ce fut le péché de luxure qui,
dans ces deux derniers exemples, attira directement la punition, l’intempérance
néanmoins en fut la racine, selon qu’Ezéchiel le
remarque par ces paroles :
«
Le péché de Sodome a été l’orgueil,
l’abondance de pain, et les délices de la table. »
Ainsi les Juifs sont tombés souvent dans les plus grands crimes
par l’amour du vin et de la bonne chère.
2.
C’est pour cette raison que Jésus jeûne quarante
jours, pour nous apprendre à chercher dans l’abstinence
les remèdes de notre salut. Il ne jeûne pas plus de quarante
jours, de peur que l’excès du miracle n’empêchât
de croire à la vérité de l’incarnation. Car
Moïse et Elie soutenus de la force de Dieu ont jeûné
aussi quarante jours. Mais si le jeûne du Seigneur eût été
plus long, plusieurs auraient pu douter qu’il eût véritablement
pris notre chair.
«
Et ayant jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut
faim ensuite. » Jésus souffre la faim pour donner sujet
au démon de le tenter : il lutte le premier, pour apprendre aux
autres la manière de surmonter et de vaincre l’ennemi.
C’est ce que les athlètes font tous les jours, lorsqu’ils
veulent instruire leurs disciples à surmonter leur adversaire.
Ils combattent eux-mêmes en leur présence, afin qu’ils
remarquent dans le mouvement de leurs corps, ce qu’ils doivent
faire pour terrasser leur antagoniste. C’est ainsi que Jésus
se rend notre chef et notre modèle. Il attire le démon
au combat. Il lui fait remarquer la faim qu’il endure ; et il
ne le rejette pas lorsqu’il approche : mais après qu’il
s’est laissé attaquer, il le terrasse par trois diverses
fois avec une facilité toute-puissante.
Mais
de peur qu’en passant légèrement sur ces trois victoires,
je ne vous prive d’une instruction très importante, nous
examinerons chaque tentation en particulier, et nous commencerons par
la première.
«
Et le tentateur s’approchant de lui, lui dit : Si vous êtes
Fils de Dieu, dites que ces pierres deviennent des pains. » Cet
Esprit de malice ayant entendu la voix du ciel, qui disait clairement
; « Voilà mon fils bien-aimé, » et les témoignages
si illustres de saint Jean qui assuraient la même chose, se trouvait
dans une étrange perplexité en voyant aussitôt après
Jésus pressé de la faim. D’une part la voix du ciel
lui persuadait que Jésus n’était pas un homme et
de l’autre cette faim qu’il souffrait l’empêchait
de croire qu’il fût Fils de Dieu. C’est pourquoi dans
ce doute et dans cette incertitude il parle à Jésus d’une
manière qui témoignait assez l’agitation de ses
pensées.
Autrefois
pour tenter Eve et Adam il feignit ce qui n’était pas,
pour savoir ce qui était ; il suit encore ici la même conduite
: et ne sachant pas au vrai le mystère ineffable de l’incarnation,
il use d’un artifice qui lui paraît propre pour en découvrir
le secret. « Si, » dit-il, « vous êtes le Fils
de Dieu, dites que ces pierres deviennent du pain. » Il ne lui
dit pas, « puisque vous avez faim : » mais « si vous
êtes le Fils de Dieu, » espérant le piquer de vaine
gloire et le gagner par ces louanges. Il ne lui parle pas même
du besoin de manger où il était, de peur qu’en le-lui
représentant il ne parut lui faire quelque reproche.
Ne
comprenant pas la grandeur de cet abaissement si divin de Jésus-Christ,
il s’imaginait que cet état lui était honteux. Il
aime donc mieux le flatter avec adresse et ne lui représenter
que sa grandeur et sa dignité. Que fait Jésus ? Il réprime
cet orgueilleux, et pour montrer que l’état où il
était n’était ni honteux ni indigne de sa sagesse,
il découvre lui-même ce que le démon avait caché
pour le flatter.
«
Mais Jésus lui répondit : Il est écrit : «
L’homme ne vit pas de pain seul, mais « de toute parole
qui sort de la bouche de Dieu » Jésus ne rougit point de
marquer par ces premières paroles la nécessité
de manger, qui lui était commune avec tous les autres hommes.
Mais considérez ici la malice et l’adresse du démon,
par où il commence le combat, et comme il n’a pas oublié
ses anciens artifices. II avait déjà vaincu le premier
homme par l’intempérance, il l’avait engagé
ainsi dans une infinité de maux, et il voulait encore tendre
ici le même piége pour y prendre Jésus-Christ.
