Saint Benoît de Nursie
480-547

par l'évêque Grégoire

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« Pour qu’en toutes choses Dieu soit glorifié ».


Comme nous avons publié en 2011 la nouvelle version complète du Livre d’Heures, dont le contenu est largement influencé – conformément aux instructions de nos pères saint Jean de Saint-Denis et avant lui monseigneur Irénée Winnaert – par la Règle de Saint Benoît il m’a semblé intéressant de donner quelques informations sur Saint Benoît et sur sa règle, ainsi que sur sa « réception » dans toute l’Eglise Orthodoxe.


La seule Vie de saint Benoît a été écrite par un de ses contemporains, on pourrait presque dire un témoin oculaire. En effet, de même que saint Athanase d’Alexandrie écrivit la biographie de saint Antoine, saint Grégoire le Grand consacra le deuxième livre de ses « Dialogues » au récit de la Vie de saint Benoît ou plutôt à ce qu’il faudrait appeler « Les Fioretti de saint Benoît ».

Cette suite d’anecdotes miraculeuses est un bonheur pour l’amateur d’apophtegmes qui préfère le progrès spirituel à la réalité historique.

Venons-en toutefois à l’histoire.

Saint Benoît est né en l’an 480, dans la ville de Nursie. Depuis presque cent ans les pillards Suèves et Ostrogoths déferlent sur la péninsule ; en 410, ils ont pris Rome et l’ont mise à sac. Le gouvernement d’Odoacre et de Théodoric délaisse la Ville éternelle pour siéger à Ravenne. L’Afrique est aux mains des Vandales. Byzance s’enlise dans les querelles monophysites. En Gaule, le Franc Clovis achève la conquête de tout le pays et en 496 il reçoit le baptême à la tête de ses troupes.

En cette même année, Benoît est à Rome ; il y est venu pour faire ses humanités. On ne sait rien de sa famille. Le milieu familial est sans doute aisé et chrétien depuis plusieurs générations. Sa soeur Scholastique a reçu en 495 la consécration des vierges des mains de l’évêque Etienne de Nursie. Peut-être vit-elle dans la maison paternelle.

Quelles furent les études de Benoît pendant son séjour romain - Le droit avec l’éloquence du barreau devait être la principale matière enseignée. Il en gardera le goût de la réglementation saine. Malgré les grands attraits que la Rome chrétienne, pleine du souvenir des apôtres et des martyrs, pouvait avoir sur une âme ardente et pieuse, le spectacle de cette grande ville cosmopolite et encore turbulente finit par dégoûter notre étudiant, et il se retire à la campagne par une « sage folie et une savante ignorance », à Enfide à 40 km à l’est de Rome. Là, en compagnie de quelques jeunes gens de son âge, il réfléchit sur sa vocation personnelle. Avec l’aide et les conseils du prêtre de la paroisse, peut-être se prépare-t-il au service liturgique.

Sa nourrice, qui suivant l’usage du temps l’accompagnait partout, avait emprunté à une dame du voisinage un crible, sorte de passoire ou de tamis en terre cuite qui, laissé imprudemment sur le bord d’un meuble, tomba et se brisa. A la vue de la nourrice en larmes, Benoît s’agenouille et se met en prière ; quand il se relève, l’objet est entier, sans trace de fractures. La nouvelle du miracle court comme une trainée de poudre : en quelques heures c’est la célébrité. Benoît comprend le danger ; lui qui veut vivre pour Dieu, voici que les hommes lui offrent la gloire. Alors il prend la fuite.

Il remonte la vallée de l’Anio et atteint les solitudes de Subiaco, à quelque cinquante kilomètres à l’est de Rome, dans l’Apennin romain. Il erre de rocher en rocher quand se présente à lui un moine d’un monastère voisin, surpris de rencontrer un citadin au désert. Après quelques heures de conversation, il installe le jeune ermite dans une grotte inaccessible. Et c’est là qu’il lui apporte quotidiennement sa part de pain. Benoît est devenu moine, solitaire pour Dieu. Il passe ainsi trois années. Là il subit les doutes les plus sombres et les tentations les plus cuisantes. « Vainqueur de la volupté par la douleur », dit saint Grégoire, Benoît devient peu à peu « maître éminent des vertus, car il connaît l’infirmité de la nature humaine et sait y compatir ».

