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Femme de prêtre, un témoignage

Notre Père-Evêque Grégoire m’a demandé de vous faire aujourd’hui un partage sur ma place et mon rôle de femme de prêtre. Je le remercie de cette confiance qu’il m’a faite car ce fut pour moi l’occasion d’un petit travail de réflexion et de lectures bien enrichissant.
Après douze années de diaconat, Thierry a été ordonné prêtre, il y a cinq ans, sous le nom de Père Jean-Thierry . Il a fallu que je m’habitue à cette nouvelle appellation et que j’ajuste ma propre place. Beaucoup me demandaient à l’époque : n’est-ce pas trop difficile? C’était pour moi clairement un choix de couple; je pressentais une étape sur le Chemin.

Prêtre marié ; Couple sacerdotal

Pour notre couple, les nouvelles responsabilités liées à la prêtrise ne sont pas arrivées brutalement, elles étaient dans une certaine continuité avec le passé et une évolution naturelle vers plus d’engagement à suivre le Christ. Et à la fois, quel saut ! Nous n’avons pas fini de nous émerveiller avec reconnaissance, crainte et tremblement d’être à une telle place...
Au cœur, il y a la fonction sacramentelle et la Divine Liturgie. Dans notre contexte familial, paroissial et professionnel, nous pouvons célébrer la Divine Liturgie presque tous les dimanches ensemble. C’est une grâce. Nous sentons que vivre le mystère de l’Eucharistie prévaut à toutes les promenades ou activités culturelles que notre société offre aujourd’hui le dimanche matin. C’est un rite que nous n’avons jamais ressenti comme une routine. Suivre le Christ est une aventure transformatrice et de libération.
La présence du prêtre est bien sûr indispensable pour célébrer la Divine Liturgie, mais aussi celle du peuple (ou au moins d’une personne !) qui répond « amen ». Epouse du prêtre de notre paroisse, je suis toujours là pour répondre ou chanter «amen». Dans cette réponse, le « fiat-ainsi soit-il », il y aurait déjà l’expression toute concrète du rapport entre Jésus-Christ et son Eglise. Cette relation-alliance pourrait-elle être symbolisée par la relation conjugale ? Le Cantique des cantiques le suggère : «Viens ma bien aimée , mon épouse, mon Eglise». La femme, organe privilégiée de réception spirituelle ? Le couple, union dans la diversité ; symbole de l’Amour trinitaire ? Ce sont des questions-réflexions ouvertes.
Nous préparons rarement une Liturgie dominicale ou une homélie ensemble, mais il y a bien sûr entre nous des échanges et questions sur un passage de l’Evangile, un texte, un chant de la Liturgie. Parfois très concrètement, je m’attelle à faire un nouveau fascicule « intégré » pour des Liturgies atypiques comme le Jeudi St, le temps après Pâques… Notre collaboration au niveau liturgique s’exprime aussi lorsque nous devons adapter un office pour les besoins de la paroisse, pour une prière œcuménique…Chacun de nous a ses charismes. J’aurais plutôt celui de connaître l’année liturgique avec les dates des grandes fêtes et de m’y retrouver dans des ordos compliqués.
Mais le travail essentiel pour approcher ce grand mystère de l’Eucharistie est bien évidemment celui de l’amour conjugal. Apprendre à nous aimer comme Lui nous aime !

