QUELQUES IDEES ET PROPOSITIONS CONCERNANT LA MISSION ET LA PASTORALE

par Franck Bouchet

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I – DES DEFIS INCONTOURNABLES

 

« La religion » à notre époque, et particulièrement la religion « chrétienne » et le catholicisme, rebutent, à tort ou à raison, un grand nombre de nos contemporains. Les causes en sont multiples. Sans rien renier des principes, il importe de comprendre ce qui fait « obstacle », chez un grand nombre de chercheurs sincères, à une adhésion, à la fois théorique et pratique, au christianisme, afin de faire la part des reproches « justifiés », des malentendus et contresens, et des résistances inscrites dans ce que nous pourrions nommer faute de mieux « la mentalité contemporaine », afin de « dégager le chemin du christianisme » pour tous ceux qui n’y voient qu’une impasse, alors qu’il pourrait constituer pour eux une réponse inattendue mais « comblante ». Nous n’aborderons pas pour le moment la situation particulière de l’orthodoxie occidentale, étant entendu qu’elle est notre chemin d’élection et qu’elle nous paraît, du fait de sa justesse et de son authenticité, constituer une voie des plus fécondes pour quiconque s’y engage.

Un détour par le passé nous semble utile afin d’éclairer le présent. En effet, la modernité présente au chrétien un paradoxe un peu déconcertant : le monde contemporain, marqué par l’individualisme, l’indifférence religieuse, le développement des sciences et des techniques et un matérialisme de fait a émergé progressivement, à partir de la Renaissance, au sein de sociétés chrétiennes, celles de l’Europe occidentale, catholique et protestante. Autrement dit, ce que nous pourrions appeler la culture moderne, née en Europe et gagnant aujourd’hui le monde entier, est à bien des égards l’héritière d’une civilisation initialement chrétienne. Quelles sont donc les raisons de cet abandon progressif ?

A – Le rejet du moralisme

La notion de « judéo-christianisme », souvent déclinée dans l’adjectif « judéo-chrétien », dont on nous rebat les oreilles et qui n’a historiquement pas grand sens a au moins le mérite de cristalliser une partie des points d’achoppement à un engagement chrétien. Dans nos sociétés, une religion ne s’hérite plus, chacun étant sommé individuellement de « donner un sens à sa vie ». L’adhésion ou non à une religion relève aujourd’hui d’un choix individuel et « privé ». Le mot d’ordre commun est d’abord de « réussir sa vie », ici-bas. Paradoxalement, en ces temps de valorisation inconditionnelle de la liberté individuelle, l’idée que nous avons à être heureux, performants, à jouir le plus possible, est un présupposé généralement admis et rarement remis en cause, en dépit de tout ce qu’il peut avoir d’aliénant lorsqu’on y prête attention.

Cet « hédonisme » implicite et général est un phénomène ambivalent mais qui a dans ses motivations sa part de justesse. Il n’est pas utile de revenir en détail sur la « morbidité » réelle qui a pu s’attacher progressivement à la pratique chrétienne, au moins en Occident, du fait de sa réduction progressive à une morale culpabilisante et condamnant la vie. Cette déviation a culminé au XIXe siècle et s’est poursuivie au siècle suivant, conduisant à un rejet massif qui s’est manifesté, par un retour de balancier dont l’histoire est coutumière, dans les différents mouvements des années 1960-1970. Bien évidemment, cette description est caricaturale, la « déviation » dont il est question n’a jamais touché la totalité des croyants, des âmes exceptionnelles ont toujours su préserver la pureté du message. Cependant, la pratique chrétienne a fini par apparaître aux yeux d’un grand nombre comme au mieux inutile, au pire abêtissante et aliénante.

L’idée que pratiquer une religion, c’est aussi « faire son bonheur », et aussi et surtout son bonheur ici et maintenant, fait sourire, alors que ce devrait être une évidence. S’il ne s’agit bien évidemment pas de vendre une religion et de la réduire à une visée utilitariste, la remarque de Nietzsche, souvent reprise par père Francis, « chrétiens, je croirai en votre résurrection quand vous aurez des têtes de ressuscités », ne laisse pas de nous interpeller. Si comme le dit notre évêque, « l’orthodoxie c’est la joie intérieure », cette affirmation n’a rien d’évident pour nos contemporains. Dieu est libérateur, et pourtant beaucoup le voient comme un gardien de prison…

B – Le rejet de « la superstition religieuse »

Le christianisme ne suscite pas seulement des résistances du fait qu’il est perçu comme aliénant. Suite à la naissance de la science moderne avec l’apparition de la physique galiléenne, la conception du monde et de l’homme sur laquelle reposait le christianisme médiéval a été battue en brèche et présentée au pire comme fausse et obsolète, au mieux comme le produit d’une croyance ou d’une adhésion « arbitraire ». La raison permettrait de déchiffrer les lois de fonctionnement du monde physique et humain, et l’adhésion à telle ou telle religion est par conséquent conçue comme un pur acte de foi, le « pari » d’un individu s’amputant volontairement de ses facultés intellectuelles. On cite ainsi inconsidérément et sans la remettre en contexte, en vue de la critiquer, la fameuse formule de Tertullien : « Je crois parce que c’est absurde ». L’idée que foi et intelligence s’opposent, ou du moins n’ont pas grand-chose ou rien à se dire est un lieu commun que nous retrouvons par exemple théorisé chez Kant. Même s’il s’agit selon nous d’une hérésie complète, qui aurait laissé les Pères très perplexes, elle est une conviction très largement partagée aujourd’hui et le christianisme charrie pour beaucoup des « superstitions » irrecevables intellectuellement.

Ainsi, la science réfuterait définitivement tout ce qui relève de l’ordre du surnaturel. Les miracles du Christ, impossible apparemment d’y croire au XXIe siècle. D’ailleurs, certains théologiens chrétiens, Bultmann par exemple, se sont faits de notre point de vue et en toute « bonne foi » les fossoyeurs de la vérité en voulant la sauver. Les miracles, ce ne serait qu’une manière pour les apôtres d’exprimer l’essence libératrice du message du Christ. La résurrection de Lazare serait ainsi, soit un symbole, dans le sens réducteur d’une métaphore, soit, pour les plus antichrétiens, un pieux mensonge proféré par des zélateurs soucieux d’asseoir leur autorité. Que dire alors du récit adamique ou des anges, sans parler de la virginité de Marie ! Les théories du « soupçon » ont ici comme ailleurs accompli leur œuvre. L’analyse critique des textes sacrés, amorcée à la Renaissance, a donné de beaux fruits et a considérablement augmenté notre connaissance des dits textes, de leur contexte de production… Mais elle a aussi conduit à un scepticisme bien établi : contradictions prétendues entre les évangiles, multiplicité supposée des rédacteurs … Bref, il ne s’agirait là que d’un texte « humain, trop humain », pour paraphraser Nietzsche.

C – L’absence de culture religieuse

Une religion morbide, tissée de superstitions… Voilà de quoi justifier que nous ne nous embarrassions pas d’un tel fardeau, sauf à être masochistes, névrosés ou stupides, si ce n’est les trois à la fois. Notons cependant qu’un tel rejet suppose qu’on ait été en contact, d’une manière ou d’une autre, avec la religion chrétienne. Or, actuellement, une bonne partie de nos contemporains, et particulièrement les moins âgés, ne l’a jamais été, et « l’inculture religieuse » est souvent considérable. Elle est d’ailleurs la plupart du temps la conséquence de l’abandon du christianisme par les baptisés des générations précédentes, qui n’ont rien souhaité transmettre de cet héritage. Ainsi, la connaissance de beaucoup de jeunes (et moins jeunes) de la religion « historique » de leur société se limite généralement à quelques notions véhiculées dans « la culture contemporaine » ou abordées à l’école, dans les cours d’histoire au collège par exemple. Question redoutable : comment s’adresser à des personnes qui non seulement sont ignorantes du christianisme, mais n’éprouvent à son endroit nulle curiosité et ne manifestent aucun « besoin » de pratique ou de croyance quelconque ? L’indifférence serait à cet égard bien pire que la haine.

