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« L’Eucharistie racontée à ma belle-mère »


Le 16 août 2008.

Chère belle-maman,


Les moules-frites que nous avons partagées le long de l’Escaut furent une belle occasion de bavarder de choses et autres. C’est un privilège de pouvoir récolter la sagesse des anciens et je garde un joyeux et excellent souvenir de cette journée à Gand près de vous.

Vous m’avez dit ne pas vouloir communier à la messe car vous ne croyez pas au « tour de passe-passe » qui consiste à dire que ce pain et ce vin deviennent le Christ. Votre attitude m’interpelle. Elle me semble logique et honnête. Pourquoi « faire semblant » si on n’y croit pas ? Je devine chez vous une sainte horreur du pharisaïsme qui, je pense, aurait plu à Jésus. Cette attitude me semble plus respectueuse et plus juste en somme que celle qui consiste à « faire comme les autres » et à aller distraitement communier (à quoi ?).

L’eucharistie est un immense mystère et votre attitude a réveillé en moi quelques modestes réflexions faites au cours des ans, depuis que je suis redevenu chrétien. Permettez-moi d’en partager un peu avec vous. Cette lettre ressemblera à quelque chose comme: « L’Eucharistie racontée à ma belle-mère », allusion à ce livre de philosophie racontée dans un style abordable et sans flonflons ni jargon inutiles. Mais je n’ai rien à vous « raconter », si ce n’est ma propre démarche, elle-même nourrie par la grande Tradition chrétienne qui m’inspire et que je redécouvre avec appétit et un intérêt souvent passionné.

Gratitude. Je crois qu’il faut d’abord se débarrasser d’une conception magique et enfantine de l’eucharistie comme quelque chose de ponctuel : « je vais à la messe et je vais communier ». En somme, l’eucharistie est un art de vivre qui devrait sous-tendre toute notre existence : c’est la capacité de dire merci (eucharistie, en grec).Tout est don, rien ne nous est dû. Il est bon de nous émerveiller avec gratitude pour la beauté d’un chêne, le chant du pinson, le sourire d’un enfant, un concerto de Vivaldi, la joie de partager des moules.

Le repas. D’accord pour la gratitude, me direz-vous sans doute. Alors venons en au fait de manger du pain et du vin. Dieu a créé le monde pour que l’homme puisse s’en nourrir et s’en réjouir : la création est un don divin pour vivre. La Bible présente souvent la vie comme un banquet. Cela commence par une histoire de fruits que nous sommes invités à déguster, cela termine dans l’Apocalypse où le rêve de Dieu semble être de souper en tête-à-tête avec l’être humain …« lui avec Nous et Nous avec lui. » Et entre Genèse et ce moment de grande intimité et de communion, il y a de nombreux repas auxquels assiste Jésus, le poisson grillé sur le bord du lac et, encore avant sa passion, cette fameuse Dernière Cène. La loi spirituelle c’est de manger dans la conscience de tout recevoir de Dieu. Dieu habite tout et tout repose en Lui. Si l’homme mange en rendant grâces, s’il mange avec conscience que tout est don d’un Père très aimant, il communie déjà un peu à Dieu.

Le rite. Si manger dans la reconnaissance est déjà un peu communier à Dieu , qu’est-ce que le sacrement de la communion m’apporte de plus ? On en a discuté, Barbara et moi, l’autre jour à Béthanie. Je vois l’eucharistie lors de la messe comme la concrétisation ritualisée et communautaire de cet état de gratitude et de communion qui est à cultiver tout au long de ma vie. ‘Ritualisé’, car la liturgie est une mise en scène un peu théâtrale, qui parle à mon corps et mon âme et me permet, mieux qu’un discours, d’expérimenter ce qui est re-présenté. ‘Communautaire’, car on célèbre la gratitude ensemble. Si j’expérimente la foi tout seul dans mon coin, je risque de m’illusionner. (La vie en Eglise est une occasion de me laisser vérifier humblement par la Tradition : la foi des Anciens et celle des frères qui m’avertissent s’ils pensent que je déraille.)