Nous voyons plusieurs personnes insensées qui déclament
contre la nécessité du manger, et qui la regardent comme
la source de tous les maux. Mais Jésus nous fait bien voir aujourd’hui
que cette nécessité même, quoique si violente, n’oblige
jamais une personne vraiment vertueuse à rien faire qui soit
indigne d’elle. Car il a faim, et néanmoins il ne fait
rien de ce que le démon lui suggère, pour nous apprendre
que nous ne devons jamais rien croire de ce que nous conseille cet ennemi.
Comme c’est par là qu’Adam a offensé Dieu,
et violé sa loi ; Jésus nous fait voir ici qu’il
ne faudrait pas écouter le démon, quand même il
ne nous porterait point à désobéir à Dieu.
Mais
que dis-je à désobéir à Dieu ? L’exemple
de Jésus vous fait voir que quand les démons vous diraient
même quelque chose de véritable, vous ne devez point les
croire. Il fit taire les démons qui publiaient qu’il était
le Fils de Dieu, saint Paul de même leur imposa silence un jour,
quoique ce qu’ils publiaient alors fût très véritable
: il les méprise et les humilie surabondamment et pour mieux
dissiper les pièges qu’ils nous pourraient tendre pour
nous perdre, il les fait taire lors même qu’ils publiaient
les dogmes salutaires de la vérité ; il leur ferme la
bouche, et il ne leur permet pas de parler.
C’est
pour la même raison que Jésus n’écoute rien
ici de ce que le démon lui propose, mais il lui répond
simplement : « L’homme ne vit pas de pain « seul,
mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ; » comme s’il
eût dit : Dieu peut d’une seule parole remédier à
la faim de l’homme et le nourrir. Et il cite un passage de l’Ancien
Testament, afin de nous apprendre que ni la faim, ni la soif, ni aucune
souffrance ne doivent jamais nous porter à nous séparer
de Dieu.
3.
Que si quelqu’un dit que Jésus devait faire le miracle
que le démon lui demandait, je lui demanderai pour quelle raison
et pourquoi ? Si le démon faisait cette demande, ce n’était
pas qu’il voulût croire lui-même, mais c’était
qu’il espérait convaincre Jésus d’incrédulité.
Ce n’es-t pas autrement qu’il trompa nos premiers parents,
et qu’il fit voir leur infidélité envers Dieu.
Il
leur fit des promesses contraires aux affirmations de Dieu, les enfla
de vaines espérances, les rendit infidèles, et leur fit
perdre les grands biens dont ils jouissaient. Mais Jésus refuse
ici au démon, et ensuite aux Juifs qui étaient poussés
par cet esprit de malice, de faire les miracles qu’ils lui demandaient,
toujours pour nous apprendre, que quand même nous pourrions lare
des miracles, nous n’en devrions point faire inutilement, ni sans
grande nécessité, et que nous ne devons point céder
au démon dans quelque extrémité que nous nous trouvions
réduits.
Que fait donc le méchant lorsqu’il se voit vaincu, et qu’il
ne peut persuader ce qu’il voudrait à Jésus lors
même qu’il est pressé d’une si extrême
faim ? Il a recours à un autre artifice.
«
Alors le démon le transporta dans la ville sainte, et le mettant
sur le haut du temple, lui dit : Si vous êtes le fils de Dieu,
jetez-vous en bas, car il est écrit : Il ordonnera à ses
anges d’avoir soin de vous, et ils vous soutiendront de leurs
mains, de peur que « vous ne heurtiez le pied contre quelque pierre.
» Pourquoi le démon commence-t-il toutes ses tentations
par ces mots : « Si vous êtes fils de Dieu. »
C’est
pour faire encore ici ce qu’il fit à l’égard
de nos premiers pères. De même qu’alors il osa leur
parler mal de Dieu en disant : « Dieu sait qu’au moment
que vous mangerez de ce fruit vos yeux seront ouverts (Gn. 3, 5) ; »
parce qu’il leur voulait faire croire que Dieu les trompait, et
qu’il n’avait point d’amour pour eux ; de même
il dit ici au Sauveur : C’est en vain que Dieu vous appelle son
fils, et il vous trompe par cette qualité qu’il vous donne.