D – Le rejet d’une vérité partielle et partiale

A supposer néanmoins qu’une « demande religieuse » se manifeste tout de même, pourquoi se tourner préférentiellement vers le christianisme ? Mondialisation aidant, les religions ne sont plus isolées. Il s’est d’ailleurs constitué un véritable « marché », où les individus devraient faire leur choix et trouver la vérité qui leur conviendrait le mieux. Il n’est plus possible aujourd’hui d’ignorer les autres spiritualités, et le problème est d’importance. Leur multiplicité de fait constitue apparemment un argument contre elles, car la vérité est une, ou elle n’est pas. Or les contradictions qui les opposent, au moins en apparence, abondent. Le risque est alors très grand, après avoir un peu effectué de « tourisme spirituel », de s’échouer contre le Charybde du scepticisme ou le Scylla du syncrétisme (ou saint-crétinisme !). Bref, d’opter pour l’athéisme si ce n’est l’agnosticisme, ou pour une soupe indigeste faite d’ingrédients puisés ici et là.

E – Le rejet d’une « religion extérieure » et l’espérance d’une spiritualité authentique

Le mouvement qu’il est convenu d’appeler « new age » participe de cette dernière option : s’ouvrir à tout par volonté de ne rien exclure, mais finalement risquer de ne croire en rien, en tout cas en rien de défini, et perdre son temps. Reste que l’essor du new age révèle l’existence de besoins non satisfaits par les « religions traditionnelles », besoins qu’il serait très hâtif de juger illégitimes. Certes, il est aussi le prolongement, dans le domaine spirituel, de la société de consommation, et relève souvent à cet égard davantage d’une exigence de « développement personnel » que de spiritualité véritable. Mais qu’espèrent trouver dans ce mouvement bon nombre de chercheurs sincères, dans une époque où les églises, à l’instar de toutes les institutions, sont en crise et font l’objet d’une défiance en partie justifiée ?

Les cérémonies religieuses donnent parfois le sentiment qu’il s’agit davantage lors des célébrations de manifester l’adhésion purement formelle à des dogmes que de grandir humainement et spirituellement, comme si la participation à la messe du dimanche était l’unique viatique nécessaire pour gagner le paradis et permettait de retourner tranquillement à son quotidien, confortés dans l’assurance d’une destinée posthume favorable. Il y est souvent davantage question d’engagement social que d’engagement spirituel, les actes concrets de charité semblant constituer l’essentiel de la pratique. Les réformes instituées par Vatican II, nonobstant la pertinence de nombreuses décisions, ont nous semble-t-il considérablement appauvri la liturgie, au prétexte de la purifier. De nombreux symboles et instruments rituels ont purement et simplement disparu, lorsqu’ils n’ont pas été remplacés par des éléments plus profanes que sacrés, comme des chants qui, quelle que soit leur beauté éventuelle, n’ont plus rien à voir avec le chant grégorien et leur qualité « intériorisante ».

Qu’il me soit permis de partager ma propre expérience à titre d’illustration, étant entendu que les appréciations suivantes n’engagent que moi et n’enlèvent rien à mon ancrage dans la tradition catholique, à laquelle je ne me sens pas moins appartenir depuis que j’ai rejoint notre église, membre à part entière de l’Eglise universelle. Après m’être contenté pendant de nombreuses années « d’avoir la foi », j’ai éprouvé le besoin impérieux de renouer avec la pratique religieuse. Me sentant viscéralement chrétien, j’ai assisté assidûment aux messes dominicales de l’église catholique la plus proche de mon domicile. Cela m’a nourri, mais une demande intérieure restait, lancinante.

Le culte me donnait une pénible impression d’horizontalité et je ne voyais pas bien l’intérêt de répéter à chaque homélie une citation de John Fitzgerald Kennedy : « ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays ». J’ai alors décidé d’assister à la messe catholique « traditionnelle » célébrée chaque dimanche dans une église de la ville. La beauté et la solennité de la messe en latin m’ont saisi, mais les homélies m’ont douloureusement écorché les oreilles : tantôt il était question du pacte du prophète Mahomet avec Satan et des musulmans qui rendent grâce à Dieu en se mettant à quatre pattes, tantôt du très faible pourcentage de catholiques vraiment catholiques…

Je m’attendais à tout moment à entendre sonner les trompettes de l’apocalypse, et à voir s’engouffrer dans l’abîme éternel tous les non-catholiques, ainsi que les mauvais catholiques, dont je craignais fort de faire partie… Bien entendu je n’invente rien. Finalement, j’eus l’impression d’avoir à choisir entre une église catholique majoritaire composée de croyants sincères et tolérants mais surtout soucieux d’engagement social, et une minorité d’intégristes dont la beauté du rite s’arrangeait d’une fermeture d’esprit bien peu évangélique. J’eus à ce moment la chance de découvrir l’existence dans ma ville d’une paroisse de l’église des Gaules…

Pour en revenir à notre sujet, rien d’étonnant à ce que de nombreux « chercheurs » ne se reconnaissent pas dans les religions instituées, du fait que « l’intériorité » y soit apparemment laissée en jachère et qu’une adhésion molle et non réfléchie à des dogmes ne les satisfasse pas davantage. Une religion véritable s’adresse à l’homme total, esprit, âme et corps, en vue d’opérer une conversion au sens fort du terme. Si la confusion entre psychique et spirituel paraît caractériser le new age, si l’intérêt qui s’y manifeste pour le paranormal nous alerte à bon droit, ce mouvement nous semble aussi exprimer une exigence fondamentale : celle d’une religion authentiquement « initiatique », si l’on oublie d’associer à ce terme les connotations péjoratives lui étant habituellement attachées, une religion qui ne soit pas humano-humaine mais offre à l’homme les moyens de commencer à réaliser dès maintenant sa vocation, qui n’est ni plus ni moins que « la déification de l’homme », pourvu que l’on prenne au sérieux la formule si heureuse de Saint Irénée : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme se fasse Dieu ».

Nulle exaltation de l’ego ici, c’est au contraire l’humilité parfaite qui prépare la déification. Depuis la proclamation de « la mort de Dieu » au XIXe siècle et le douloureux constat que l’homme ne se suffit pas à lui-même, le spectre de la surhumanité hante l’Occident. Il apparaît en filigrane de l’œuvre de Rimbaud, au détour d’une lettre de Flaubert, dans les illusions des « Démons » de Dostoïevski. Il a nourri les totalitarismes du XXe siècle. Il nourrit aujourd’hui l’idéologie transhumaniste qui voit dans la science le moyen de cet accomplissement. « Corde tendue entre la bête et le surhomme, - une corde sur l’abîme », nous dit Nietzsche de l’homme. Mais le dépassement qu’il propose n’est jamais qu’une absolutisation de l’ego individuel et partant est voué à l’échec. Sous les apparences d’une marche triomphale sur la route du progrès, l’histoire de l’occident révèle l’émergence puis l’extension d’un nihilisme foncier. A la conscience horrifiée de l’absurdité du monde semble succéder aujourd’hui l’acceptation plus ou moins béate du fait que le monde n’ait pas de sens

II – DES REPONSES NECESSAIRES
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Résumons-nous : à l’issue d’une évolution pluriséculaire, le rejet de la religion chrétienne conçu initialement comme une libération laisse un goût de cendres à quelques-uns de nos contemporains, les autres faisant au mieux avec « l’urgence du moment », les difficultés et les sollicitations du quotidien, tous adhérant plus ou moins aux valeurs et mensonges du jour. Le christianisme fait l’objet d’un rejet important, plus ou moins accusé, du fait qu’il est conçu, c’est selon, par les uns comme aliénant, faux ou « métaphorique » et ni plus ni moins valable que les religions « concurrentes », ou par les autres, épris d’absolu ou d’indépendance, comme trop horizontal ou dogmatique - à moins qu’il ne suscite simplement l’indifférence.

