CHAPITRE
TROISIEME
DE LA PRIÈRE CONTINUELLE
Saint
Ambroise dit : « Quand vous lisez, c'est Dieu qui vous parle,
mais quand vous priez, c'est vous qui parlez à Dieu. »
Ces quelques mots font ressortir l'excellence de la .prière.
L'âme en est élevée jusqu'à Dieu, elle y
reçoit l'immense honneur, la grâce inestimable de traiter
avec Lui! Pour se faire entendre des hommes, il faut nécessairement
user de la langue, l'homme étant un être matériel
qui ne saurait comprendre sans le secours des signes sensibles, des
sons articulés. Il en est bien autrement de Dieu qui n'a besoin,
pour comprendre, d'aucune parole, d'aucun signe : il suffit de répandre
notre cœur en sa présence et nos plus secrètes pensées
sont à découvert devant lui : « Dieu est Esprit,
et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité
» .
Le divin Maître nous révèle par ces mots la supériorité
de la prière mentale sur la prière vocale, et nous enseigne
qu'il est plus avantageux de prier seulement du cœur que de prier
des seules lèvres. Expliquant ce passage de l'Evangile, saint
Grégoire dit : « La vraie prière ne consiste pas
en des paroles, mais dans les pensées du cœur; ce ne sont
pas les mots, mais les désirs qui crient vers Dieu. Si nous demandons
la vie éternelle de bouche seulement, si haut que s'élèvent
nos clameurs, nous demeurerons muets; mais par un désir véhément
du cœur, notre appel percera les nues et pénétrera
jusqu'au trône de Dieu. »
Une foule de personnes errent sur ce point. Elles se donnent beaucoup
de peine sans aucun profit, leurs interminables prières n'étant
qu'un vain mouvement des lèvres, auquel ne se joint aucune attention.
Savent-elles seulement ce qu'elles disent? Vraiment c'est pitié
de voir ainsi se conduire beaucoup de ceux qui sont consacrés
à Dieu, aussi bien que les gens du monde. Pourvu qu'ils aient
récité quantité de Pater ou lu nombre de pages
sur un recueil, ils se croient fort dévots et âmes de grande
oraison.
Evidemment, il y a des prières à réciter d'une
manière distincte : l'office ecclésiastique, les formules
indulgenciées, le saint Rosaire, la pénitence imposée
par le confesseur, etc. Mais quand il s'agit d'une prière laissée
à notre choix, elle sera certainement plus efficace, plus fervente,
si nous l'adressons à Dieu mentalement, si elle est un mouvement
spontané de notre cœur vers lui. Inutile d'invoquer ici
le témoignage de l'Ecriture ou celui des Pères; notre
expérience suffit. Dites-moi, ô Chrétien, quand
vous lisez dans un formulaire ou que vous récitez de mémoire
une suite d'oraisons, n'est-il pas vrai que vous vous sentez presque
toujours distrait, le cœur sec, et que votre imagination se livre
à tous les écarts? Au contraire, si vous répandez
votre cœur devant Dieu par une prière mentale, tout votre
être est concentré sur ce colloque intime, une douce onction,
une ineffable consolation vous pénètre tout entier.
Puisqu'il en est ainsi, pourquoi ne pas changer vos longues prières
vocales contre l'oraison mentale? Comment s'y prendre? dites-vous. Jésus
vous l'enseigne : « Quand vous priez, ne multipliez pas les paroles
comme font les païens qui s'imaginent d'être exaucés
à force de paroles... Votre Père sait de quoi vous avez
besoin avant que vous le lui demandiez» . Ainsi donc employez
peu de mots, contentez-vous d'exposer vos besoins au Père du
ciel. Plus votre prière sera simple, humble, candide, plus elle
plaira à Dieu et sera puissante auprès de lui. Témoin
le publicain de l'Evangile. Il se tenait à la porte du temple,
n'osant lever les yeux au ciel, et se frappait la poitrine disant :
«Seigneur, ayez pitié de moi qui suis un pauvre pécheur»
. Sans doute, il aura répété maintes fois la même
supplication, et à chaque fois son repentir aura été
plus parfait.