Que si vous croyez être en effet ce qu’il vous fait croire
que vous êtes, donnez une preuve de votre puissance. Et comme
il voyait que Jésus lui avait rapporté un passage de l’Ecriture,
il en use de même envers lui, et lui cite un passage du Prophète.
Jésus
s’indigne-t-il ? s’emporte-t-il ? Non, il lui parle avec
une extrême douceur, empruntant encore sa réponse aux Ecritures
: « Jésus lui répondit : Il est écrit aussi
: Vous ne tenterez point le Seigneur votre Dieu. » (Dt. 6, 16.)
Pourquoi
? Le Sauveur nous apprend par cette conduite, que ce n’est point
par les miracles qu’il faut vaincre le démon, mais par
une patience ferme et invincible ; et que nous ne devons jamais rien
faire par ostentation et par vanité. Mais remarquez combien était
grossier l’artifice du démon, jugez-en par le témoignage
même qu’il emprunte aux Livres saints : Quant au Seigneur,
les témoignages qu’il cite se rapportent admirablement
à ce qu’il dit ; mais le démon cite des paroles
en l’air et au hasard, sans qu’elles prouvent en aucune
sorte ce qu’il en infère.
Car
ces paroles du Psaume : « Il ordonnera à ses anges d’avoir
soin de vous, » ne disent pas que le Juste se précipite
lui-même. Et de plus, elles n’ont pas été
proprement dites de Jésus-Christ, Le Fils de Dieu néanmoins
ne se met point en peine de les réfuter, quoique le démon
les eût alléguées d’une manière qui
lui était si injurieuse et si contraire à leur véritable
sens. Car ce n’est point au Fils de Dieu à faire ce que
cet esprit de malice lui conseillait alors. C’est au démon
à se précipiter lui-même ; comme c’est à
Dieu à relever ceux qui sont tombés dans le précipice.
Si
Jésus élevait montrer sa puissance, il le devait plutôt
faire, en tirant les autres du précipice, qu’en s’y
jetant. Il n’appartient qu’aux démons d’agir
de la sorte, et de se précipiter en troupe dans les abîmes.
C’est pourquoi ils tâchent de rendre les autres les compagnons
de leur chute et de leur supplice.
Cependant
Jésus ne se découvre point encore : et il parle au démon
comme un simple homme aurait pu faire. Car en disant : « L’homme
ne vit pas du pain seul. ; » ou : « Vous ne tenterez point
le Seigneur votre Dieu ; » il ne dit rien qui le puisse faire
reconnaître, et le distinguer des autres. Et ne vous étonnez
pas si le démon parlant à Jésus tourne de toutes
parts, et l’attaque de tant de manières. Comme un athlète
qui a reçu des blessures mortelles et qui perd la vue avec son
sang, ne fait plus que tourner et que s’agiter inutilement : de
même le démon après avoir reçu ces deux blessures
mortelles, na sachant plus ce qu’il doit dire, parle comme à
l’aventure, et recommence une troisième tentation.
«
Le démon le transporta encore sur une montagne fort haute ; et
lui montrant tous les royaumes du monde, et la gloire qui les accompagne,
lui dit : Je vous donnerai toutes ces choses, si en vous prosternant
devant moi vous m’adorez (8, 9). »
« Mais Jésus lui répondit : Retire-toi, Satan ;
« car il est écrit : Vous adorerez le Seigneur votre Dieu,
et vous ne servirez que lui seul. » Jésus voyant que le
démon par ces paroles offensait son Père, en s’attribuant
ce qui n’appartient qu’à Dieu, et qu’il se
faisait lui-même Dieu, et le créateur de toutes choses,
le reprend de son orgueil, quoiqu’avec douceur néanmoins,
se contentant de lui dire : « Retire-toi, Satan ; » ce qui
était plutôt un commandement qu’un reproche. Ce mot
seul, « Retire-toi, » le mit aussitôt en fuite ; et
on ne voit plus depuis qu’il l’ait tenté.
4.
Mais comment saint Luc dit-il, qu’après ces trois tentations,
« toute la tentation fut consommée ? » (Luc, XIV,
13.) Pour moi il me semble que l’évangéliste en
marquant ces trois sources principales de tentations, y a renfermé
toutes les autres. Car ce déluge de péchés qui
inonde tout le monde, n’a point d’autre source que l’appétit
sensuel, l’orgueil, et l’avarice.