A – L’illusion d’un retour au passé, et l’impasse du moralisme

Le retour à un passé mythifié, celui d’un Occident chrétien, peut tout au plus nourrir une nostalgie ou motiver des imprécations, mais ne saurait constituer un objectif sérieux, réaliste et souhaitable. Dieu a crée l’homme à son image et pour sa ressemblance, il l’a créé libre. Une religion ne s’impose pas, quand bien même elle peut s’hériter. Si l’on peut admirer la grandeur d’une institution telle que la royauté sacrée, si incomprise aujourd’hui et dont la mission de Jeanne d’Arc fut de rappeler le sens profond au moment même où celui-ci s’obscurcissait, c’est aujourd’hui à la liberté des individus que le message doit être adressé. Nulle part dans les Evangiles on ne voit le Christ convertir un homme de force.

Et le passé « totalitaire », inquisitorial, la complicité avec certains des crimes du colonialisme que l’on peut à bon droit « reprocher » à certaines églises historiques pèsent aujourd’hui suffisamment sur elles pour nous inspirer la vigilance. Le Christ s’adresse aux personnes, pas aux masses. De ce point de vue « le lobbying » pour infléchir la législation concernant l’avortement ou le mariage homosexuel espère davantage de l’autorité de l’Etat que des consciences individuelles. Il fait écho au tristement célèbre « Politique d’abord » de Charles Maurras. Un an après son cent-dixième anniversaire, la loi de 1905 dite de séparation de l’Eglise et de l’Etat n’a apparemment toujours pas été acceptée par la totalité des croyants, alors qu’elle a eu le grand mérite de donner une véritable indépendance aux églises, en les écartant d’affaires trop temporelles et en les ramenant à l’essentiel de leur mission.

De plus, les militants « chrétiens » les plus acharnés font peu de cas, à grand coup d’anathèmes contre les uns ou les autres, de la miséricorde divine en ignorant « superbement » les situations individuelles. Bien entendu il n’est pas dans notre propos de justifier par exemple l’avortement ou d’en faire un acte anodin, mais exprimer le point de vue chrétien sur la question implique d’essayer de se faire entendre, et encore une fois de s’adresser à la conscience de chacun dans le respect des personnes, et non à des damnés en puissance. La focalisation exclusive sur certaines questions de société donne souvent l’impression que les églises n’ont à offrir qu’un discours moral, voire politique, pour ne pas dire réactionnaire dans certains cas : la question du mariage homosexuel mobilise apparemment bien davantage que celle du désert spirituel de notre temps, question ô combien plus cruciale, quand bien même on nous rétorquera que la première relève de la deuxième.

La multiplication des agressions homosexuelles consécutive à l’âpreté du débat n’a d’ailleurs pas beaucoup ému certaines consciences « chrétiennes ». Alors même que certaines églises « installées » disposent d’un trésor spirituel inestimable, il semble qu’elles se soucient peu de le faire découvrir, au point qu’on finit par se demander s’il apparaît vraiment précieux à ceux qui en sont les dépositaires. Tout cela peut peut-être donner l’impression qu’elles ont encore leur mot à dire et permettre d’occuper quelques strapontins sur les plateaux de télévision, mais paraît plutôt relever des soucis du siècle que de celui du ciel. Maudire le port du préservatif tout en protégeant des prêtres pédophiles ou en encourageant les prêtres à se marier, mais discrètement, et en ouvrant les coffres de la banque vaticane à la mafia en vue de financer le combat anticommuniste en Amérique du Sud, voilà qui ne paraît pas propre à susciter les vocations. Nous ne réduisons pas l’œuvre de Jean-Paul II à ces quelques faits, mais n’inventons malheureusement rien.

B – Une parole qui rejoint les hommes dans leur profondeur et non des discours qui s’adressent aux masses

Il est vain d’espérer faire naître, à l’échelle d’une société entière, « une demande religieuse », là où la publicité suscite quotidiennement de nouveaux besoins alimentant la folie consumériste. Ici aussi, l’individualisme a fait son œuvre. De ce point de vue, une entreprise d’évangélisation qui se calquerait sur les pratiques du télémarketing ou celles plus anciennes du démarchage à domicile nous paraît bien peu souhaitable et inefficace. Il ne s’agit pas de « faire du chiffre », comme si le règne de la quantité n’était pas suffisamment assis. La « taille » de nos paroisses nous rappelle d’ailleurs à la réalité. C’est la profondeur du message qui importe, et la liberté des individus qui doit être sollicitée. Or, comme nous l’avons dit plus haut, chacun est aujourd’hui « sommé » implicitement de donner un sens à sa vie, quand bien même cet appel ne se présente pas clairement.

« La mise en chemin spirituelle », Dürckheim et d’autres l’ont vigoureusement rappelé, s’effectue dans des moments de crise et d’épreuve : le deuil, les séparations, les échecs professionnels et autres, les succès qui laissent un goût d’inachevé, les dépressions… Le désir de Dieu peut avancer masqué, et se manifester d’abord par un besoin viscéral d’aller mieux. Chercher Dieu, c’est souvent ne pas savoir ce qu’on cherche, et ne pas savoir ce qu’on cherche, c’est souvent chercher Dieu. Ce sont des impasses contemporaines que peut naître chez certains une étincelle de foi. Le témoignage d’Olivier Clément, dans l’Autre soleil, et de beaucoup d’autres, est à cet égard éloquent. Cette recherche est d’une urgence ou d’une exigence très variables en fonction des individus et Saint Paul distinguait déjà entre les « corporels », « les hyliques » et « les spirituels ».

Cette catégorisation n’implique nulle condescendance ou simplification massive, nous relevons tous de ces trois « ensembles ». Mais l’essentiel est de prendre conscience que notre époque, étant ce qu’elle est et pour ainsi dire malgré elle, offre aussi sa part d’opportunités sur le plan spirituel, pour les individus comme pour le « collectif ». Tous les hommes ne se résignent pas à n’être que des producteurs-consommateurs, loin s’en faut. La nostalgie de l’Absolu subsiste, au cœur de l’humain, et « le sens du sens » ne peut disparaître de la créature.

C – Une liturgie vraiment divine

Ainsi, s’il importe qu’existe « sur la place publique » une parole chrétienne, et, en ce qui concerne plus particulièrement notre église, une parole orthodoxe occidentale, cette parole ne peut être qu’une invitation à se mettre en chemin. Il est peu probable qu’un individu franchissant la porte d’une église aussi « atypique » que la nôtre (et je me rappelle à ce propos ma perplexité lorsque j’ai découvert sur internet le site de ma paroisse actuelle) vienne y chercher un discours « horizontal », quand bien même il peut attendre un réconfort ou un secours. Une église est d’abord un lieu de rassemblement pour le culte, étant entendu que cette fonction n’est pas exclusive. Une religion véritable s’adresse à tout l’homme, dans sa verticalité, à tout son être, à toutes ses facultés. On l’oublie trop souvent, mais tel est bien le cas de la liturgie, qui engage la personne entière, s’adresse à ces cinq sens (par l’encens, le baiser, les chants, les icônes, la manducation du pain…) et sollicite le corps, par les gestes rituels notamment, ainsi que l’âme, pour les élever et les rassembler dans l’esprit.

