PUISQUE « Nous sommes tous prêtres »,
pourquoi ne pas bénir ma maison moi-même ?
Pourquoi faire intervenir l’église ?
Diacre
Gilles Zuang
Pour comprendre la différence
qui peut exister entre une bénédiction personnelle et
une bénédiction située dans le cadre de l’Eglise
et opérée par un prêtre[1] de l’Eglise, peut-être
faut-il se remettre en mémoire les deux récits de la création
et mettre en lumière les différences existant entre ces
récits. Il y est en effet question de bénédictions,
mais de deux bénédictions différentes.
Genèse, chapitre premier,
verset 28 : Dieu les bénit et leur dit : Soyez féconds,
multipliez, emplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons
de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la
terre.
Genèse, chapitre 2, verset
3 : Dieu bénit le septième jour et le sanctifia, car il
avait chômé après tout son ouvrage de création.
Dans le premier récit
ce sont les personnes qui sont bénies. Dans le second c’est
un espace, une circonstance qui est bénie.
Il est sûrement bon ici
de se souvenir que, d’après Saint Jean de Saint Denis,
le premier récit de la création dans le livre de la Genèse
est un récit cosmogonique qui narre la création du
cosmos soutenu par une diade unitive dont le mouvement est : condescendance/élévation.
Alors que le deuxième récit est un récit hiérogonique,
qui raconte les origines et la création de l’Eglise au
sein même de ce cosmos, création soutenue celle-ci par
une diade élective au mouvement d’élection/exception
(séparation, mise à part, consécration, sacralisation).
Le premier chapitre de la Genèse
est la cosmogonie, le deuxième, la hiérogonie ou origine
du sacré, de l'Église. Je m'explique : nous devons distinguer
dans l'œuvre de Dieu deux formes de diades, la diade unitive et
la diade élective[2].
L’homme créé
à l’image de Dieu, l’homme prêtre, roi et prophète
est investi de ce pouvoir de bénédiction. Ainsi nous osons
dire :nous sommes tous prêtres. Tous nous avons le droit et le
pouvoir de bénir. En quoi la bénédiction d’un
prêtre serait-elle supérieure à la mienne ? C’est
vrai. Mais nous posons là une fausse question. Ou plutôt,
nous posons la question en des termes inappropriés. La bénédiction
d’un prêtre n’est pas supérieure, ou plus puissante
ou plus valable que celle d’un fidèle. Mais simplement
:la bénédiction d’un prêtre n’agit pas
au même endroit.
Nous avons souligné que
la première sorte de bénédiction s’adresse
à des créatures et que la seconde s’adresse à
un espace, une circonstance.
Une bénédiction
prononcée en des termes non consacrés par l’Eglise
et par une personne non consacrée par l’Eglise est malgré
tout une bénédiction. Il faut simplement être conscient
que c’est une bénédiction d’ordre cosmique,
comme la première bénédiction que Dieu adressa
au mâle et à la femelle de l’humain chapitre 1, verset
28 de la Genèse : Dieu les bénit et leur dit : Soyez féconds,
multipliez, emplissez la terre et soumettez-la. Cette bénédiction
que l’on peut appeler cosmique pour la différencier - et
non pour la réduire - est donc un appel à la prospérité.
Ainsi, bénissant lui-même sa maison, un fidèle appelle
la prospérité sur ceux qui vivent dans cette maison ou
qui la visitent.
Nous avons dit : Dieu les bénit
; la bénédiction est l'incursion de l'Esprit dans
l'étoffe vivante du monde. La bénédiction est plus
forte que la nature, elle fertilise et transforme la nature. Le sacrement
est là où est la bénédiction. Le premier
sacrement naturel est la fécondité des êtres possédant
le souffle de vie. La cosmogénèse est saisie d’un
double mouvement : la dualité poussée vers l’unité-synthèse
et l'unité indistincte tendue vers la multiplication. La Préface
du mariage dans le rite des Gaules en présente un merveilleux
raccourci : « Tu distingues pour unir, Tu unis pour multiplier.
» Dans la chute, la dualité perd l'élan unitif et
l'unité est atteinte par la stérilité et l’usure.
Marie restaurera l'unité par sa virginité et la fécondité
par sa maternité[3].
Dans le cas d’une même
maison bénie par un célébrant, selon des paroles
consacrées par l’Eglise, nous entrons dans le cadre d’une
bénédiction non plus cosmique, mais hiérogonique,
pour garder les termes usités par Monseigneur Jean dans son ouvrage
LE MYSTERE DES ORIGINES. Si la participation cosmique de l’homme
au sein de la création est de croître, de multiplier et
de soumettre la terre, il faut se souvenir que la mission de l’église
et donc de l’homme ecclésial est de tout pénétrer,
et de tout consacrer à Dieu : Dans la Divine Trinité,
l'achèvement, l'accomplissement appartiennent en propre
au Saint Esprit Qui remplit tout et consacre tout. De même,
la mission de l'homme est de tout pénétrer et de tout
consacrer à Dieu[4].
Tout remplir, c’est là
le but de la bénédiction cosmique : Soyez féconds,
multipliez, emplissez la terre. Et si la bénédiction hiérogonique
comprend cette bénédiction cosmique, son but est, en plus,
de consacrer à Dieu tout ce que l’homme aura pénétré,
investi, mouvement que la bénédiction cosmique ne peut
imprimer.
Et cette pénétration
n’est plus la pénétration du seul cosmos, puisque
si Dieu instaure le sabbat, consacre le septième jour, c’est
aussi pour Se donner comme objet de mystère à pénétrer.
