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CHOIX
DU RITE
Adopter comme base de départ le rite romain du moment, même expurgé, même enrichi d'éléments orthodoxes (épiclèse, communion sous les deux espèces, etc.), n'eût pas été de bon conseil. Le suivre aurait été une erreur qui aurait conduit à un dangereux amalgame, générateur de malentendus comme par exemple celui que les chrétiens unis au siège de Rome provoquent aussi bien en Occident qu'en Orient lorsqu'ils célèbrent les liturgies orientales. On serait tombé dans une réplique de l'uniatisme : identité de rite, différences dogmatiques. Une troisième solution fut donc envisagée et acceptée au cours des années aussi bien par le patriarche Serge de Moscou et son Synode en 1936 que par Saint Jean de San Francisco et le Synode de l’Eglise russe hors-frontière en 1966, que par le patriarche Justinien de Roumanie et le synode roumain en 1972, que par le patriarche Shenouda III d’Alexandrie en 2001, solution soutenue par l'ensemble des sympathisants de ce mouvement de retour en Occident vers la tradition de l'Eglise indivise du premier millénaire : célébrer l’Ancien Rite des Gaules.
Cette troisième solution consistait, à partir des travaux déjà accomplis par le Père Wladimir Guettée au XIXes., par Mgr Winnaert au début du XXe s., à reprendre le rite le plus répandu dans l'ensemble de l'Europe chrétienne d'Occident avant les réformes centralisatrices de Charlemagne qui, après 800 ans de liberté, imposèrent à tout l'Occident le seul rite de la ville de Rome. En accord avec les témoignages de documents des VIe et VIIe siècles, ainsi qu'avec la terminologie adoptée par les grands liturgistes français des XVIIe et XVIIIe siècles (Mabillon et Lebrun entre autres), le nom d'ancien rite des Gaules a été conservé à ce vénérable rite. Il est connu grâce aux documents datant du VIe siècle, décrivant un état de choses remontant au Ve et même probablement au IVe siècle, période d'or de la pensée patristique et de la formulation poétique des mystères divins par les textes liturgiques. Tel est, parmi d'autres, le cas des documents connus comme étant les Lettres ou la copie des Lettres de Saint Germain de Paris, conservés à la Bibliothèque municipale d'Autun. A l'heure actuelle, ces pages sont les plus anciens documents que nous possédions concernant la structure de la liturgie eucharistique. En effet, ce n'est que de la fin du VIIIe siècle que sont datés les documents les plus anciens touchant aussi bien les liturgies orientales que les ordo de l'Eglise romaine. Les documents traitant de la structure de l'ancien rite des Gaules ont donc l'avantage incontestable de l'ancienneté. Ce rite a également l'avantage d'avoir eu sa pratique interrompue au stade d'évolution qui était le sien au VIIIe siècle, et, de ce fait, d'être parvenu à notre connaissance sans l'encombrement des sédiments qui se déposent au cours des siècles de célébrations, ces scories de la routine que nous voyons aujourd'hui recouvrir les structures authentiques et les vraies beautés des rites copte, byzantin et romain, scories généralement dues soit à des négligences non corrigées à temps, soit à des "enrichissements" adoptés sans esprit suffisamment critique. Il est donc plus pur. Enfin il a été effectivement célébré dans l'Eglise indivise pendant au moins 300 ans, peut-être même 500 en Gaule (Aujourd’hui la Gaule se répartit sur la Belgique, la Suisse, la France et la partie occidentale de l’Allemagne le long du Rhin), mais aussi, en Italie du Nord, en Espagne, en Grande-Bretagne et également, selon des découvertes récentes, en Germanie du Sud. Il représente le fond initial de la piété européenne, les bases de ses structures subconscientes. C'est pourquoi nous lui donnons le nom de "rite paneuropéen occidental". Une fois le choix du rite arrêté, il ne suffisait pas seulement de constater l'existence de documents susceptibles d'en permettre une reconstitution, mais il fallait les consulter, les traduire, les étudier attentivement et en tirer une règle pratique de célébration et de catéchèse liturgique. Il fallait aussi compléter certains textes et combler les inévitables lacunes dues aux détériorations du temps en utilisant la