Les symboles présents dans la liturgie n’ont rien d’arbitraire ou de « métaphorique », ils présentifient et transmettent l’énergie divine. Nous sommes d’abord saisis par la beauté d’une liturgie avant d’en comprendre le sens, et cette beauté n’a rien d’hasardeux, elle est le rayonnement de la vérité. Nous ne pouvons développer ce point essentiel ici, mais il est indispensable d’en dire un mot : la liturgie est tributaire de l’anthropologie « trichotomique » et de la cosmologie « traditionnelles », bien commun de toutes les religions authentiques, qui distinguent et hiérarchisent dans l’homme l’esprit, l’âme et le corps, et dans l’ordre cosmique le monde angélique, subtil et physique. Cette conception fut celle de Platon (les Anges jouent le rôle des « idées platoniciennes » dans la cosmologie biblique), qui inspira la théologie des Pères avant qu’Aristote ne le supplante avec Saint Thomas d’Aquin et les développements ultérieurs de la scolastique.

La notion de symbole prend alors toute sa portée : au sens fort du terme, il ne s’agit pas de ce qui a une valeur purement « symbolique », tel le franc symbolique attribué en dédommagement, mais d’un élément qui dans l’ordre physique fait signe vers un degré supérieur de réalité qu’il présentifie. Ainsi, chaque « partie » du cosmos est un symbole, une théophanie, qui nous élève, de degré en degré, vers Dieu. L’univers manifeste Dieu, en même temps qu’il le voile, d’où l’ambigüité du symbolisme, qu’il importe de saisir afin de comprendre que « science moderne et religion traditionnelle », pour reprendre un titre de Titus Burkhardt, ne s’opposent pas : il est possible « d’intégrer » la science moderne à une conception « traditionnelle » du monde. Cela rejoint l’apparente contradiction, qui est en fait une complémentarité, entre théologie cataphatique et apophatique.

Le soleil, par exemple, est bien le symbole physique du Christ et le manifeste d’une certaine manière. Cette valeur symbolique est pour ainsi dire « naturelle », elle prend sa source dans la perception naïve mais bien réelle que nous en avons : il se lève à l’est et se couche à l’ouest, trône au zénith, procure lumière et chaleur… Mais la science physique et l’astronomie nous rappellent que ce symbole, s’il « est » le Christ, ne s’identifie pas à lui : il y a une myriade de soleils dans l’univers, et le nôtre n’est qu’un petit astre parmi une quantité d’autres… Le symbolisme est ouverture du cosmos vers ce qui le dépasse et le fonde, sa connaissance ouvre pour nous le grand livre de la Création. Cette connaissance n’est pas mentale, mais nous touche au cœur de notre nature divino-humaine.

Le fait que la « divine liturgie », pour reprendre le beau titre du livre de Jean Hani, soit le produit d’une élaboration lente et progressive, peut donner l’impression d’une construction arbitraire, d’un patchwork fait d’emprunts aux traditions juives et antiques. Il n’en est rien : une « religion » authentique est un message adressé par Dieu à une humanité particulière à une époque précise. Que le christianisme partage un fonds commun à d’autres traditions n’a rien d’étonnant : il a « repris » tout ce qu’exigeait la « mise en œuvre » de la révélation christique. Les symboles « sélectionnés » le sont sur la base d’une véritable science, qui s’appuie sur la nature propre des éléments choisis (le pain, le vin…) et les « besoins propres » de la religion chrétienne. Rien d’étonnant à ce que les traditions se fassent écho les unes les autres, le symbolisme est universel.

Comme le dit Saint Irénée, « Il n’y a qu’un seul et même Dieu Père, et son verbe est de tout temps présent à l’humanité, quoique par des dispositions diverses et des opérations multiformes, sauvant depuis le commencement ceux qui sont sauvés, c’est-à-dire ceux qui aiment Dieu et selon leur époque suivent son Verbe ». Nous pourrions multiplier en écho à cette affirmation certaines paroles des Pères, d’Origène à Saint Augustin. Nul relativisme ici, nous y reviendrons. L’essentiel est de voir que les liturgies chrétiennes authentiques sont le « produit » d’une « décantation » de traditions préexistantes fondues dans le creuset de la révélation évangélique, sous l’impulsion de grandes figures inspirées par l’esprit et nourries de l’Ecriture. Ces liturgies diffèrent dans le détail puisqu’elles manifestent le « génie propre » d’un peuple mais sont universelles par leur origine et leur « contenu » divins. C’est le sens profond de l’orthodoxie, « l’unité dans la diversité ».

C’est aussi, peut-être, le sens et la vocation de l’Eglise des Gaules : par-delà des siècles de « christianisme historique », retrouver sans passéisme ni exclusivisme les rites et la foi d’une Eglise enracinée dans un sol et une culture, mais partie prenante de l’Eglise indivise des premiers siècles et « baptisée » dans l’esprit des Pères, avant que ne s’installe avec Charlemagne et ses continuateurs une volonté d’uniformisation et de normalisation. La « taille » même de nos communautés les rapproche des églises des premiers siècles et favorise la redécouverte de cette source.

L’ecclésiologie amène à redécouvrir les conditions et les modalités qui assuraient à ces églises des commencements leur jeunesse et leur vitalité, et nous rappeler que l’esprit prévaut sur la lettre, lettre à mettre au pluriel si l’on songe aux tonnes de textes qu’on suscité un juridisme tatillon, qui a surtout nourri les querelles de chapelle et grandement obstrué l’ouverture à l’esprit. De ce point de vue les vicissitudes de notre église constituent peut-être un mal pour un bien, en nous délivrant d’un souci purement formel de reconnaissance pour nous axer, avec la grâce de Dieu, sur l’essentiel.

Ce retour aux sources est aussi un retour possible à une religion qu’on a jugée trop « populaire » et vidée de sa substance sous prétexte de superstition : le culte des reliques et des saints locaux, les pèlerinages et les processions, qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Le christianisme y a beaucoup gagné en abstraction pour finalement y perdre énormément en réalité, sans pour autant et c’est un euphémisme reconquérir les fidèles qu’auraient fait fuir ces superstitions. La redécouverte des saints locaux, notamment ceux de Provence par notre église sœur l’Eglise Orthodoxe de France, les pèlerinages organisés par Béthanie renouent le lien entre les fidèles et les saints à même de jouer à nouveau le rôle d’intercesseurs qu’on leur avait dénié, tout comme Monseigneur Jean avait su renouer avec les saints « français » après son émigration de Russie.

Ce que notre liturgie peut offrir aux fidèles, c’est donc un retour aux sources, véritablement « révolutionnaire » à notre époque, où la justesse de vérités et de pratiques jugées dépassées peut éclater à nouveau au grand jour, au regard des tribulations diverses qu’a connues le christianisme et qui ont débouché sur les impasses présentes. De ce point de vue, « édulcorer » notre liturgie en vue de l’adapter aux besoins du jour est un non-sens. Si l’orthodoxie est une porte ouverte vers la joie intérieure, cette dernière n’est pas l’autosuggestion bêlante des cantiques façon chansons de colonies de vacances qui font l’ordinaire de certaines célébrations chrétiennes.

Les veillées musicales autour d’un feu à l’écoute d’une chanson accompagnée à la guitare existent déjà sans qu’il y ait besoin d’églises pour cela. La tradition, toujours neuve et « renouvelante » lorsqu’il s’agit vraiment de la tradition et non de ses rameaux partiels et sclérosés, nous offre toutes les ressources nécessaires pour s’ancrer dans cette joie intérieure. Pour prendre l’exemple de l’art sacré, qui n’est pas à confondre avec l’art religieux et encore moins profane, s’il y a bien création, c’est par l’effacement de l’ego qu’elle est réalisée, par une ascèse ouvrant la porte à l’esprit saint et le respect de règles rigoureuses qui permettent et garantissent la « descente » des énergies divines.