Ailleurs, nous voyons la cananéenne suivre le Sauveur et crier
: « Jésus, fils de David, ayez pitié de moi! »
. Elle aussi a répété sans se lasser le cri de
son cœur de mère, puisque les disciples priaient le Seigneur
de l'exaucer pour les délivrer de ses cris. Vous connaissez le
miracle obtenu par cette prière.
Enfin, au Jardin des Oliviers, Jésus-Christ lui aussi a répété
trois fois sa prière : « Mon Père, s'il est possible,
que ce calice passe loin de moi! Cependant, que votre volonté
soit faite et non la mienne ». Voulant nous enseigner par là
que pour bien prier, peu de paroles suffisent, et que pour enflammer
l'esprit, il est bon d'en choisir quelques-unes et de les répéter
souvent.
Il est rapporté dans la vie des Pères, que saint Paphnuce
après avoir converti la pécheresse Thaïs, l'enferma
dans une étroite cellule, percée d'une seule fenêtre,
par laquelle on lui portait chaque jour du pain et de l'eau pour sa
nourriture. Puis, comme elle lui demandait à quelles prières
elle devait s'appliquer, il lui dit : « A cause de tes énormes
péchés, tu n'es pas digne de prononcer le nom de Dieu;
pour toute prière, dis seulement ces paroles : « Vous qui
m'avez créée, ayez pitié de moi ! » Pendant
trois ans, la recluse pénitente soupira de cette manière
vers son Créateur, lavant ses péchés de ses larmes.
Or, une nuit, Paul, disciple de saint Antoine, eut une vision : le ciel
s'ouvrait, et un trône magnifique y était préparé
pour un bienheureux. Tandis qu'il se demandait à tant de gloire
était réservée, une voix lui dit : « Ce trône
est destiné à la pécheresse Thaïs. »
Informé de cette vision, saint Paphnuce rendit la liberté
à sa pénitente, et Thaïs mourût saintement
quelques jours plus tard.
De même, saint Antoine, solitaire, avait un disciple qui vint
lui manifester un jour son grand désir d'aller visiter d'autres
solitaires renommés, pour apprendre d'eux la bonne manière
de servir Dieu et de prier. « Mon fils, lui dit le saint, oubliez
tous les autres exercices, demeurez dans votre cellule, répétez
du fond du cœur ces paroles du publicain : Seigneur, ayez pitié
de moi qui suis un pauvre pécheur; et vous serez parfait. »
Oui, quand vous voulez prier efficacement, soupirez dans votre cœur
: Mon Dieu, ayez pitié de moi! Vous en aurez dit assez, car ces
paroles renferment la confession de nos péchés, aussi
bien que la demande du pardon. Qui dit : Mon Dieu, ayez pitié
de moi! reçoit le pardon de ses péchés et n'a plus
de châtiment à craindre. Qui dit : Ayez pitié de
moi! gagne le royaume du ciel, car celui que Dieu prend en pitié
n'est pas seulement délivré de la peine due au péché,
il est encore autorisé à rentrer en possession des biens
éternels. Ah ! puisque tel est le mérite de cette brève
aspiration, répétez-la sans cesse, comme si elle était
la respiration même de votre âme.
J'insiste sur ce point : ne surchargez pas votre mémoire de longues
et nombreuses formules; il suffit de quelque courte invocation, choisie
parmi celles qui touchent l'âme le plus vivement et l'inclinent
vers l'humilité et la contrition. Cette aspiration répétée
renouvellera à chaque instant votre esprit. Eussiez-vous imploré
la miséricorde divine mille et mille fois comme la pécheresse
Thaïs, ne vous lassez pas de l'implorer encore nuit et jour, jusqu'au
dernier instant de votre vie.
Les belles paroles n'émeuvent notre Dieu : c'est le cœur
contrit et humilié qui lui fait violence. Du reste, pour le choix
plus facile, nous avons réuni ci-après un certain nombre
d'oraisons jaculatoires. Ces rapides élans de l'âme peuvent
se pratiquer avec grand fruit, même pendant la récitation
des heures canoniales, car ils excitent l'amour de Dieu et prémunissent
l'esprit contre les distractions. Assurément, le texte sacré
du saint Office doit être prononcé seul, mais il est très
bon d'entremêler à la prière quelques soupirs enflammés,
pour affermir la dévotion et la soutenir jusqu'au bout.