Les responsabilités pastorales :

Organiser la vie paroissiale, aller aux réunions du clergé, accompagner l’un ou l’autre ; ces tâches, je les épouse volontiers et je sens notre complémentarité. La chance d’être deux quand la mémoire de l’un fait défaut ou est encombrée par trop de choses : faire l’agenda, préparer les fêtes, les week-ends de Carême ; la chance d’être deux lorsque l’un peut relire un texte ou une lettre délicate rédigés par l’autre, la chance d’être deux pour écouter ou redynamiser un frère, pour ajuster une attitude avec une personne en souffrance, pour encaisser un coup. Nous formons équipe, c’est évident. Quand l’un est menacé par les doutes, l’autre est là pour rappeler que le Seigneur nous a placés et envoyés là avec notre faiblesse et nos limites « pour être près de Lui, clamer la Bonne Nouvelle et chasser les démons.»(Mc 3, 14) e.a. le démon de la crainte de ne pas être à la hauteur. Servir ensemble l’Eglise qui est le Corps du Christ avec nos charismes propres, comme nous le rappelle St Paul dans Eph. 4, 16 : « Corps tout entier, bien coordonné et fortement uni par toutes les jointures qui font communiquer ses parties, tire son accroissement selon la force mesurée de chacune d’elles. »

Les charismes spécifiques de la femme, forces et dangers

J’ai entendu dans l’Eglise orthodoxe à propos des femmes de prêtre : « elle protège son mari surchargé, elle barre le chemin », ou bien : « c’est une matriarche qui décide tout »; ou le contraire : « c’est x (lui) qui rayonne, sa femme n’a qu’un rôle subalterne de servante, on ne l’entend jamais ». Nous ne sommes pas responsables de ce que les autres pensent de nous, nous sommes appelés à être authentiques et à grandir, et ce à partir de nos charismes propres.

- Le Prophétisme
On met souvent en exergue la connivence de la femme avec l’Esprit Saint. Elle aurait le charisme de prophétie et de conseil. « La tresse suggère à la barbe sur l’oreiller ce que la barbe dira le lendemain » dit un proverbe arabe. Nous dialoguons et je n’éprouve nul envie de faire des homélies ou des enseignements. Mais je crois que la parole enseignante du prêtre marié acquiert une force supplémentaire. Cette parole publique a souvent déjà été approfondie à l’intérieur de la cellule familiale et vérifiée par l’expérience concrète. Chacun enrichit et réensemence l’autre. Mais chacun limite aussi l’autre par sa différence et cela peut apparemment menacer notre liberté.
Toute rencontre, tout dialogue vrai se fait toujours à partir de la conscience de notre limite. Il existe donc bien réellement une peur inconsciente d’être freiné par l’autre, de perdre son identité quand l’autre a une idée différente ou donne un conseil. Peut-être plus pour l’homme ? Paul Evdokimov ose l’affirmer. Dans son chapitre sur les charismes de la femme dans « La Nouveauté de l’Esprit » il dit : « L’homme, constructeur créatif, cherche à s’affirmer en dépassant ce qui le limite. Or toute femme est limite, car elle est « autre », elle pose l’altérite. L’homme y voit une prison qui rétrécit ses horizons et borne son esprit ». C’est peut-être extrême comme propos, mais il y a du vrai, je l’ai expérimenté. Il s’agit donc pour nous, épouses, de trouver la manière de dire les choses, de proposer ! La ruse biblique engendre une parole mûrie, non pas une parole facile. Par ailleurs, nos maris nous apprennent bien des choses. Ils sont souvent les garants de la sagesse et de la clarté dans nos pensées multiples. Ils sont les propulseurs et les appuis solides nous permettant de passer sur la scène publique. Complémentarité et liberté dans l’amour, quel programme ! Le travail sur soi, au sein du couple, n’est jamais fini, travail de réconciliation intérieure pour guérir les blessures du passé et éviter les projections !