L’esprit
de malice le savait parfaitement, et il met l’avarice au dernier
lieu, comme le plus puissant de tons les vices : et quoiqu’il
l’eût en vue dès le commencement de sa tentation,
il la réserve néanmoins pour la fin comme la plus forte
de toutes ses armes. C’est là l’ordre qu’il
observe dans ses combats. Il réserve pour le dernier ce qui est
le plus capable de faire tomber les justes. C’est ainsi qu’autrefois
il attaqua Job, et c’est ainsi qu’il attaque Jésus-Christ
; commençant d’abord par les armes les plus faibles, et
employant ensuite les plus fortes.
Comment
donc pouvons-nous vaincre un ennemi si redoutable ? Nous le pouvons
en faisant ce que Jésus a fait, c’est-à-dire, en
ayant recours à Dieu ; en croyant toujours, quand nous serions
abattus par la faim, qu’il peut nous nourrir d’une seule
parole ; en ne tentant point Dieu dans les biens que nous en avons reçus
; en nous contentant de la gloire du ciel, sans nous mettre en peine
de celle de la terre : et en rejetant dans l’usage des biens de
ce monde, tout ce qui passe les bornes de la plus exacte nécessité.
Il
n’y a rien qui assujétisse tant d’hommes au démon
que l’amour du bien, et le désir de devenir riches. On
ne le voit que trop tous les jours par une malheureuse expérience.
Car il y a encore aujourd’hui des personnes qui disent : Nous
vous donnerons tout ce que vous voyez, si vous voulez vous prosterner
pour nous adorer. Ces personnes paraissent hommes au dehors ; mais elles
sont en effet les instruments du démon. Nous voyons aussi qu’alors
le démon ne tenta pas seulement Jésus par lui-même,
mais qu’il le tenta encore par les hommes. « Il se retira
de lui pour un temps, » dit saint Luc, pour marquer que le démon
tenterait encore le Sauveur par les hommes qui devaient être comme
les organes de sa malice.
«
Alors le démon le laissa, et aussitôt les anges s’approchèrent
de lui, et ils le servaient (11). » Pendant que Jésus combat
le démon, il ne perm-et pas que les anges paraissent, afin de
ne le pas mettre en fuite avant que de l’avoir vaincu. Mais après
une si glorieuse victoire, les anges- lui apparaissent pour vous assurer
que toutes les fois que vous aurez vaincu le démon, les anges
viendront aussitôt pour se réjouir avec vous de votre victoire,
et pour vous accompagner, comme vos gardes et vos défenseurs.
C’est ainsi qu’ils reçurent autrefois le Lazare,
lorsqu’il sortit de la pauvreté, de la faim, et des souffrances,
comme d’une fournaise où Dieu l’avait éprouvé,
pour le transporter au sein d’Abraham. Car, comme je vous l’ai
déjà dit, Jésus figure souvent par ce qui lui est
arrivé en cette vie, ce qui nous devait arriver en l’autre.
Puis
donc que c’est pour vous que Jésus a souffert toutes ces
choses, tâchez de vaincre le démon comme lui, et ayez de
l’ardeur et du zèle pour imiter votre chef. Que si quelqu’un
d’entre les esclaves et les disciples du démon vous vient
dire : Puisque vous êtes un homme d’une si grande piété,
et d’une vertu si admirable, transportez cette montagne, ne vous
troublez point, et ne vous mettez point en colère ; mais répondez
doucement comme Jésus-Christ : « Vous ne tenterez point
le Seigneur votre Dieu. » S’il vous promet de la gloire,
de la puissance, et de grandes richesses, pourvu que vous l’adoriez,
rejetez cet offre avec une fermeté inébranlable.
Le
démon n’a pas usé de ces artifices seulement envers
Jésus-Christ, qui était le Seigneur et le roi de tous
les hommes. Il en use encore tous les jours envers nous qui sommes ses
serviteurs. Il nous attaque non-seulement sur les montagnes, dans les
déserts, et dans les solitudes, mais encore dans les villes,
dans les places publiques, et dans les lieux où la justice se
rend. Et il ne nous combat pas seulement par lui-même, mais encore
par des hommes semblables à nous.
Que
faut-il donc que nous fassions pour nous défendre ? Nous devons
fermer l’oreille à toutes les paroles de cet esprit de
malice ; ne rien croire de tout ce qu’il nous dit ; le haïr
lors même qu’il nous flatte ; et en avoir d’autant
plus d’horreur, qu’il nous promet de plus grandes choses.