Une autre réalité, derrière les apparences. J’apprends des scientifiques d’aujourd’hui que notre espace-temps n’est qu’une représentation du réel, à un certain niveau de conscience. Je puis m’élever, dans l’Esprit, à un autre niveau. Je crois qu’il faut renouer avec le mystère dans la matière. La matière est allusion, signe, épiphanie de quelque chose d’infiniment beau que nos sens et notre raison ne peuvent pas saisir. Le monde matériel existe (le pain et le vin sont bien les réels, « produits de la nature et du travail des hommes ») mais il nous renvoie au monde spirituel qu’il renferme et dont il reçoit l’existence. Il y faut ce que les Hindous appellent le troisième œil, vous savez là où les femmes indiennes mettent un tikal de couleur vive…Entre objectivité (le monde en face de moi, le pain, le vin) et subjectivité (mes impressions et illusions) il y a place pour « être-UN-avec », c'est-à-dire pour communier (commune- union) à ce qui habite le réel : ce Feu, cette Présence que nous appelons Dieu.

Le sacrement. Mais il y a plus. Le drame de la condition humaine, c’est que nous oublions Dieu si souvent, égocentriques que nous sommes. C’est ce qu’évoque le mythe d’Adam, qui est la figure de tous les êtres humains. Il a pris la pomme (la nourriture, la nature, le monde) sans merci, hors-Dieu. Cette nourriture est alors coupée de sa source vivifiante, de son Sens. Elle ne donne pas vraiment la vie car la matière n’a pas la vie en soi : c‘est Dieu qui est la vie. La Présence de son Amour créateur cachée au tréfonds de toute chose est le secret de tout ce qui existe. Manger avec Dieu, c’est communier à Sa vie. Manger sans Dieu, c’est mordre dans la mort. Cet enfer-mement sur soi est le drame d’Adam. Puisque nous ne sommes plus capables de vivre constamment dans la gratitude, de nous recevoir de la Source comme un ruisseau, tout s’est déglingué en nous et autour de nous. C’est ce qu’on appelle la chute. C’est notre condition d’exil (le péché). Mais le Christ est venu sur terre pour nous guérir de cette maladie et pour dire merci à notre place, en notre nom à tous. Homme comme nous, ce grand frère nous donne une leçon de savoir-vivre : manger en rendant grâces, jouir de la vie avec conscience que tout est don d’un Père très aimant. Il nous invite à une vie « eucharistique ». Pour nous y aider, Il a institué ce que nous appelons le sacrement de l’Eucharistie.

Communier au Christ ressuscité. Jésus a prononcé ces étranges paroles « ceci est mon corps… » en nous demandant de Le manger. Anthropophagie ? Non, Théo-phagie, on mange Dieu, on communie à sa vie. Vous savez, les paroles de Jésus, comme la Bible toute entière, ont la profondeur que nous voulons bien leur donner. A nous, avec l’aide de l’Esprit, de ne pas rester à un niveau littéral et inintéressant. D’abord, il faut savoir que le corps et le sang, c’est, pour la mentalité juive, toute la personne. Je pense aussi que la personne à laquelle nous sommes invités à communier, c’est celle du Christ ressuscité. (Il me serait difficile d’imaginer manger le corps du Jésus d’avant sa mort.) Ce à quoi je communie, c’est Son corps de gloire et de lumière, quelque chose d’infiniment mystérieux qui réunit le divin et l’humain. Un corps qui passait à travers les murs, qui avait le don d’ubiquité. En mécanique quantique on dirait quelque chose de plus vibratoire que particulaire…