Des bergers découvrent sa retraite... Sa renommée atteint les moines de l’abbaye de Vicovaro. Leur abbé vient de mourir, ils supplient Benoît de prendre sa place : il refuse. Ils insistent : il finit par céder à leurs instances.

Mais ces religieux sont de la détestable race des sarabaïtes que saint Benoît définit au deuxième chapitre de sa Règle : la satisfaction de leurs désirs leur sert de loi. L’hostilité entre l’abbé et la communauté est si grande que cela finit par une tentative de meurtre. Il faut se séparer.
Benoît retourne donc au désert, plein de tristesse. Mais déjà sa sainteté attire à lui des fils véritables. Leur nombre s’accroît tant que l’on doit construire. L’ancienne villa de Néron, toute proche et en ruines, fournit les matériaux. Douze monastères de douze moines chacun sont établis, un peu à l’image d’une famille de paysans du Latium, familles d’hommes qui oublient le monde et que le monde oublie. On vit simplement, en commun, sous la direction spirituelle d’un même père.

Toutefois cette sainte cohorte excite la jalousie d’un prêtre du voisinage, un certain Florent. Ayant en vain usé de la calomnie, puis de cadeaux empoisonnés, le forcené finit par soudoyer sept prostituées qu’il « lâche » dans le jardin du cloître. Devant une telle situation, il n’est qu’une solution : le départ.

Benoît réunit ses fils et après une brève délibération, la communauté décide d’émigrer vers le sud (525). On ignore les raisons qui ont attiré saint Benoît sur le lieu de sa seconde fondation : le Mont-Cassin, et la date exacte de son installation. Ce lieu était un antique sanctuaire païen que certains indigènes continuaient à fréquenter secrètement. Benoît sent alors la nécessité d’annoncer objectivement l’Évangile du Christ. Il détruit l’idole de Jupiter, abat l’autel d’Apollon et brûle le bois de Vénus.

A leur place il construit une église dédiée à saint Jean-Baptiste et à saint Martin de Tours. C’est pour cette nouvelle communauté, plus groupée, plus organisée que celle de Subiaco que Benoît va, lentement, jour après jour, rédiger la Règle. Pourquoi ce changement de politique monastique - La formule de Subiaco lui paraissait-elle imparfaite - Certes non, et par la suite la Règle recommandera ce genre de communauté réduite. Il semble que la raison fut extérieure. Théodoric, le roi ostrogoth de Ravenne, meurt en 526. Les luttes de succession qui s’ensuivirent et les tentatives de reconquête de l’empereur Justinien jetèrent l’Italie dans une période de grande insécurité. Le Mont-Cassin apparaît en quelque sorte comme une forteresse où moines et paysans viennent se mettre sous la protection de saint Benoît dont la réputation est très grande. Le roi ostrogoth Totila, qui fait trembler l’Italie de Milan à Naples, lui rend visite et respecte l’abbaye. Le patriarche achève sa vie peu après, en 547, à la veille de la fête de Pâques, le 21 mars.

Ce n’est pas dans une biographie de quelques pages que l’on peut cerner parfaitement l’homme et son œuvre. Il faut se reporter au deuxième livre des « Dialogues » et à la Règle pour apprécier la saveur particulière de « l’esprit bénédictin ».

En quoi consiste donc cette Règle de saint Benoît ?

Il s’agit d’un petit livre composé de 73 chapitres de longueur et d’intérêt inégaux, décrivant à la fois la vie intérieure et extérieure du moine cénobite, « la plus forte espèce de moines ».

Tout d’abord, dit saint Benoît, il y a l’humilité, fondement indispensable de la vie spirituelle, la vie tournée vers Dieu : ne rien préférer à l’amour du Christ.

Ensuite la charité fraternelle, vécue dans l’obéissance, comme épreuve et gage de l’amour de Dieu. Voici les premiers mots de la Règle : Toi, qui renonçant à ta volonté propre, veux militer pour le vrai roi, le Christ notre Seigneur, prends les nobles armes de l’obéissance.

Dans tout ceci on ne s’écarte guère de la vie de tout bon chrétien ! Certes, mais ce qui fait le moine selon saint Benoît, c’est une certaine utilisation des choses concrètes de la vie pratique, pour obtenir et cultiver les vertus citées plus haut. Prière liturgique, travail manuel, lecture et méditation des choses divines, dans le silence extérieur et intérieur, voilà les instruments du moine du moine.