C’est ainsi qu’il surprit Eve. En lui donnant de magnifiques
espérances, il la perdit et la précipita dans tous les
maux. Nous avons affaire à un ennemi qui ne se réconcilie
jamais. Il n entrepris une guerre éternelle contre nous, et nous
veillons moins pour nous sauver, qu’il ne veille pour nous perdre.
Combattons-le
donc non seulement par nos paroles, mais par nos actions ; non seulement
par la pensée, mais par notre vie. Ne faisons rien de tout ce
qu’il désire, et nous ferons tout ce que Dieu désire
de nous.
Cet ennemi nous fait de grandes promesses, non pour nous donner, mais
pour nous faire perdre ce que nous avons. Il nous offre des occasions
de dérober le bien d’autrui, afin de nous ravir l’innocence
et la justice. Il nous tend des pièges en nous promettant des
trésors sur la terre, afin de nous enlever ceux du ciel. Il veut
nous enrichir ici-bas, de peur que nous ne possédions ces richesses
éternelles. S’il ne peut nous ravir les biens invisibles
en nous promettant ceux de ce monde, il tâche de le faire par
la pauvreté.
C’est
ainsi qu’il traita le bienheureux Job. Quand il vit que les richesses
n’avaient pu le corrompre, il voulut l’abattre par la pauvreté,
s’imaginant qu’il le surmonterait par cette voie. Mais cette
prétention était bien extravagante. Car celui qui a pu
être modéré dans les richesses, sera encore bien
plus aisément ferme et patient, lorsqu’il sera pauvre.
Celui qui ne s’est pas attaché aux biens qu’il possédait,
ne les regrettera peint quand il les aura perdus.
C’est
pourquoi ce saint homme est devenu incomparablement plus glorieux par
sa pauvreté, qu’il ne l’avait été par
ses richesses. Le démon put bien lui ôter ce qu’il
avait ; mais bien loin de lui ôter cette charité dont il
brûlait pour Dieu, il la rendit encore plus ardente ; et en le
dépouillant de tout au dehors, il le combla de biens au dedans.
C’est ce qui mit au désespoir cet esprit superbe, voyant
que Job devenait d’autant plus fort, qu’il lui faisait de
plus grandes plaies.
Lorsqu’il
eut employé tous ses moyens inutilement, voyant que rien ne lui
réussissait, il eut enfin recours à ses anciennes armes,
et il se servit de la femme de ce saint homme pour le tenter. Il lui
parla par elle, se couvrant du masque de la bienveillance. Il lui représenta
avec exagération l’état déplorable où
il était, et il fit semblant de ne lui donner ce conseil détestable
que pour le délivrer de tous ses maux. Mais il ne gagna rien
encore par ce dernier artifice.
Cet
homme admirable découvrit du premier coup ce piège caché
; il s’aperçut que c’était le démon
qui parlait par la bouche de sa femme, et il la réduisit au silence
en la faisant taire.
5.
Voilà le modèle que nous devons imiter. Quand le diable
nous parlerait par nos frères, par nos amis, par notre femme,
par ceux qui nous sont les plus proches et les plus unis, pour nous
porter à quelque mal ; que l’amour que nous aurons pour
la personne qui nous parle, ne nous fasse point recevoir le mal qu’elle
nous suggère, mais que l’horreur que nous aurons du mal,
nous en donne aussi pour la personne. Le démon se déguise
ainsi tous les jours. Il prend le visage d’un homme qui compatit
a nos maux ; et lorsqu’il semble nous consoler, il nous dit des
paroles qui ne servent qu’à envenimer notre plaie. C’est
le propre du démon de. flatter pour perdre, comme c’est,
le propre de Dieu de reprendre pour guérir.
Ne
nous laissons donc point surprendre à de faux raisonnements,
et ne cherchons point, comme nous faisons par toute sorte de moyens,
à éviter les maux de la vie. C’est un oracle de
l’Ecriture que Dieu châtie celui qu’il aime. Lors
donc que nous vivons mal, plus toutes choses nous réussissent,
plus nous devons être dans la douleur. Car ceux qui offensent
Dieu doivent toujours craindre, et encore plus lorsqu ils ne sont point
châtiés de leurs offenses. Lorsque Dieu nous punit en ce
monde, il le fait en détail, et notre peine en devient bien plus
légère ; mais lorsque sa justice dissimule nos offenses,
la peine qu’il nous réserve est bien plus horrible.