Une icône en tire toute sa valeur, elle présentifie réellement une énergie céleste, et n’a rien à voir avec une fantaisie de l’ego étalant sa subjectivité, quand bien même un « style » singulier s’y exprime nécessairement par surcroît. Ce nécessaire respect de la tradition n’exclut pas certaines « innovations » lorsque celles-ci enrichissent et « actualisent » la tradition : l’harmonisation des chants est d’invention récente, mais parfait encore la beauté et la cohérence des célébrations et à ce titre a suscité un travail considérable de la part de Maxime Kovalevsky et ses continuateurs. La liturgie est participation réelle au sacrifice éternel du Christ, auquel participe toute la création, des pierres aux anges, et ne se limite heureusement pas à un simple mémorial célébré dans le temps. Il rend aux hommes sa dignité de « peuple royal », grâce et non en dépit d’une hiérarchie « au service » des fidèles (chœur, pupitre et nef), dans une participation qui n’a rien à voir avec celle d’un spectateur assistant à une pièce de théâtre. L’assemblée est actrice.

Liturgie cosmique également, selon l’expression de Maxime le Confesseur, qui renoue avec le cosmos et la création, grâce notamment à la réhabilitation du symbolisme, qui sanctifie l’univers dans sa dimension de manifestation divine et s’inscrit dans le cycle des saisons. Pensons au début du cantique des créatures dans le livre de Daniel, que nous chantons aux laudes, à Hildegarde de Bingen, à Saint François d’Assise et à son cantique des créatures...

Toute la création est louange de Dieu et la blesser c’est blesser le Créateur. Lors des repas, ce sont les dons du seigneur que nous bénissons. Rappeler la nature et la vocation de l’homme fait à l’image de dieu et pour sa ressemblance, restaurer sa dimension de pontifex, c’est le relier à l’univers entier, lui redonner les clés d’un cosmos où il se sent prisonnier à force de l’avoir objectivé, mathématisé et exploité à son profit pour ne plus y trouver que des choses inertes ou son pauvre reflet. « L’homme maître et possesseur de la nature » souhaité par Descartes est le produit d’une ontologie dualiste, à l’opposé du récit de la Genèse où l’on a voulu voir une préfiguration du technicisme sous prétexte de la position « privilégiée » accordée au premier homme.

D – Une religion vraie

Mais, nous objectera-t-on, la vision du monde qui sous-tend ces conceptions est dépassée depuis longtemps et la science moderne en a montré les limites. Cette remarque est d’autant plus à prendre en compte que l’éducation s’est démocratisée : le « niveau intellectuel », quoiqu’on en dise, a augmenté. Autrement dit, beaucoup de chercheurs sincères ont viscéralement besoin de satisfaire aux exigences de leur intelligence, particulièrement dans une époque où le péché capital est de passer pour un imbécile, et c’est sincèrement qu’ils peuvent rejeter le christianisme, parce qu’il leur paraît tout simplement faux.

L’athéisme peut être aussi une étape sur le chemin et un temps de purification, lorsqu’il exprime une exigence de vérité, et n’est pas à confondre systématiquement avec une perversion intellectuelle. Notre tiédeur occasionnelle devrait nous inciter à l’humilité. Le chantier est considérable, et les « résultats » ne peuvent qu’être modestes, mais dans ce domaine il convient de mettre la barre assez haut, car la vérité est « totale » ou elle n’est pas.

Un tri dans les vérités de la foi passées au crible de la science moderne nous paraît une impasse. Personnellement, je ne vois pas bien quel sens peut avoir la croyance en Dieu si on lui dénie la possibilité d’accomplir des miracles. La pousse du moindre brin d’herbe est déjà un miracle, pour peu qu’on s’y arrête, le miracle de la vie dans sa simplicité et sa complexité inouïe s’y manifeste déjà tout entier. L’essentiel à retenir est que l’idée qu’on se fait habituellement de la science aujourd’hui est totalement erronée. Difficile de justifier cette affirmation en quelques mots…

En simplifiant, disons que beaucoup de prétendus scientifiques ne se comportent pas de fait en scientifiques lorsqu’ils rejettent des phénomènes attestés qui contredisent leurs options idéologiques, reniant ainsi le principe même de la probité scientifique. L’arrière-pensée de beaucoup de « scientifiques » (pas tous heureusement), est de se passer de Dieu dans l’explication des phénomènes. Lorsqu’on se penche un peu sur ces questions, l’idée d’un univers fruit du hasard, l’évolutionnisme et d’autres théories admises a priori sont des châteaux de cartes. En l’occurrence, il convient d’être humble, prudent et d’une grande rigueur (« habiles comme des serpents et doux comme des colombes »), c'est-à-dire qu’il faut être capable d’argumenter tout en sachant qu’on sera très rapidement, et sans même qu’on nous fasse la grâce de nous écouter vraiment, rejetés dans le champ de l’obscurantisme.

Malheureusement, les crétineries des évangélistes américains (un univers âgé de 6000 ans, une lecture littérale de la Bible) encouragent à peu de frais la tendance à ramener toute position créationniste vraie dans le camp de la débilité mentale pure. Ajoutons que la science elle-même est « en crise », la physique quantique a bouleversé les conceptions positivistes les plus installées, il y a déjà un siècle, mais le dogmatisme est la chose du monde la mieux partagée, et les « scientifiques » n’échappent pas à la règle. En ce domaine, il ne faut pas espérer convaincre, auquel cas on risque fort de sombrer dans la colère et le ressentiment, mais simplement témoigner de faits, sachant qu’ils pourront progressivement fissurer certains murs de préjugés barrant la route à la croyance en Dieu.

Concernant la « critique textuelle », des chercheurs récents, et je pense particulièrement à Pierre Perrier, ont fait un travail considérable et vraiment scientifique, montrant que les « preuves » réduisant les évangiles à un montage plus ou moins habile ne sont que des hypothèses gratuites, et que les voir pour ce qu’ils sont, le témoignage rigoureux de contemporains, est « l’hypothèse » la mieux étayée. Le présupposé suivant lequel il y aurait une approche purement neutre d’un texte, absolument scientifique, non conditionnée par une « idéologie » ou des convictions initiales, nous paraît une naïveté. Lire les Evangiles avec le regard de la foi, c’est se donner la possibilité d’y découvrir les trésors inépuisables de la parole divine. Les lire avec le regard du doute, en se demandant par exemple si tel ou tel verset est authentique, garantit qu’on n’y verra rien d’autre qu’une production humaine. Encore une fois, l’idée qu’il pourrait exister une neutralité axiologique en ce domaine est un leurre, et il est bien plus honnête en ce cas d’assumer ses options propres.

La nôtre est que nous n’avons en fait pas à choisir entre réalité et symbole : les évènements relatés dans les Evangiles sont à la fois authentiques, c’est-à-dire qu’ils se sont réellement déroulés, et symboliques, en ce qu’ils manifestent et actualisent « une intention divine », une réalité prototypique transcendant notre univers spatio-temporel, qui appelle l’interprétation. A ce propos, Jean Borella nous rappelle, dans Un homme une femme au paradis, où il expose son interprétation lumineuse de la Genèse, que les dogmes chrétiens ne sont pas ce que l’on imagine communément, c’est-à-dire des affirmations verrouillées par l’argument d’autorité de l’église. Ils sont l’énoncé « du substratum » présent dans les Evangiles (par exemple le dogme trinitaire, celui des deux natures du Christ...) fixé par la « Tradition » et à partir duquel le travail d’interprétation et l’exercice de l’intelligence humaine, guidée par l’esprit saint, sont possibles.

Les dogmes donnent à penser, et même exigent qu’on le fasse, afin d’être compris et assimilés par nous, ils sont tout le contraire d’une censure de l’intelligence. Dieu ne l’a pas donnée à l’homme pour qu’il s’en débarrasse, mais pour qu’il découvre « la vérité qui rend libre ». Que les églises aient pu devenir dogmatiques, en un sens cette fois péjoratif, qu’elles le soient encore, que cela ait conduit ou conduise encore à des catastrophes, et qu’il n’y ait rien là d’évangélique, nous en sommes également certains. Si Dieu a voulu humilier l’intelligence, c’est seulement lorsqu’elle est inspirée par l’orgueil.