méthode des liturgies comparées, et en prenant exemple sur les usages de l'Eglise indivise où l'enrichissement mutuel et réfléchi d'une liturgie par une autre était considéré non seulement comme normal[1] mais encore comme souhaitable. Ce mouvement d'échanges ne prend fin qu'au XIIIe siècle, époque à laquelle le schisme décrété en 1054 devient un phénomène non plus limité à la hiérarchie, mais populaire. Citons ici deux théologiens orthodoxes contemporains : le Père Jean Meyendorff, professeur à l'Institut de théologie orthodoxe Saint Wladimir (U.S.A.) et le père Schmemann qui fut doyen de ce même Institut[2]. Le Père Meyendorff écrit : « L'Eglise orthodoxe n'a jamais considéré sa liturgie comme gelée une fois pour toutes dans les formes culturelles limitées de la Byzance du Xe siècle. Elle peut et doit non seulement se libérer de ce qui est inauthentique dans son propre passé historique, mais assumer également ce qui est vrai dans le christianisme occidental. » Quand au Père Schmemann, il constate : « Avant leur séparation, l’Orient et l'Occident se sont liturgiquement influencés pendant des siècles (...). La question ne se pose pas de savoir si un rite est oriental ou occidental, la seule question est de savoir si un rite est incarné, s'il communique la Vérité éternelle, immuable, s'il est orthodoxe au sens très profond de ce terme. » Il est important de savoir que, dans les dernières décennies, une recherche semblable à celle accomplie par le Père Eugraph Kovalevsky et ses collaborateurs commençait à se réaliser en Allemagne du Sud. Curieusement ces deux mouvements parallèles de recherche - l'un en France, l'autre en Allemagne - vont s'ignorer jusque vers 1982... L'ouvrage publié en 1984 par le professeur Gamber[3] intitulé "La liturgie selon l'ancien rite gallican", montre que ses travaux effectués de façon indépendante ont abouti à une reconstitution en latin de la messe selon Saint-Germain de Paris - traduite ensuite du latin en allemand - qui se trouve en parfaite concordance avec la reconstitution traduite en français, proposée par le groupe de recherche de Saint-Irénée autour du Père Eugraph. Par ailleurs, dès la fin de la Guerre de 1939, un érudit et liturgiste roumain, le Père Benedict Ghius, s'intéresse à une restauration de l'ancien rite des Gaules et à la perspective d'une renaissance orthodoxe à partir des vestiges de l'Eglise indivise enracinés en France. Il publie une brochure à ce sujet, éditée en Roumanie, en 1948[4].
Il est remarquable que la tradition bénédictine prenne ses sources organiques dans les expériences et traditions de l'Eglise primitive et dans la théologie patristique classique. Saint Basile le Grand, saint Pacôme, saint Augustin, saint Jean Chrysostome, et surtout saint Jean Cassien sont les autorités sur lesquelles s'appuient constamment saint Benoît et ses disciples. Il s'agit non d'une création personnelle de saint Benoît, mais de l'éclosion d'une tradition mûrie pendant trois siècles dans l'Eglise universelle indivise.
Deux études extrêmement fouillées et d'une valeur scientifique reconnue par les spécialistes sans parti pris, font justice des accusations complaisamment répandues à une certaine époque sur le caractère prétendument "fantaisiste", "hybride", "arbitraire", de la liturgie ainsi reconstituée et mise en oeuvre ; accusations qui, d'ailleurs, semblent maintenant tombées d'elles-mêmes car l'évidence a fini par s'imposer. Une
autre remarque avant de conclure. Pour certains, l'unité de la
foi orthodoxe serait compromise et même mise en danger par la
célébration d'un rite qui n'est pas en usage dans les
Eglises orientales, et cela en vertu de la conception selon laquelle
l'unité de la foi s'exprimerait nécessairement par l'unité
du rite. Les deux documents auxquels nous renvoyons montrent bien à
quel point une telle opinion est erronée, et même tout
à fait contraire à l'authentique tradition orthodoxe.
Le fait que cette opinion semble malheureusement de plus en plus répandue
dans le monde orthodoxe, ne la rend pas plus conforme à la vérité
: la vérité, c'est que la diversité
des rites en fonction des cultures est à l'image du dogme trinitaire.
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