Que
si l’affliction est nécessaire aux justes mêmes,
combien l’est-elle plus aux pécheurs ? Considérez
avec quelle patience Dieu souffrit l’endurcissement de Pharaon,
et avec quelle rigueur il le punit ensuite. Nabuchodonosor fut longtemps
heureux dans ses crimes, et il en fut ensuite rigoureusement puni. Et
ce riche de l’Evangile fut d’autant plus tourmenté
dans l’autre vie, qu’il avait moins souffert en celle-ci.
Il vécut ici-bas dans les délices sans être troublé
d’aucune peine, et il alla souffrir ensuite des maux effroyables
sans pou. voir trouver le moindre soulagement.
Cependant
il y a des personnes assez stupides et assez insensées, pour
aimer mieux être heureuses en cette vie et pour dire ces paroles
ridicules et honteuses. Jouissons des biens présents, et, pour
ce qui est des incertains, nous verrons quand nous y serons. Faisons
bonne chère ; ne refusons rien à nos sens ; jouissons
de la vie ; donnez-moi le présent, et je vous abandonne l’avenir.
O comble de l’aveuglement ! En quoi ces personnes sont-elles différentes
des pourceaux ? Car si le Prophète dit des adultères qu’ils
sont « des chevaux (Jr 5, 8), » qui peut nous accuser comme
d’un excès, si nous appelons ces personnes des pourceaux
et des boucs, si nous soutenons qu’ils sont plus stupides que
des ânes, puisqu’ils qu’ils appellent incertaines
des choses qui sont plus claires que ce que nous voyons de nos yeux
?
Si
vous ne croyez pas les hommes, croyez au moins ce que disent les démons,
lorsque Dieu les tourmente par sa puissance, quoique ces esprits de
malice n’aient point d’autre but dans leurs actions et dans
leurs paroles, que de nous perdre. Car vous ne doutez pas vous-mêmes
qu’ils ne fassent tout ce qu’ils peuvent pour entretenir
notre lâcheté, et pour nous ôter la crainte de l’enfer,
et la créance même du jugement à venir. Cependant,
quoiqu’ils tâchent de nous inspirer ces pensées,
ils sont souvent forcés malgré eux de crier et de hurler,
et de déclarer combien sont grands les supplices que l’on
souffre dans l’enfer. D’où, vient donc qu’ils
parlent ainsi contre leur propre volonté, sinon parce qu’ils
y sont forcés par une nécessité inévitable
?
Car
ils sont sans doute très éloignés de confesser
de leur propre mouvement qu’ils sont tourmentés par la
puissance des saints qui sont morts, ni même qu’ils souffrent
aucune peine. D’où vient donc que les démons mêmes
confessent qu’il y a un enfer, lors même qu’ils tâchent
de nous en ôter la créance, sinon parce qu’il y a
un Dieu qui les y oblige ? Et cependant vous qui êtes comblés
de tant de grâces, qui avez part à de si grands mystères,
vous n’imitez pas même les démons, et vous êtes
plus durs et plus insensibles qu’eux.
Mais
qui est revenu des enfers, me direz-vous, pour nous apprendre ce qui
s’y passe ? Et moi je vous demande : Qui est venu du ciel pour
nous dire que Dieu a créé toutes choses ? Qui vous dit
que nous ayons une âme ? Si vous ne croyez que ce que vous voyez
de vos yeux, vous devez aussi mettre en doute s’il y a un Dieu,
s’il y a des anges, s’il y a même une âme dans
votre corps. Et ainsi les vérités les plus constantes
seront effacées de votre esprit.
Je
dis plus, si vous ne voulez croire que ce qui est le plus clair, vous
devez plutôt croire les choses invisibles que celles que vous
voyez de vos yeux. Cela semble un paradoxe ; c’est néanmoins
une vérité dont toutes les personnes raisonnables demeureront
aisément d’accord. Vos yeux se trompent tous les jours,
je ne dis pas dans les choses invisibles, car ils n’en sont pas
capables, mais dans celles mêmes qu’ils voient et qui sont
les plus grossières.
L’éloignement
et la distance des lieux, la qualité de l’air, l’abstraction
de l’esprit, la passion de la colère, l’inquiétude
des soins, et mille autres choses semblables, leur sont comme autant
d’obstacles qui suspendent leur action, et qui leur font faire
de faux jugements. Mais lorsque l’oeil intérieur de notre
âme est une fois éclairé par la lumière de
l’Ecriture, il juge bien plus sainement et avec plus d’assurance
de la vérité des choses.