La raison ne peut fonctionner « toute seule », elle travaille toujours sur un donné, sans quoi elle tourne en rond. Elle peut refuser la lumière qui lui vient de « l’intellect » (l’intuition de Dieu au cœur de notre être) pour bâtir ad aeternam des systèmes qui s’excluent les uns les autres et sont des rationalisations des passions de leurs auteurs. Mais vient un moment où pour entrer dans le Royaume de Dieu il faut nous faire semblables aux petits enfants des Evangiles, et « abandonner » notre raison. C’est l’un des sens du cri du Seigneur sur la croix, « Ô Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », ultime sacrifice qui précède la résurrection. Mais cela n’a jamais signifié que la raison soit une faculté inutile à l’homme, simplement qu’elle est un instrument limité qui ne permet pas de connaître Dieu « de l’intérieur », puisqu’il n’est pour elle qu’un concept.

Les travaux philologiques dont nous parlions ne constituent pas moins une opportunité, lorsqu’ils permettent de retrouver le sens véritable des textes et de revenir sur des erreurs de traduction ou des interprétations abusives, souvent en partie responsables d’une dérive « moraliste ». « Pécher », par exemple, traduit le grec « amartia », qui signifie en réalité « rater la cible... » Ces recherches et de nouvelles traductions nourries de la connaissance de l’araméen, de l’hébreu, du grec et du latin (pensons à l’œuvre d’Annick de Souzenelle, au livre de Marc Edelmann Jésus parlait araméen, aux traductions de Chouraqui et de de Jean-Yves Leloup ) font à nouveau de la Bible un livre ouvert et non verrouillé par une institution, restituent la fraîcheur d’une parole de vie qui contient tout autre chose qu’une série de commandements stériles.

A cet égard, beaucoup de psaumes, de passages de l’Ancien Testament ou des Evangiles demandent une mise en perspective, un renvoi à d’autres extraits, afin par exemple de ne pas les limiter à leur seul contenu littéral : il est regrettable de s’interdire la compréhension de la Révélation sous prétexte de la lecture d’un seul passage, où s’exprime par exemple la colère de Dieu ou la « volonté de vengeance » de son peuple contre ses ennemis. L’herméneutique, l’intelligence de l’homme guidée par la Tradition ont ici tout leur rôle à jouer.

E – Une religion ouverte

Mais si le christianisme est « vrai », qu’en est-il des autres religions ? « Hors du Christ point de salut » ? C’est un point de vue personnel, mais j’adhèrerais en ce qui me concerne à la notion « d’unité transcendante des religions » (ou unité transcendantale, selon la rectification judicieuse proposée par Jean Borella), formulée par Frithjof Schuon et développée par de nombreux auteurs dits « traditionnalistes » [L’’appellation est ambigüe et désigne une école de pensée qui n’en est pas une : en fait, elle agglomère différents auteurs, au premier rang desquels on compte René Guénon, Ananda K. Coomaraswamy, Frithjof Schuon, Titus Burkhardt, Martin Lings, Seyyed Hossein Nasr, Léo Schaya, Marco Pallis… qui entretenaient entre eux des liens épistolaires et autres, mais sans forcément partager exactement les mêmes points de vue ni la même religion d’appartenance. Précisons en passant que leur rigueur intellectuelle est souvent impeccable, et n’a rien à envier aux philosophes les mieux considérés de l’histoire occidentale, qui nous paraissent à quelques exceptions près beaucoup plus « limités »].

Bien qu’admettant la diversité des différentes traditions, ces auteurs mettent en évidence ce qui leur est commun et reconnaissent la valeur et la nécessité de chacune, toutes étant parties prenantes de l’économie divine, sans pour autant sombrer dans le relativisme : la diversité des chemins n’exclut pas l’unicité du but, et toutes les différences, justifiées sur le plan « cosmologique », s’estompent en Dieu. Aussi, l’adhésion à une tradition n’est pas le repli frileux dans une vision du monde partielle et fermée, mais le parcours d’une voie singulière ouverte sur l’universel.

Cependant, on n’accède à l’universel qu’en creusant toujours plus profond là où on a installé son puits, pour reprendre une image de Jean-Yves Leloup, et multiplier les forages ne fait pas jaillir l’eau vive. Cela ne signifie pas que toutes les vérités se valent, au sens où toutes les religions seraient équivalentes : adhérer au Christ, c’est y adhérer totalement, et cela implique la foi dans le credo et la participation aux sacrements, ce n’est pas, par exemple, respecter les cinq piliers de l’islam. De plus, une « religion » est une totalité organique, où tout tient ensemble et s’équilibre, où on ne peut faire de tri selon ses inclinations sans ruiner le sens de l’ensemble.

Cette adhésion « particulière » n’implique cependant nul rejet des autres spiritualités ni condescendance ou position de supériorité. Tout au contraire, elle invite au dialogue et à l’ouverture, et cette ouverture nous enracine encore plus profondément, à mesure que nous découvrons l’esprit saint à l’œuvre dans toutes les traditions spirituelles authentiques. D’ailleurs, nombreux sont les chrétiens qui sont revenus au Christ par le détour des « religions orientales » par exemple, parce qu’ils ont réalisé que certains enseignements et pratiques qu’ils étaient allés y chercher se trouvaient « aussi » dans leur religion d’origine, mais qu’ils avaient pu être voilés ou délaissés au fil du temps.

En ce qui concerne la mission et la pastorale, il paraît essentiel d’avoir une attitude d’ouverture et d’écoute vis-à-vis des autres traditions, tout en sachant éviter les écueils du syncrétisme. Craindre de s’ouvrir aux autres spiritualités, c’est implicitement dénier toute participation des autres religions à la vérité une, limiter bien arbitrairement la miséricorde divine, et manquer de foi en Christ parce qu’on aurait peur en fait d’être bousculé par des vérités autres. Et comment faire partager une foi qui se montrerait exclusive et intolérante, en contradiction flagrante avec les évangiles ? Quel rayonnement pourrait avoir une telle foi ?

La présence de fidèles « passés » par d’autres traditions ou ouverts à elles constitue bien plutôt une richesse de nos paroisses. Attention à ne pas demander à de nouveaux « arrivants » de montrer patte blanche, en exigeant d’eux implicitement « un certificat de conformité dogmatique ». Qu’une personne se pose des questions sur la réincarnation, ou fasse part de croyances ou pratiques a priori « étonnantes » ne lui interdit pas de facto l’église ! Une question comme celle de la transmigration est très complexe, et n’exclut pas la foi en la résurrection, puisqu’il s’agit, dans les religions orientales comme dans le christianisme, de « transcender » la condition humaine, qu’il s’agisse de « déification » ou de « libération ». Méfions-nous d’ailleurs de clichés qui ne résistent pas à une information sérieuse : le bouddhisme serait athée et exclurait la grâce, les religions orientales seraient des « panthéismes »... N’oublions pas non plus, comme disent nos frères musulmans, que « Dieu est plus savant ».

F – Une religion initiatique, qui offre à tous l’initiation

Nous avons parlé du new age, qui n’est finalement qu’une appellation commode pour désigner une constellation de mouvements et théories divers dont certains contiennent des éléments de vérité. En l’occurrence il convient tout simplement de faire preuve de discernement pour séparer « le bon grain de l’ivraie ». Méfions-nous des amalgames : la notion d’ésotérisme, par exemple, a toute sa légitimité lorsqu’elle est comprise au sens qu’elle avait initialement de « vérité supérieure » relativement à l’exotérisme, et des ouvrages dits « ésotériques » sont parfois d’une grande valeur, d’autres œuvres rassemblées sous cette même désignation pouvant s’avérer un tissu d’élucubrations mentales. Il en va de même de la notion de « gnose » : il y a une gnose chrétienne, terme utilisé par Saint Paul lui-même, qui n’a rien à voir avec le gnosticisme des premiers siècles et ses aberrations.