Pas de magie, mais la synergie entre l’Esprit et les fidèles. A propos des acquis de la science de l’infiniment petit, les chercheurs constatent avec stupéfaction que le fait d’observer une onde en laboratoire fait qu’elle devient une particule et inversement. Voici ce qui bouleverse la sacro-sainte objectivité de la science classique, fondée sur la neutralité et la distance entre l’observateur et l’objet de sa recherche. Il y a interdépendance, reliance, communion. Sans prétendre expliquer les mystères par la science (mais il faut quand même admettre que la science, au fur et à mesure qu’elle progresse, devient … mystérieuse !), il m’est permis de me demander : ce que je crois être toujours du pain et du vin, l’est-ce encore toujours ou, par mon regard et ma foi, et par la descente du Saint Esprit, est-ce devenu « autre chose » ? Une autre réalité se cache-t-elle dorénavant derrière ces apparences inchangées ? Il y a-t-il transformation du pain et du vin en corps et sang du Christ ? Je le crois. Bien sûr, cette transformation relève essentiellement de la descente du feu de l’Esprit Saint, mais il y faut encore une synergie avec les fidèles : il faut qu’eux-mêmes veuillent y croire. Il n’y a pas de magie, il faut que je dise « amen ». Ainsi, ce qui vous apparaît comme « un tour de passe – passe » réalisé par le prêtre à l’autel est plutôt l’œuvre de l’Esprit et du peuple, quelque chose de formidablement important : c‘est, pour moi vraiment la Présence « vibratoire » du Christ, qui se donne pour nous vivifier par la puissance de Sa résurrection.

La puissance poétique. Je crois qu’il faudrait manier beaucoup plus la poésie quand on parle de ces choses là. Les approcher platement, c’est les profaner. La poésie frôle le mystère, elle est caresse qui pressent, dans la tendresse et l’émerveillement. Elle crée. C’est ce que je vous souhaiterais, chère maman, si un jour vous décidiez de communier malgré vos réserves. Je m’en réjouirais pour vous (et pour Dieu si j’ose dire), car vous y recevriez le sceau de l’Amour. Je ne sais si je m’exprime comme il faut. Probablement pas, car Dieu est ineffable et inconnaissable. Mais ce que nous croyons, c’est qu’Il veut se communiquer à nous. Or, Il est la Joie, la Paix, et le Sens de la vie.

Un « sacrifice. L’Eucharistie est aussi un « sacrifice ». Encore un mot pas très à la mode ! C’est une très ancienne donnée anthropologique. Les humains ont toujours offert des sacrifices (« rendre sacré ») et ont pensé que ce qui est offert les représente…Donc quand nous offrons le pain et le vin, nous nous offrons nous-mêmes. Et le Christ S’offre, Il concélèbre éternellement et actuellement, en notre nom à tous. Mais, en somme, pourquoi offrir notre vie ? Parce que nous voulons dire merci, et parce que nous sommes tristes au sujet de nos distractions et égocentrismes et que nous demandons pardon (« kyrie eleison »). La Tradition chrétienne nous dit que la messe réactualise ici la grande et éternelle liturgie céleste qui se déroule dans les cieux : un sacrifice et un embrasement de louanges et d’amour qui tournent les anges et les défunts vers Dieu ! Ce point, trop long à développer ici, renforce toute la grandiose importance – mystique - de notre communion à ce sacrifice de la messe.

On devient ce que l’on mange. C’est ce que dit le proverbe. Manger le Christ recevoir Son Energie. Dieu nous invite à devenir comme Lui, tout amour. C‘est l’exclamation unanime des Pères de l’Eglise : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu », c’est à dire pour que nous participions à la Vie trinitaire, danse mystique d’amour entre des personnes qui sont toutes entières tournées l’une vers l’autre. Vu ainsi, manger le Christ ressuscité, c’est vital, n’est-ce pas ? Tout ceci est saisissant. Comme Dieu nous aime, et désire notre amour !

Encore merci pour cette belle rencontre l’autre jour. Merci aussi d’avoir raccommodé mes chaussettes trouées.
Quelle joie d’avoir une belle-maman comme vous ! Je rends grâces pour vos 93 années de vie pendant laquelle vous avez cultivé la fantaisie, le goût du beau et du simple, avec amour.


Thierry


 

     
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