Homélie de Monseigneur Grégoire à l'occasion de
la Canonisation de Jean de Saint-Denis
12 octobre 2008
Messeigneurs
et frères évêques,
Filles et Fils bien-aimés,
Chers amis,
Nous venons d'entendre dans l'Evangile de saint Luc la parabole de l'Intendant
avisé, plus connu encore sous le nom de parabole de l'Econome infidèle.
On pourra s'étonner du choix de cette parabole de l'évangile,
aujourd'hui et pour l'occasion de cette solennité particulière
-la glorification de l'évêque Jean de Saint-Denis.
Le choix de cet évangile appelle quelques explications.
Il faut savoir, tout d'abord, que cette parabole est le texte même
qui fut chanté lors du sacre de l'évêque Jean le mercredi
11 novembre 1964 à San Francisco ; par un effet de la Providence
c'est cette péricope qui était prévue par la lecture
continue des Evangiles dans l'Eglise Russe Hors Frontière pour
ce mercredi-là.
Le second motif se découvre dans le caractère si particulier
du personnage évangélique de l'Econome infidèle.
Le Christ en racontant cette parabole prenait le risque de faire l'apologie
de la malhonnêteté ; il y aurait beaucoup à dire à
ce sujet ; toutefois aujourd'hui c'est surtout l'intelligence et l'audace
du personnage qui nous sert d'enseignement. Ce qui remarquable chez ce
personnage c'est son esprit d'a-propos. Oui, l'Intendant avisé
est l'image, le symbole même, de l'homme entreprenant et audacieux
et c'est bien l'une des caractéristiques de ce que fut saint Jean
de Saint-Denis, de sa vie tout entière, et de son action dans l'Eglise
de Dieu.
Audace : d'après la définition du dictionnaire : l'audace
est une disposition ou un mouvement qui porte à des actions extraordinaires
au mépris des obstacles...
Cette disposition nous la découvrons chez Eugraf Kovalevsky dès
l'instant où il commence à agir au sein de l'Eglise. Je
me souviens d'une anecdote que me raconta à maintes reprises son
frère Maxime : En 1931, dans les débuts de la paroisse russe
des Trois Saints Docteurs - rue Petel, Eugraf, qui avait lu la vie de
sainte Geneviève, avait peint une icône de cette sainte avec
une gerbe de blé au pied de sa crosse abbatiale. Bien sur elle
était encore inconnue des Russes qui fréquentaient alors
en grande majorité cette paroisse et ils demandaient qui était
cette sainte ; la réponse était toujours : « oh, on
ne sait pas, c'est encore une histoire à Eugraf : une Française
avec un parapluie ! » Aujourd'hui une paroisse du Patriarcat de
Moscou à Paris s'appelle : Notre-Dame des Affligés-et-Sainte
Geneviève.
Cette audace aussi a fait de l'évêque Jean le seul liturgiste
capable de restaurer de manière vivante l'ancien rite des Gaules
: car si de nombreux savants avant lui s'étaient penchés
sur les reliques vénérables de cette liturgie, aucun d'entre
eux ne fut assez audacieux pour reconstruire ce monument, pour tenter
de célébrer ce rite, d'expérimenter sa vitalité
et de rendre ce trésor inestimable à l'Eglise Universelle.
C'est à l'audace de l'évêque Jean que nous devons
de vivre pleinement notre foi et notre identité chrétienne.
Audace encore de secouer la poussière qui couvrait les Eglises
depuis plusieurs siècles et qui éloignait les fidèles
de la communion fréquente.
Ce problème, un évêque Français, Monseigneur
Bénigne Bossuet, évêque de Meaux, avait déjà
osé l'aborder en 1681, puis un Russe saint Jean de Cronstadt en
1900 ; de nombreux évêques et théologiens en discutèrent
entre 1920 et 1950 mais ni les uns ni les autres n'avaient eu le courage
d'agir, ni réussi à vaincre les funestes habitudes qui,
sous le déguisement de la Tradition, de nos jours encore, divisent
si douloureusement les Eglises. L'évêque Jean nous a ouvert
le chemin vers la nourriture céleste : la communion au Corps et
au Sang vivifiant du Christ.
Audace : disposition qui porte à des actions extraordinaires au
mépris des obstacles... Et là les obstacles étaient
grands : le poids de l'Histoire !
Audace, dans le cas de l'évêque Jean, signifie surtout Foi
et Confiance en Dieu. Foi inébranlable dans les paroles du Christ,
Confiance en acte, selon l'attitude que nous révèle le Chant
Dogmatique du 1er ton : « Osez, osez donc hommes de Dieu, car Il
vaincra l'ennemi, Lui le Tout-puissant !» La Foi et les Œuvres
!
Pour finir, je ne résiste pas à l'envie de vous faire partager
un souvenir que m'a transmis Mère Séraphine. Mère
Séraphine était une Russe de Lituanie qui vint en France
en 1937. Elle est devenue moniale et est née au ciel avancée
en âge dans notre monastère de Bois-Aubry en décembre
1990.
Elle et son ami Georges - tous deux iconographes - avaient rendez-vous
avec le Père Eugraf le samedi 20 avril 1940 dans un café
de Boulogne-Billancourt. C'était tôt le matin. C'était
la guerre. Le Père Eugraf arrive en uniforme militaire - il était
en permission - Les trois amis commandent du café au lait, le père
plaisante avec le serveur - Eclats de rire ! Ce rire si particulier du
Père Eugraf et si inattendu dans cette période de guerre
à l'atmosphère lourde ! Ils boivent leur café au
lait en parlant de diverses choses - en russe - quand tout à coup
le père se lève brusquement, son visage change, s'éclaire,
il se met à ouvrir toutes les portes, toutes les fenêtres,
tous les placards en criant en français : « Mais aujourd'hui
c'est le samedi des Rameaux, c'est la résurrection de Lazare, c'est
la Résurrection, la Résurrection, il faut ouvrir, il faut
tout ouvrir. Que la lumière de la Résurrection saisisse
tout ! »
Le garçon de café est stupéfait, paralysé
par l'émotion, les yeux grand ouvert, le regard fixé sur
le Père Eugraf, qui embrasse tout le monde et qui sort.
Voilà qui était Jean de Saint-Denis : l'homme qui a ouvert
nos portes et nos fenêtres intérieures, et qui a fait pénétrer
en nous la lumière de la Résurrection.
Rendons grâce à Dieu de nous avoir donné un tel père.
Par les prières d'Eugraf Kovalevsky, par les prières de
l'évêque Jean-Nectaire, par les prières de Saint Jean
de Saint-Denis, Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu ai pitié
de nous et sauve-nous !
+
Grégoire


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