Il s’agit de tout investir, même Dieu et de tout consacrer
à Dieu même sa quête. Le septième jour, Dieu
vient à nous comme objet de recherche. Le septième jour,
le monde Le désirera et Le conquerra, car, chante Ézéchiel
: « Le septième jour, les portes célestes sont ouvertes
». (Jean de Saint de Denis, op.cit.; I La Genèse ; Des
nombres et des chiffres).
Comprenons bien tous nous sommes
prêtres. Mais dans l’église, au sein de l’assemblée,
au cours de la liturgie il n’y a qu’un prêtre. Rappelons-nous
: c’est ainsi que Dieu crée l’église, dans
un mouvement d’élection/exception, mise à part,
séparation, consécration. C’est pourquoi, même
si tous nous sommes prêtres, un seul est consacré. L’église
et les sacrements de l’église ont pour but la consécration
à Dieu et à la grâce divine. Donc une maison bénie
par un prêtre (élu/consacré), selon un sacrement
prodigué par l’Eglise (élue/consacrée), dans
des paroles élues/consacrées, ne dédie plus seulement
les personnes vivant, fréquentant ou visitant ce lieu, à
la prospérité cosmique dans un mouvement de condescendance
et d’élévation, mais cette maison devient elle-même
un espace élu, mis à part, consacré, à la
réception de la grâce divine et à la participation
à l’œuvre divine. C'est-à-dire, qu’un
tel sacrement consacre cette maison à la communauté ecclésiale
et la fait participer au destin de l’Eglise. Ce qui n’est
pas le cas lors d’une bénédiction cosmique.
Ces éléments étant
ainsi présents en nos consciences nous pouvons entrevoir la différence
des mécanismes entre une bénédiction «cosmique
» et une bénédiction « ecclésiale ».
La bénédiction
cosmique obéit à l’ordre cosmique et au mouvement
que Dieu imprima au cosmos au cours de sa création, un mouvement
dont le but ultime est l’union des créatures à leur
Créateur. Une bénédiction cosmique a pour fin de
faire se rencontrer, se rejoindre, Dieu et Sa ou Ses créatures.
Cette bénédiction se pratique dans des paroles libres
mêmes si choisies (mais dans l’ordre cosmique le choix n’est
pas limité), pas forcément consacrées, par des
hommes ou des femmes qui pratiquent cette bénédiction
en dehors du contexte de l’église, même si par ailleurs
ces personnes appartiennent à l’église.
La bénédiction
ecclésiale obéit à l’ordre hiérogonique,
et consacre, en des paroles consacrées, prononcées
par une personne consacrée, au cours d’une cérémonie
conduite par l’Eglise consacrée, un espace (lieu, temps,
circonstances, événement…) qui se dédie à
l’église. Ainsi, par exemple, le sacrement du baptême
fait de l’homme un lieu que Dieu peut habiter et par le baptême
reçu par l’homme Dieu peut agir au sein du temps historique,
de même que l’homme peut pénétrer le temps-éternité
de Dieu. Par les sacrements de l’Eglise Dieu prend part à
un espace, puisque par les sacrements Dieu se propose à l’humanité
comme un espace à découvrir et un lieu pour que cette
humanité puisse collaborer pleinement à son œuvre.
Le mariage consacré à l’Eglise fait de ce mariage
un espace au sein duquel Dieu installe son Eglise, aussi bien qu’un
lieu où les mariés s’installent en Dieu et en sa
quête. Et il en est de même dans le sacrement de la profession
monastique.
Enfin, précisons que
nous pouvons entrevoir, et entrevoir seulement, la différence
entre une bénédiction cosmique et une bénédiction
ecclésiale parce qu’en matière de sacrements, comme
pour ce qui concerne tous les modes de relation à Dieu, il n’existe
pas d’absolu. Ni les sacrements, ni les bénédictions
ne sont des actes magiques. Et aucune parole ne peut aliéner
Dieu ni L’obliger à s’exécuter. Ce n’est
pas l’objet de la bénédiction ou du sacrement. Ainsi
Dieu peut-Il évidemment agir au-delà ou en deçà
de tout mode de bénédiction. Sans compter que nos yeux
aveugles manquent trop souvent de lumière pour pouvoir contempler
les fruits des bénédictions que nous proclamons et par
lesquels Dieu opère son œuvre de salut.
Dans tous les cas, bénir
c’est toujours accomplir l’œuvre de Dieu. C’est
le cadre qui change, et c’est le cadre dans lequel la bénédiction
est prodiguée qui détermine le cadre dans lequel elle
sera reçue et opérera. Si elle est prodiguée de
manière naturelle ou cosmique, elle opérera l’œuvre
de Dieu dans le cosmos. Si elle est prodiguée selon l’Eglise
elle opérera l’œuvre divine au sein de l’Eglise,
Eglise-Corps mystique du Christ ressucité qui se répand
à travers le cosmos, qui veut être habitée pleinement
par toute la création.
[1] Prenons le mot prêtre dans le sens générique
: évêque, prêtre ou diacre …
[2] Jean de Saint de Denis, Le Mystère des Origines
; III, Adam idéal ; Son caractère initiatique ; Diade unitive
et diade élective.
[3] Jean de Saint-Denis, Le Mystère des Origines
; I La Genèse ; Les douze actes créateurs ; Le premier sacrement.
[4] Jean de Saint-Denis, op. cit ; II ; La création
de l’homme ; Il les nourrit ; Le sixième jour achevé.