Jean Borella a puissamment éclairé cette question dans plusieurs de ses ouvrages, en précisant notamment pourquoi on pouvait parler d’un christianisme ésotérique mais pas d’un ésotérisme chrétien, le Christ bouleversant cette distinction commune aux autres religions en offrant « l’initiation », les sacrements, à tous les hommes. Il n’y a d’ailleurs pas « d’élitisme » mal placé ici, mais simplement le constat de la diversité des niveaux d’exigence des individus ou de degré d’intensité des appels. On chemine à son rythme et selon ses capacités, nous sommes bien placés pour le savoir... Plusieurs propos des Pères, notamment Saint Irénée, disciple de Polycarpe qui fut disciple de l’apôtre Jean, témoignent d’une transmission orale de Jésus « réservée » à certains apôtres, quand bien même cet enseignement oral s’est perdu.

Dans tous les cas, le christianisme est réellement initiatique. C’est un chemin de transformation qui commence ici et maintenant, un retournement, « une metanoia » qui sont proposés, et pas la vie éternelle post-mortem en échange de la participation assidue mais passive à la messe du dimanche. Le Christ s’est suffisamment exprimé sur les pharisiens pour qu’on n’y insiste pas. L’institution ecclésiale, particulièrement en Occident, a souvent mis de côté des mystiques authentiques, ce qui a progressivement creusé un fossé très regrettable entre la dimension la plus intérieure de la spiritualité et sa dimension plus formelle, « administrée » par le clergé et en lien avec les pouvoirs temporels. L’institution n’a pas toujours permis aux saints de jouer leur rôle « revificateur ».

Cette parole « initiatique » ne saurait se confondre avec un catalogue de dogmes auxquels adhérer ou de pratiques à respecter : elle conduit sur une voie qui nous modèle sur celui qui est « la voie, la vérité et la vie ». Si l’orthodoxie est aussi une réponse aux grandes questions existentielles, la réponse n’est justement pas cherchée dans l’existentiel, sous la forme d’un but à réaliser qui manifesterait une fois atteint son caractère relatif, ou d’une réponse théorique permettant de patienter jusqu’à notre fin. Tout est déjà réalisé en Dieu, mais pas en nous-mêmes… La prise de conscience de notre dimension divine nous révèle l’écart qui nous en sépare, mais aussi le chemin qui nous y conduit.

G – Une participation à la Vie, n’oubliant ni le corps, ni l’âme, ni l’esprit

Nous avons précisé trop sommairement en quoi la liturgie s’adressait tant au corps qu’à l’âme (au psychisme) et à l’esprit. On n’atteint pas le ciel si l’on trahit la terre, le chemin proposé est d’intégration, non de négation. L’ascèse en fait partie, mais sans aucune connotation doloriste, rappelons-nous ce que disait le Christ de l’attitude joyeuse qui doit être celle du jeuneur. Le corps n’est pas nié, le psychisme non plus, sans quoi le retour du refoulé ne tardera pas, et la pratique se révélera n’être qu’une compensation, une fuite. « Donne à chacun son droit » disait le prophète Mohammed à un fidèle tiraillé entre ses devoirs familiaux et religieux.
S’il est artificiel de séparer l’âme du corps, puisqu’un corps non informé n’est qu’un cadavre et que le mot « chair » désigne justement l’union des deux, les anciens n’ayant jamais ignoré « l’interaction » de l’un sur l’autre, il est peut-être plus facile de les distinguer pour la clarté de l’exposé.

Le corps n’est pas le grand oublié de la spiritualité chrétienne dont le grand mot est l’incarnation. Pensons à la méditation hésychaste, qui concerne d’ailleurs tout autant la discipline du mental. Le jeûne, dont les vertus ne sont plus à démontrer, n’a pas une visée mortificatoire, au contraire, et constitue le pendant des « agapes » : on rend d’autant plus grâce à Dieu pour ce dont on est capable de se priver. Le chant liturgique est également un moyen privilégié de « mieux s’incarner », il nécessite le juste équilibre entre détente et attention corporelle, qui n’est ni tension ni avachissement, un apprentissage de la respiration et une conscience plus aigüe de son corps, toutes choses visées dans les pratiques corporelles liées aux grandes traditions.

L’affinement de la sensibilité du corps qu’on est nous prépare à recevoir l’esprit. Poser sa voix, chanter juste impliquent de surmonter les blocages et les crispations inscrites dans nos corps afin de retrouver notre voix chantée naturelle, une écoute des sons et des autres fidèles, un jeu avec les sons dont les vibrations font participer tout le corps à la louange... La vertu « intériorisante » du chant liturgique est trop évidente pour qu’on y insiste. Nietzsche disait n’être capable de croire qu’en un Dieu qui danse, il ne soupçonnait pas que des chrétiens partageraient volontiers ce point de vue.

La liturgie est aussi une danse, et repose sur un art de l’attention, une attitude physique propice à l’écoute. Des « exercices » venus de traditions différentes sont d’ailleurs « disponibles » pour le chrétien, comme certains arts martiaux, le yoga... pourvu que leur pratique n’encourage pas la dispersion spirituelle. La méditation fait d’ailleurs aujourd’hui l’objet de nombreuses études scientifiques, et entre doucement dans le milieu médical et hospitalier. Le courant dit de « la pleine conscience » est ainsi le produit d’une rencontre entre des médecins, des scientifiques et des bouddhistes et si la méditation à des fins « utilitaires » ne signifie pas l’ancrage dans une tradition, chacun ensuite étant libre de faire ou non le pas, il nous semble évident qu’elle en « rapproche ».

S’il faut veiller à ne pas diluer notre foi, la liturgie restant l’essentiel, l’alpha et l’oméga en ce qui concerne la vie de l’Eglise, il y a une vie en dehors des sacrements, et cette vie doit être nourrie des énergies célestes qu’ils nous donnent. De ce point de vue, les paroisses ont aussi pour mission de nous aider à être plus réceptifs à ces énergies, à « les faire passer » dans notre quotidien. Comme le disait maître Eckhart, si nous étions saints, chaque morceau de pain mangé serait déjà participation à l’eucharistie. Circonscrire le rôle de l’église au « service du culte », c’est le limiter bien arbitrairement et implicitement considérer que la vie spirituelle s’arrête une fois sorti du temple chrétien.

L’âme n’est pas oubliée non plus. Il y a une positivité du sentiment dans la vie spirituelle, lorsqu’il ne se confond pas avec l’émotion. La paix du cœur, ce n’est ni l’impassibilité ni l’insensibilité, et Dieu est amour. La liturgie nourrit l’âme, qui a besoin de beauté comme le corps de nourriture. De plus, elle est le pont entre le corps et l’esprit et on ne saute pas par-dessus son âme, comme on ne saute pas par-dessus son ombre : « Qui veut faire l’ange fait la bête ». C’est souvent notre psychisme, nos mémoires qui constituent le principal obstacle dans notre vie spirituelle. Aussi sa prise en compte ne doit-elle pas être évacuée, la prière ne suffisant pas toujours et la foi n’impliquant pas de tout attendre de Dieu lorsqu’un « travail de nettoyage » nous incombe.

Or il existe un bien commun des grandes traditions dans ce domaine, sans qu’il soit d’ailleurs toujours aisé de démêler ce qui relève du psychique de ce qui relève du spirituel. Arnaud Desjardins l’a bien dit et montré : la direction spirituelle, permettant à chacun d’intégrer progressivement ses difficultés et d’unifier son psychisme pour l’orienter vers le haut, se formule dans des conseils étonnamment proches d’une tradition à l’autre. Mais ce bien dont était dépositaire le christianisme, et il suffit pour s’en rendre compte de lire les Pères et de constater l’acuité de leur discernement, a été au cours des siècles assez largement perdu de vue. A défaut de starets, des ouvrages comme ceux de Jean-Yves Leloup, de Bertrand Vergely ou Annick de Souzenelle font à nouveau briller ce trésor enfoui.