Ainsi
ne nous trompons pas nous-mêmes et prenons garde d’attirer
sur notre tête un feu doublement violent et pour les dogmes faux,
Que nous aurons professés, et pour la vie molle et relâchée
que nous aurons menée en conséquence, pour avoir suivi
de si fausses opinions. S’il était vrai que Dieu ne nous
dût point juger un jour ou que nous ne. Dussions lui rendre aucun
compte de nos actions, il s’ensuivrait aussi qu’il ne devrait
point récompenser les travaux des saints. Considérez donc
jusqu’où va ce blasphème qui vous fait dire que
Dieu qui est si juste, si doux et qui a tant d’amour pour les
hommes, méprisera tous leurs travaux, et n’aura aucun égard
à toutes leurs peines ? Qui pourrait croire un si grand excès
?
6.
Quand vous n’auriez aucune autre preuve, vous devriez au moins
juger de la fausseté d’une pensée si impie et si
ridicule, par ce qui se passe tous les jours dans vos familles. Quelque
cruel, quelque inhumain, quelque brutal que vous soyez, vous rougiriez
en mourant de ne laisser aucune marque de votre affection à un
serviteur qui vous aurait été fidèle. Vous lui
donnez la liberté, vous lui laissez de l’argent ; et comme
vous ne pouvez plus après votre mort lui faire aucun bien par
vous-même, vous le recommandez soigneusement à vos héritiers
; vous les priez, vous les conjurez de l’assister, et vous faites
tout ce que vous pouvez afin qu’il ne demeure point sans récompense.
Quoi,
vous, tout méchant que vous êtes, vous témoignez
tant de bonté pour un domestique ; et Dieu dont la miséricorde
est infinie, dont la bonté n’a point de bornes, négligera
ses fidèles serviteurs, ces excellents hommes, Pierre, Paul,
Jacques, Jean, et tant d’autres qui ont souffert pour lui la faim,
les prisons, les naufrages, qui ont été frappés
de verges et exposés aux bêtes, qui ont enduré des
maux innombrables et qui, enfin, sont morts pour sa gloire ? Il les
laissera sans récompense et il ne couronnera point leurs travaux
? Celui qui préside aux jeux olympiques couronne l’athlète
qui y remporte la victoire. Le maître récompense son esclave
et le prince son soldat.
Tous
les hommes généralement comblent de biens ceux qui les
ont fidèlement servis, et Dieu seul ne récompensera point
ceux qui le servent avec tant de fidélité, et qui souffrent
pour son amour tant de travaux et tant de peines ? Les plus justes donc,
les plus saints et les plus vertueux seront indifféremment confondus
avec les adultères, les homicides, les parricides et les violateurs
des sépulcres ? Qui pourrait avoir une si extravagante pensée
?
S’il
ne restait rien de nous après notre mort, et si tous nos biens
ou nos maux se terminaient à cette vie : les bons et les méchants
seraient tous enveloppés dans le même état. Et il
se trouverait même que ces premiers ne seraient pas si heureux
que les derniers : puisque tout étant égal après
la mort pour les uns et pour les autres, les méchants auraient
au moins cet avantage, de n’avoir eu que du repos et du bonheur
en cette vie, au lieu que les bons n’y auraient eu que des maux.
Mais
quel est le tyran assez cruel, quel est l’homme assez inhumain,
quel est le barbare assez dur pour traiter si cruellement ceux qui le
servent et lui obéissent ? Vous voyez assez quel est l’excès
de cet égarement, et jusqu’où nous porte ce raisonnement
impie. Quand donc vous n’auriez point sur cela d’autres
lumières, rendez-vous au moins à ce que nous vous disons.
Ayez horreur d’une si détestable pensée. Fuyez le
vice, embrassez les travaux de la vertu et vous reconnaîtrez alors
que tout notre bonheur ou notre malheur ne se termine point dans cette
vie.
Si
quelqu’un vous demande : Qui est venu de l’autre monde pour
nous apprendre ce qui s’y passe ? Répondez-lui ce n’est
pas un homme qui est venu nous en instruire. On ne l’aurait pas
voulu croire. On aurait considéré comme des exagérations
et des hyperboles tout ce qu’il nous aurait dit de cette autre
vie. Mais c’est le Seigneur même des anges qui est venu
nous donner une connaissance si précise du véritable état
de l’âme après notre mort.