Appuyée sur une science profonde des Ecritures, la Règle prend ses racines dans la plus antique tradition monastique égyptienne et palestinienne par l’intermédiaire des écrits de saint Jean Cassien, dans la théologie des docteurs orientaux (13 citations de saint Basile) et dans la tendance classique des vieux Romains à mettre de « l’ordre » en toutes choses.

Son oeuvre si importante pour les moines d’Occident dépasse le cadre même de la vie monastique : pour tout homme cherchant Dieu, saint Benoît est un maître de vie spirituelle, le docteur de « l’ascèse bien tempérée » (la discrétion, cette mère des vertus !) ; dans la recherche de la perfection il faut des degrés pour s’élever, des recettes pratiques pour éviter l’illusion spirituelle, pour installer en soi la poutre maîtresse de l’édifice spirituel : le discernement.

L’influence de la Règle de saint Benoît en Europe a été prodigieuse. Elle s’installe en Italie avec le pape Grégoire le Grand (+ 604) et parvient en Gaule par l’évêque Constant d’Albi vers 627. Elle est introduite à Luxeuil où on la considère au même titre que la Règle de Saint Colomban. Un siècle et demi plus tard, les monastères de la règle bénédictine couvrent l’Europe carolingienne. Le Mont-Athos lui-même la reçoit par le monastère latin. L’Orient d’ailleurs la considère avec grand intérêt : saint Benoît semble avoir résolu le grand problème de l’union de l’Orient et de l’Occident. Il s’est montré un disciple fidèle du monachisme antique et des Pères orthodoxes – ni ariens, ni origénistes, ni monophysites – tout en développant le dynamisme pratique et ordonnateur des Européens de l’ouest.

Et pourtant, saint Benoît n’a rien inventé. On peut réduire sa Règle à un ensemble de citations de l’Ecriture, des Pères de l’Église, des règles antérieures, et même des philosophes stoïciens. Sa grande vertu est d’avoir su faire du neuf avec de l’ancien, ce qui est la garantie d’une jeunesse éternelle.

Evêque Grégoire

 

La seule vie de saint Benoît est celle écrite par saint Grégoire le Grand, pape de Rome, au livre II de ses Dialogues. Il y est décrit en particulier une vision lumineuse que saint Benoît eut peu de temps avant sa mort

RÉCIT DE LA VISION DE SAINT BENOIT

Quand l’heure du repos fut venue, le vénérable Benoît se retira à l’étage supérieur de sa tour, le diacre Servandus à l’étage inférieur ; les deux pièces communiquaient par un escalier, et il y avait devant la tour une salle plus vaste où reposaient les disciples des deux Pères. Alors que les disciples dormaient encore, l’homme du Seigneur, Benoît, veillait déjà ; prévenant l’heure de la prière nocturne.

Debout devant sa fenêtre, il priait le Seigneur tout-puissant quand soudain, à cette heure de la nuit, il vit fuser une lumière qui chassait les ténèbres et brillait d’une telle splendeur que sa clarté eût fait pâlir celle du jour. Tandis qu’il la regardait, quelque chose d’extraordinaire se produisit : ainsi qu’il le racontait plus tard, le monde entier se ramassa devant ses yeux comme en un seul rayon de soleil. Le vénérable père tenant les yeux fixés sur cette éblouissante lumière vit alors l’âme de Germain, évêque de Capoue, portée au ciel par les anges dans un globe de feu.

Pressé d’avoir un témoin du prodige, il appela deux et trois fois le diacre Servandus en criant son nom. Servandus, surpris d’entendre crier le saint père, monta, regarda, et vit encore un peu de lumière. Il s’en étonna, et l’homme de Dieu lui raconta dans l’ordre tout ce qui s’était passé. Puis, sans retard, il fit dire à Théoprobe, un homme pieux qui habitait le bourg de Cassino, d’envoyer la nuit même à Capoue, afin de s’informer de l’évêque Germain et de rapporter les nouvelles. Théoprobe fit ainsi, et son messager trouva le révérendissime évêque Germain déjà mort. En s’informant des détails, il apprit que son décès avait eu lieu à l’heure même où l’homme de Dieu l’avait vu monter au ciel.