En relisant les Evangiles d’Arnaud Desjardins est un cadeau fait au christianisme par un chrétien qui a suivi la voie d’un grand maître hindou. Les Evangiles ne sont pas un manuel de bien-être, mais ils recèlent d’inépuisables paroles de vie dont on soupçonne trop peu qu’elles offrent au quotidien un pain substantiel. La psychologie contemporaine offre aussi son concours. Lorsqu’elle est honnête et « objective », c’est-à-dire qu’elle n’impose pas à la réalité des grilles préétablies, l’observation et l’expérience l’amènent à « retrouver » des pratiques déjà conseillées dans les grandes traditions. Nous pensons ici particulièrement aux apports de la psychologie comportementale et cognitive, dont les ouvrages du psychologue Christophe André donnent un bon aperçu. N’oublions pas non plus la fonction de la confession et son sens profond, très loin des « dérives » auxquelles elle est généralement associée.

L’esprit se nourrit lui d’absolu, et comme le rappelle Monseigneur Jean son aliment est la prière, notamment liturgique. Sans cet aliment, l’esprit contamine l’âme qui contamine le corps, et met son exigence d’absolu dans le relatif. L’orthodoxie est dépositaire dans ce domaine de trésors inestimables et trop connus pour que nous y revenions en détail. Rappelons simplement sur ce point l’œuvre extraordinaire du cofondateur de notre église, ainsi que la prière du cœur et toute la philocalie.

III – QUELQUES « APPLICATIONS CONCRETES A LA MISSION ET A LA PASTORALE »
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Quelles conséquences pratiques, pour la mission et la pastorale ? Les paroisses sont par excellence le lieu de la rencontre entre Dieu et les fidèles, et leur vocation est bien évidemment d’abord cultuelle. Mais elles impliquent naturellement et spontanément une demande d’approfondissement et d’intégration. Sans se transformer en centre d’études théologiques ou en cellules d’écoute, elles doivent accueillir les besoins des fidèles, tant en ce qui concerne la « connaissance » de leur religion que la « pratique » spirituelle elle-même. Cela a des incidences sur la mission : nous ne pouvons transmettre que ce que nous nous sommes réellement appropriés, et il est fréquent en la matière de « mettre la charrue avant les bœufs ». Partager sa foi, c’est d’abord l’incarner, et faire découvrir sa religion, c’est d’abord la connaître. Nous savons bien que le temps est compté pour chacun, mais des choses simples, qui se font déjà, sont à encourager, d’autres valent peut-être la peine d’être entreprises.

A – « A l’interne » (la pastorale)

  • Redécouvrir l’œuvre de Monseigneur Jean, et le sens qu’il donnait lui-même à son œuvre
  • Elaborer et diffuser un vade-mecum de métaphysique orthodoxe : la Trinité, Dieu en trois personnes…
  • Faciliter l’accueil des fidèles : prévoir un livret expliquant la structure de la messe, la différence entre le propre et l’ordinaire, le sens des rites et des gestes rituels, la structure du calendrier liturgique et les grandes fêtes … Accompagner certains textes, notamment ceux des psaumes qui peuvent heurter la sensibilité ordinaire, de commentaires permettant d’en faciliter la compréhension.
  • Prévoir des temps de rencontre consacrés à des exposés sur la pratique et ses difficultés, souvent partagées, les dogmes…
  • Constituer dans chaque paroisse une « mini-médiathèque » permettant de mutualiser les lectures fructueuses, les documentaires... Pourquoi pas constituer une banque d’échanges en ligne, via un dossier dropbox par exemple, où seraient mutualisées des fiches de lecture, des articles...
  • En partant du calendrier liturgique, un espace d’échanges en ligne pourrait être créé : il s’agirait de « diffuser » au début de la semaine précédant la liturgie les trois textes qui y seront lus et d’échanger autour de ces textes, en les rapprochant de lectures, d’expériences... et en ayant au préalable identifié les « attitudes » vers lesquelles ces textes pointent, afin de voir en quoi « le propre » renvoie aussi à l’ordinaire, à tel ou tel moment de la liturgie. Nous partirions ainsi de la liturgie pour mieux y revenir, et faire qu’elle nourrisse notre quotidien.
  • Organiser des « sessions », comme le père Francis le fait pour l’entrée dans le printemps et le Carême : jeûne, promenades, chant... Sessions éventuellement ouverte à des non-orthodoxes
  • Redécouvrir les saints locaux, organiser des pèlerinages autour de ces saints
  • En complément de la formation théologique, prévoir une formation au symbolisme
  • Afin de développer la maîtrise du chant et notamment de la polyphonie, enregistrer et rendre disponibles les enregistrements des principaux chants, et notamment des enregistrements « séparés » des différentes voix (soprane, basse, ténor, alto). Prévoir des temps d’apprentissage.
  • Créer un forum internet inter paroissial
  • Créer là où ils n’existent pas des conseils paroissiaux
  • Sans qu’il y ait besoin de formaliser un SEL, mutualiser les savoirs et les compétences profitables dans le cheminement : nos paroisses regroupent de nombreux médecins, thérapeutes, sophrologues... dont les services peuvent être précieux pour le progrès spirituel

B – « A l’externe » (la mission)

  • Communiquer un point de vue « orthodoxe » en utilisant les différents « médias » à disposition
  • Si toutes les paroisses n’ont pas vocation à devenir un « centre spirituel », les associations cultuelles peuvent aussi se doubler d’associations proposant des activités, comme la méditation, la réalisation d’icônes, des exposés sur le symbolisme par exemple, ouvertes aux « non-paroissiens », qui resteront libres de se rapprocher ou non du Christ
  • Participer à des réunions œcuméniques. Des contacts existent déjà, pour « le partage » de locaux par exemple... Pourquoi ne pas susciter des rencontres ou des interventions croisées (sans d’ailleurs forcément se limiter aux confessions chrétiennes) : présentation par chacun de « sa religion » ? Organisation de temps de prière œcuméniques, comme Marc le fait par exemple dans le cadre de « Méditation chrétienne »

Pour conclure, quand bien même nous n’avons pas (encore) « des têtes de ressuscités » et tout en veillant à rester humble, ayons en tête que le « mieux-être », « la joie » que nous devons au fait « d’avoir quelqu’un [Dieu] dans notre vie », comme dit Jean-Yves Leloup, doivent témoigner à travers nous pour le Christ, dans notre quotidien familial, social et professionnel.

Souvent, nous divisons inconsciemment notre existence entre une partie sacrée et une partie profane, et veillons jalousement sur cette dernière, comme si nous avions besoin de ce reste, qui serait légitimement « réservé » à notre ego. Difficile de se convaincre qu’il n’y a pas de reste à conserver, qu’on ne « garde » que ce qu’on a donné et que la vie est une !

Pas question de se transformer en prosélytes, mais pourquoi nous autocensurer, pourquoi s’interdire d’aborder ce qui est pour nous essentiel, pourvu que cela soit dans la paix, le respect des personnes et des règles de la laïcité ? Trop souvent nous intériorisons la méfiance générale à l’endroit de l’engagement religieux et craignons de passer pour des imbéciles ou des illuminés.

Dans une époque où des couvertures de magazines pornographiques s’étalent à la devanture des magasins de journaux, nous n’osons pas toujours parler de notre foi, comme s’il s’agissait d’une obscénité...

S’il convient de le faire judicieusement, « incarner » cette foi, ce à quoi doit nous aider la pastorale, est encore le meilleur moyen de participer à la mission...

 
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