Pourquoi
cherchez-vous le témoignage des hommes lorsque le juge même
qui vous redemandera compte de toutes les actions de votre vie, vous
crie tous les jours qu’il prépare le ciel aux bons, l’enfer
aux méchants ; et qu’il donne de plus des preuves constantes
de tout ce qu’il dit ? S’il ne devait pas juger un jour
tout le monde, il ne jugerait point par avance quelques personnes qu’il
punit dès ici-bas d’une manière si terrible. Car
par quelle raison quelques-uns d’entre les méchants seraient-ils
punis, et les autres ne le seraient pas ? Dieu fait-il acception des
personnes et ose-t-on proférer un tel blasphème, puisque
ce traitement si inégal de ceux qui sont également méchants
serait une erreur encore plus grande que n’est celle que nous
venons de combattre ?
Mais
si vous voulez m’écouter attentivement, je vous développerai
cette difficulté en un mot. Voici de quelle manière j’y
réponds : Dieu ne punit pas tous les méchants dès
ce monde, de peur que vous ne cessiez ou d’attendre la résurrection
ou de craindre le jugement, comme si tous avaient été
jugés dès cette vie. Dieu ne laisse pas aussi dans le
monde tous les crimes impunis, afin que vous ne doutiez point de sa
providence. Ainsi il punit quelquefois et quelquefois il ne punit pas.
Lorsqu’il punit en cette vie, il fait voir que ceux qui n’y
auront pas été punis, le seront en l’autre.
Et
lorsqu’il ne punit pas, il exerce votre foi, et il veut que vous
attendiez un second jugement sans comparaison plus redoutable que ceux
de ce monde. Que si sa sagesse et sa providence avaient jusqu’ici
laissé aller toutes choses sans y prendre aucune part, Dieu n’aurait
ni puni personne ni fait aucun bien à personne. Mais ne voyez-vous
pas au contraire qu’il a en votre faveur créé les
cieux, allumé le soleil, fondé la terre, répandu
la mer, étendu les airs, réglé le cours de la lune,
tempéré les temps et les saisons ; et qu’il a établi
dans le monde entier cet ordre admirable et éternel qui s’y
conserve par sa sagesse et par son esprit ?
Tout
ce qui est renfermé dans la nature des hommes ou dans celle des
bêtes ; tout ce qu’il y a d’animaux qui marchent et
qui rampent sur la terre, ou qui volent dans l’air, ou qui nagent
dans la mer, dans les étangs, dans les fleuves et dans les fontaines
; toutes les bêtes farouches qui peuplent les montagnes et les
vallées, toutes les semences, toutes les plantes, tous les arbres
fruitiers ou sauvages, fertiles ou stériles, et généralement
tout ce qu’il y a sur la terre, a été créé
sans peine par cette main toute-puissante, et est gouverné par
elle pour notre soutien et notre salut.
Toutes
ces créatures n’ont pas été seulement ordonnées
de Dieu pour notre nécessité et notre usage, mais encore
pour exercer la charité, et pour nous assister les uns les autres.
C’est après un si grand nombre de dons et de faveurs, dont
je ne viens de rapporter qu’une très-petite partie, que
vous osez dire que celui qui a fait pour vous tant de choses, pourra
vous oublier un jour, et vous laisser après votre mort dans le
même rang que les pourceaux et les bêtes !
Après
vous avoir prévenu de tant de grâces qui vous ont égalé
aux anges, il vous oublierait et mépriserait tout ce que vous
aurez pu faire ou souffrir pour lui ! Y a-t-il en cela quelque étincelle
ou quelque ombre de raison ? Et quand nous nous tairions en cette rencontre,
n’est-il pas vrai que les pierres même crieraient, et que
ces vérités sont plus claires que les rayons du soleil
?
Considérons
donc toutes ces choses. Soyons très persuadés que nous
comparaîtrons en sortant de cette vie devant un tribunal terrible,
où nous rendrons compte de toutes nos actions. C’est là
que nous serons condamnés si nous demeurons dans le crime, et
que nous recevrons la couronne si nous veillons sur nous-mêmes
pendant cette vie qui est si courte ; si nous nous élevons avec
courage contre ces blasphèmes et ces ennemis de Dieu, et si nous
marchons dans le sentier de la vertu, pour pouvoir paraître avec
confiance devant ce grand juge, et jouir des biens qui nous sont promis
par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
à qui est la gloire avec le Père et le Saint-Esprit dans
tous les siècles des siècles. Amen.
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