(...) Pour celui qui voit le Créateur, la création entière est courte. Si peu qu’il ait entrevu la lumière de Dieu, tout ce qui est créé lui devient trop étroit ; car la lumière de la contemplation intérieure élargit la mesure de l’âme, et à force de s’étendre en Dieu elle est plus haute que le monde. Que dirai-je - L’âme du contemplatif se dépasse elle-même, lorsque dans la lumière de Dieu elle est ravie au-dessus d’elle ; et en regardant sous elle, de là-haut elle comprend combien est borné ce qu’ au sol elle ne pouvait saisir.

Cet homme qui vit un globe de feu et les anges qui le portaient au ciel ne put avoir cette vision que dans la lumière de Dieu. Quoi d’étonnant alors, s’il vit le monde entier ramassé devant lui, puisqu’il était soulevé hors du monde, dans la lumière de l’Esprit - Quand on dit que le monde fut ramassé devant ses yeux, ce n’est pas que le ciel et la terre se soient contractés ; mais l’âme du voyant se dilata. Ravi en Dieu, il put sans difficulté voir tout ce qui est audessous de Dieu. Quand la prodigieuse lumière resplendit aux yeux de son corps, son esprit reçut une lumière intérieure qui ravit en Dieu son âme, et lui montra combien est borné tout ce qui n’est pas Dieu.

Commentaire de la vision de saint Benoit par saint Grégoire Palamas.
(Triades 1, 3, 21-22.)

Sans nommer saint Benoît, saint Grégoire Palamas commente ici la vision du moine latin. Le manuscrit porte en marge « Bénédictos ».

« Cette très joyeuse réalité qui a ravi Paul, qui a fait sortir son esprit (noûs) de toute créature, qui l’a fait revenir tout entier sur lui-même, il la voit comme une lumière, une lumière de révélation, mais qui ne révèle pas des corps sensibles, une lumière qui n’a de limite ni vers le bas ni vers le haut ni sur les côtés ; il ne voit absolument pas la limite de sa vision et de la lumière qui l’éclaire, comme s’il voyait un soleil infiniment plus lumineux et plus grand que l’univers ; et au milieu, il se tient lui-même, tout entier transformé en œil. Telle est, à peu près, cette vision.

Voilà pourquoi le grand Macaire dit que cette lumière est infinie et supracéleste. Un autre saint, parmi les plus parfaits, a vu l’univers entier comme enveloppé par un rayon de ce soleil intelligible, bien que lui non plus n’ait pas vu l’essence et la mesure de ce qu’il voyait, mais seulement la mesure à laquelle il a pu s’y rendre lui-même réceptif ; par cette contemplation, par son union supra- intelligible avec cette lumière, il n’a pas appris ce qu’elle était par nature, mais il a appris qu’elle existait réellement, qu’elle était surnaturelle et suressentielle, qu’elle était différente de tous les êtres, que son être était absolu et unique et qu’elle rassemblait mystérieusement tous les êtres en elle-même.

Cette vision de l’Infini n’appartient en permanence ni à un individu, ni à tous les hommes ensemble. Celui qui ne voit pas comprend cependant que c’est lui-même qui se trouve dans l’incapacité de voir, parce qu’il ne s’est pas parfaitement adapté à l’Esprit par une purification totale ; ce n’est point l’objet de la vision qui disparaît. Lorsque la vision s’abaisse jusqu’à lui, le voyant sait bien, d’après la joie semblable à la vision et impassible qui jaillit en lui, d’après le calme qu’il ressent dans son esprit d’après le feu de l’amour divin allumé en lui, il sait qu’il s’agit bien de cette lumière, même s’il la voit d’une façon assez obscure.

D’une façon analogique, il fait toujours des progrès dans les pratiques agréables à Dieu, dans son refus de tout le reste, dans l’application à la prière et dans l’élévation totale de son âme vers Dieu, et, en même temps, il fait l’expérience d’une contemplation plus resplendissante encore. Il comprend alors que sa vision est infinie parce qu’elle est l’Infini, et parce qu’il ne voit pas la limite de son éclat, mais il voit d’autant plus combien débile est sa propre capacité de recevoir la lumière ».

 
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