- La maternité spirituelle
La femme dans son instinct maternel voudra toujours protéger la vie, aider l’autre à se réaliser, à devenir lui-même. Elle engendre, c’est le « caractère sacramentel » inscrit dans son être même. Elle sera toujours mère, même dans son état de célibataire, fiancée, épouse, moniale… . L’attention aux autres lui est naturelle. Elle se soucie des nouveaux , des malades, des petits. L’accueil est inscrit biologiquement dans notre sexe. Mais ici aussi, face à ce charisme, l’homme peut inconsciemment se sentir menacé. La femme peut rappeler la mère biologique et donc représenter la matrice qui le ferait régresser dans la fusion (en psychanalyse, on dirait qui pourrait « l’engloutir ») et ainsi lui ferait perdre son identité. L’esprit de domination de la femme s’exprime subtilement ou parfois sournoisement dans ses désirs du bien, de ce qu’elle pense être le bien. La frontière est subtile entre aider l’autre à devenir plus lui-même et / ou vouloir changer l’autre. Ainsi quand on dit à l’autre avec enthousiasme :comme tu as changé ! Cela peut parfois être mal vécu cad comme une critique à posteriori de qui on était.
Autre écueil à éviter : «Qui trop embrasse mal étreint ». L’épouse maternante, dévouée à tous et chacun pourrait bien parfois passer à côté des besoins de son époux.

. Père ou Mère dans l’Eglise, à l’image de Marie…

Dans l’Eglise, on appelle mon époux « père ». Cela le revêt de sa fonction sacrée. Certains ont du mal, moi-même j’hésite parfois. Cela crée une distance, cela pourrait être mal compris, comme la soutane. Pourquoi ? Peut-être sommes-nous encore tributaires d’une fausse interprétation du père.? Il serait perçu comme éloigné et jugeant plutôt que tendre et miséricordieux ; peut-être attribuons nous encore au prêtre des images de pouvoir et privilège, alors qu’il est le serviteur des serviteurs ? …
J’aimais bien les vocables « Tassouni » chez les Coptes, « Matouchka » chez les Byzantins, cela avait une connotation de tendresse. Si les femmes devenaient un jour prêtres, on les appellerait « mère » bien sûr. Père, Mère, est-ce différent ? Dieu, Père et Mère à la fois ? L’homme (l’humain ) est créé à l’image de Dieu qui est Père dans son essence. Je cite Evdokimov: « Avant tout et essentiellement Dieu est Père, après il est Créateur, Juge et puis (ce qui est au cœur de notre espérance) il est Sauveur et Consolateur ». Homme et femmes sont appelés à engendrer mais il y a paradoxe, dit Evdokimov, l’homme ne possède pas d’instinct paternel au même titre que la femme possède l’instinct maternel . Cela est si vrai, dit-il, que la paternité spirituelle use des images de la maternité humaine. Nous lisons chez St Paul :« je souffre des douleurs de l’enfantement » (Gal 4, 9) et dans 1 Thes. 2, 7 « nous avons usé de bienveillance au milieu de vous , comme une mère réchauffe sur son sein les enfants qu’elle nourrit. »
De plus, la maternité de la Vierge s’est posée comme figure humaine de la Paternité divine. Un ancien texte liturgique dit à propos de la Vierge: « Tu as enfanté le Fils sans père, ce fils que le Père avait enfanté sans mère ».
La Vierge Marie serait notre archétype. J’ai souvent entendu des prêtres dire : à l’image de Marie, nous avons tous, homme ou femme, à devenir mère, à purifier nos entrailles « afin que le Christ soit formé en vous » (Ga 4, 19). C’est le but de notre vie, la sanctification. C’est l’action de l’Esprit qui opère cette naissance miraculeuse de Jésus au fond de l’âme. «Le mystique est celui en qui se manifeste la naissance du Seigneur, nous dit St Maxime.
Ma conclusion ? Dieu, notre Seigneur, c’est le Tout Autre, le Transcendant. Il n’est ni père ni mère ; nous n’avons pas fini de Le chercher. Il est Amour. Et nous connaissons ce texte par cœur : « L’Amour prend patience, l’amour rend service, …il ne s’enfle pas d’orgueil… il croit tout, il espère tout , il endure tout…. » (Cor. 13). Merci à Mère Rachel et Père Alphonse qui après Thierry m’ont ouvert ce chemin, Le Chemin !

Roseline , Gorze le 13 Mai ’07



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